Volume 13-1

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Vol. 13-1 – 1991

Regular Issue

Articles

Carole CARPENTER

Introduction

Le présent volume reconnaît et commémore les mille facettes des interactions entre Canadiens et Américains qui ont marqué en filigrane l’histoire de l’Amérique du Nord, et témoigne du caractère particulièrement important de cette relation pour le développement des études de folklore dans les deux pays et à l’étranger. Des liens significatifs ont depuis longtemps été établis entre des personnes, et un engagement a été pris entre des institutions et organismes de part et d’autre. De plus, bon nombre d’Américains sont entrés en contact avec le matériel folklorique d’ici et ont été associés à des activités de folklore (festivals publics par exemple), tout comme l’ont été les Canadiens là-bas. Les racines et les effets de cet intérêt pour les objets et les études de folklore de l’Autre sont liés à plusieurs facteurs.

D’abord, à la naissance des études de folklore au xixe siècle, en Amérique du Nord, le Canada et les États-Unis étaient et se percevaient considérablement plus égaux et potentiellement plus significatifs l’un pour l’autre. Le Canada retenait l’attention des touristes, des aventuriers, des collectionneurs et même des universitaires américains autant que celle des Canadiens pouvait, comme aujourd’hui encore, être captée par les États-Unis. C’est ainsi que les Américains ont produit une documentation considérable sur les Canadiens et leurs traditions, l’un d’eux ayant pour la première fois décrit le Canada comme une mosaïque. D’importantes collections d’artefacts, celles des autochtones en particulier, ont été recueillies par ou pour les Américains.

En second lieu, une forte affinité existait et existe toujours entre des régions situées de part et d’autre de la frontière comme la Nouvelle-Angleterre et la région canadienne de l’Atlantique. Tandis que de nombreux Américains prenaient leurs vacances dans les provinces maritimes ou à Terre-Neuve et écrivaient sur leurs habitants et leurs traditions, bon nombre de résidents des Maritimes étudiaient en Nouvelle-Angleterre, en particulier à l’Université Harvard où ils ont subi l’influence de spécialistes de la ballade comme Francis James Child et son disciple, George Lyman Kittredge. Ces Canadiens ont ensuite enseigné dans les départements d’anglais de différentes universités (souvent américaines), et ont ainsi été à l’origine de la large acceptation universitaire du folklore aux États-Unis.

En troisième lieu, bon nombre de spécialistes de renom ont eu une influence importante et durable sur la matière étudiée. Kittreclgc orientait les étudiants et les érudits vers les Maritimes et vers Terre-Neuve à la recherche de riches traditions sur la ballade. C’est ainsi qu’il a promu la recherche sur la musique traditionnelle anglophone dans l’est canadien pendant des décennies. Franz Boas, père de l’anthropologie moderne, mais aussi—faut-il le rappeler— folkloriste et cofondateur de l’American Folklore Society, a consacré la plus grande partie de son travail de terrain aux Indiens de la côte nord-ouest et encouragé bon nombre de ses étudiants de l’Université Columbia à faire de même. Sa principale préoccupation était le récit oral et c’est lui qui a incité Marius Barbeau—le folkloriste encore le plus renommé au Canada—à étudier les contes canadiens-français. C’est ainsi que les vastes collections de folklore du Canada français du Musée canadien des civilisations et de l’Université Laval ont connu leurs débuts.

En quatrième lieu, des programmes universitaires d’études de folklore. dotés d’une société et d’une revue savantes, ont existé aux États-Unis plus de cinquante ans avant que le folklore ne gagne ses lettres de noblesse dans les universités du Canada, notamment à l’Université Laval. C’est pourquoi les folkloristes canadiens ont longtemps participé de façon importante à l’American Folklore Society et cherché à publier dans sa revue,Journal of American Folklore, l’un des périodiques ethnologiques les plus importants au monde depuis son établissement C’est en 1892, à Montréal, qu’était fondée la première société canadienne de folklore mais celle-ci demeurait une simple filiale de l’American Folklore Society. Il faut attendre 1975 avant que soit fondée une société autonome au Canada: l’Association canadienne d’ethnologie et de folklore. Entretemps, les Canadiens étaient bien reçus dans les universités américaines où ils allaient acquérir une formation en folklore; depuis ses débuts, le Journal of American Folklore recherchait et publiait les écrits canadiens et il a même élaboré sept numéros spéciaux dirigés par Marius Barbeau. Les folkloristes américains ont aussi été des figures marquantes de la fondation et du développement du seul programme canadien de folklore en langue anglaise, celui de l’Université Memorial à Terre-Neuve.

En cinquième lieu, en raison de la différence entre le taux d’urbanisation et d’industrialisation du Canada et celui des États-Unis (dans les régions de l’Est en particulier), très tôt dans l’histoire des travaux de folklore de l’Amérique du Nord, le Canada a été qualifié de  » réservoir de folklore « . Les savants comme les amateurs américains avaient cette perception de leur voisin du Nord tandis que les Canadiens urbains, instruits ou cultivés, n’attribuaient cette perception qu’à certains secteurs de son vaste territoire ou de sa population. Cet intérêt possédait des racines profondes et produisait des effets socioculturels et intellectuels importants.

En sixième lieu, la perception populaire des habitants et de leurs traditions a manifestement évolué d’une façon différente aux États-Unis et au Canada. Une politisation et une institutionnalisation du folklore se sont en effet produites et ont imprégné toute la culture américaine. On a assisté à la naissance du  » public folklore « , à l’émergence de folkloristes de l’État et d’une législation destinée à promouvoir le folklore du pays.

Pourtant, le Canada, les artefacts canadiens (oraux, matériels et comportementaux) et les Canadiens eux-mêmes ont joué un rôle significatif dans l’évolution du folklore nord-américain. Mais celui-ci n’est ni suffisamment reconnu, ni suffisamment exploré dans l’histoire récente de la discipline. Songeons par exemple aux travaux de Simon Bronner ou de Rosemary Levy-Zumwalt qui n’en font pas état. Les Canadiens ont tendance à exagérer l’effet que peut provoquer leur puissant voisin et à sous-estimer leur propre rôle dans cette entreprise internationale de coopération et d’interaction.

Pour éclairer la nature et la portée de cette entreprise, j’ai établi sept types d’interactions significatives sur le plan du folklore et déterminé un individu représentatif pour chacun d’entre eux:

1. Les moissonneurs: professionnels ayant travaillé au Canada parce qu’ils y trouvaient ce qui les intéressait. Ils sont venus (habituellement à maintes reprises), ont pris ce qui les intéressait, ont eu un effet significatif et durable sur les chercheurs, les institutions et les modes de pensée et ont, dans une large mesure, utilisé ce qu’ils avaient recueilli dans leurs travaux subséquents. Leurs préoccupations culturelles étaient essentiellement intellectuelles et ils ont procédé avec un égoïsme indéniable. C’est aux premiers chercheurs en anthropologie des autochtones qu’on peut le mieux les associer, et en particulier à Franz Boas.

2. Les visiteurs: personnes qui, à titre de voyageurs, d’aventuriers ou de résidents temporaires d’un certain type, se sont retrouvés au Canada, ont été fascinés par un aspect du pays et en ont fait un objet d’étude. Louise Manny en est un exemple de premier ordre. Cette jeune fille américaine était venue en visite à Miramichi et s’y est installée finalement de façon permanente. À la demande de Lord Beaverbrook, elle entreprit l’étude du folklore de la région pour ensuite publier dans ce domaine et fonder l’important et influent Festival de Miramichi.

3. Les collectionneurs: personnes venues au Canada dans le but de collectionner pour ensuite repartir. Ceux-ci n’ont habituellement entretenu aucune relation durable avec les gens, et même bien souvent, avec le matériel qu’ils avaient étudié. Arthur Huff Fauset en est un excellent exemple.

4. Les continentalistes: personnes qui ont perçu des interrelations continentales et ont cherché à en explorer la signification dans les gens et les choses. Le meilleur exemple de ce type est l’éminent spécialiste de l’ethnologie du Nord-Est, Edward D. Ives

5. Les disciples: personnes qui ont été directement poussées à entreprendre un travail de folklore par une personne qui leur était connue ou par un mouvement particulier: Edith Fowke par exemple, dont le conseiller était un ami intime, Kenneth S. Goldstein (du Département de folklore de l’Université de Pennsylvanie) et qui a été poussée vers la musique traditionnelle par le renouveau de la chanson folklorique plutôt que par une formation universitaire.

6. Les enseignants: personnes qui ont occupe des postes de direction dans d’importantes institutions d’enseignement (incluant les musées). Leur influence tut significative tant par l’intermédiaire de leurs étudiants que par le biais de leurs relations institutionnelles et par leurs publications. Herbert Halpert, fondateur du Département de folklore et des Archives de folklore de l’Université Memorial de Terre-Neuve, en est le meilleur exemple.

7. Les étudiants: personnes qui, ayant traversé la frontière pour étudier, ont été influencées par des individus et des idées et en ont, à leur tour. influencé d’autres par leurs travaux au pays ou à l’étranger. Barbara Kirshenblatt-Gimblett en est un bon exemple, car elle s’est installée aux États-Unis (sans toutefois avoir abandonné sa citoyenneté canadienne) oh elle a apporté une importante contribution à l’enseignement et à la recherche chez nos voisins.

Chacune de ces personnes avait une motivation individuelle et chacune a connu les résultats différents dans ses relations avec le folklore canadien ou américain. C’est que des facteurs personnels et accidentels influencent les relations internationales. Mais il ne faudrait pas négliger non plus les facteurs d’ordre culturel et socio-politique. Tout le milieu culturel canadien a été affecté, par exemple, par l’élaboration et la perpétuation de l’image du Canada comme réservoir ou comme source inépuisable de folklore. Cette perception a renforcé la mentalité coloniale du Canada et son sentiment d’infériorité par rapport aux États-Unis, perçus comme un des chefs de file mondiaux en matière de développement de la culture.

Les articles présentés ici constituent une variété d’approches permettant une appréciation plus complète de la nature et de l’effet des gens et des idées qui ont traversé la plus importante frontière libre au monde. Nous souhaitons que ce volume suscite d’autres travaux. Si cette frontière est demeure non défendue, c’est bien parce qu’elle a été, sous différents aspects, ce que les aborigènes ont traditionnellement appelé la  » ligne magique « , barrière invisible sur laquelle ont été jetés des ponts pour que les gens de part et d’autre partagent et grandissent ensemble.

Carole CARPENTER

Politics and Pragmatism in Early North American Folklore Scholarship

Cet article fait ressortir les différences dans le développement des études de folklore au Canada et aux États-Unis, surtout dans leurs institutions nationales, et les met en rapport avec les préoccupations pragmatiques et sociopolitiques de chaque pays. Les problématiques et les activités de recherche de Franz Boas et de Marius Barbeau sont comparées à titre d’exemple, plus particulièrement leurs travaux sur le  » potlatch  » des Amérindiens de la côte ouest de la Colombie Britannique.

Janet LANGLOIS

Smuggling Across the Windsor-Detroit Border: Folk art, Sexual Difference and Cultural Identity

L’acte de contrebande et les récits qui en découlent représentent des formes d’art populaire car ils révèlent des stratégies culturelles mises en place de part et d’autre de la frontière pour tromper les douaniers et pour introduire des marchandises prohibées dans le pays. Mais ce n’est pas tout. La micro-analyse d’une famille qui pratique la contrebande entre Windsor et Détroit permet de montrer que les stratégies de contrebande mettent en scène des distinctions sexuelles et articulent des problèmes complexes de relations inter-frontières et d’identité culturelle.

Michael TAFT

Tracking the Cheshire Cat: Ethnic Americans and American Ethnicity on Cape Breton Island

Les Américains sont parmi les groupes ethniques les plus importants du Canada, pourtant ils sont un des moins étudiés. S’ils se distinguent nettement des autres groupes ethniques, ils n’ont ni clubs, ni festivals, ni danses, ni nourriture particuliers. Ce qui demeure toutefois indéniable, c’est leur identité. Mais quels sont les traits qui rapprochent ces individus les uns aux autres et en font un groupe ethnique bien distinct? La réponse à cette question n’est pas facile. En exploitant des matériaux rassemblés lors d’entretiens avec des Américains qui habitent aujourd’hui au Cape Breton, cet article traite de leur  » américanisme « , de leur identité de groupe, du contexte de ce groupe et de leur ethnie même.

Neil ROSENBERG

The Gerarld S. Doyle Songsters and the Politics of Newfoundland folksong

Cet article examine le contenu textuel des chansons populaires des deux premières éditions des livrets—très largement distribués—de monsieur Doyle, homme d’affaires bien connu de Saint-Jean de Terre-Neuve. L’accent est mis sur leur rapport avec les idées et les événements politiques et sociaux de l’époque. Dans chaque édition l’auteur, monsieur Doyle, imprimait des chansons anciennes pour faire un commentaire sur le présent, prenant celles qui correspondaient le mieux avec ses idées. Aujourd’hui encore bon nombre de ces chansons sont reconnues comme étant central au répertoire de la chanson folklorique de Terre-Neuve.

Pat BYRNE

« Stage Irish in Britain’s Oldest Colony »: Introductory Remarks Toward an Analysis of the Influence of the McNulty Family on Newfoundland Music

Les McNulty’, un trio irlando-américain originaire de New York. a marqué la musique et la chanson à Terre-Neuve de 1930 à 1970. La musique du groupe a été introduite à Terre-Neuve par un marchand de Saint-Jean qui a vendu leurs disques un peu partout et qui s’est servi des radios locales pour promouvoir leur musique. Le succès et l’influence de ce groupe sur le répertoire des chanteurs locaux est à mettre directement en rapport avec la quête d’une tradition musicale autonome par les Terre-neuviens à une période de transformations politiques et sociales—le passage d’une colonie britannique à une province canadienne, et l’émergence d’une nouvelle classe moyenne.

Blanca CHESTER

Text and Context: Form and Meaning in Native Narratives

Des récits enregistrés et transcrits par Wickwire, avec Robinson, un conteur de la vallée de l’Okanagan, sont comparés avec des récits recueillis par Teit il y a près d’un siècle. Certains aspects de leurs contextes de production sont comparés et leurs effets sur le sens sont étudiés dans trois perspectives: le contexte d’interprétation structurale, le contexte du discours et le contexte comme gestalt culturel. La définition de contexte est élargie pour inclure des facteurs culturels et linguistiques qui existent en dehors de la narration elle-même, et certains des avantages du traitement des récits oraux comme de la poésie sont soulignés.

Marcel MOUSSETTE, Jean-Claude DUPONT

Imaginaire de l’habitation vue à travers les ouvertures

L’environnement matériel de l’homme répond à un certain nombre de ses besoins essentiels qui peuvent être divisés en trois catégories: les besoins physiologiques, les besoins de sécurité et les besoins d’épanouissement. En s’inspirant de cette grille, nous avons pris la maison comme une unité de base, un microcosme de l’environnement matériel dans le but de savoir comment l’habitation satisfait aux besoins essentiels de l’homme. Pour mieux comprendre son fonctionnement, nous avons envisagé d’observer les ouvertures (portes, fenêtres, soupiraux, trappes, drains, cheminées, tuyaux, etc.) et de suivre le mouvement des gens et des objets tant vers l’intérieur (intrant) que vers l’extérieur (extrant) de la maison. De plus, nous avons comparé la maison rurale traditionnelle et la maison de banlieue d’aujourd’hui.