Volume 15-2

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Vol. 15-2 – 1993

Regular Issue

Articles

Jocelyne MATHIEU

Femmes et traditions

Depuis quelques années le thème  » femme  » retient l’attention et ce, dans plusieurs disciplines comme l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, la géographie etc1. Même si le sujet ne semble pas nouveau, la vision ethnologique peut encore apporter un éclairage intéressant quant à la place des femmes dans la construction de la culture. C’est le but de ce numéro thématique2.

À cause de leur fonction procréatrice, les femmes sont le plus souvent associées à la transmission3, parce qu’elles véhiculeraient,  » par nature « , des valeurs traditionnelles, favorisant la continuité. Pourtant, dans toute l’ambiguïté des personnages créés, elles incarnent aussi la transgression, ce qui leur confère un statut menaçant pour la société. Parce que l’on s’en méfie, elles essuient régulièrement l’ostracisme, ou bien, conscientes de leur ambivalence intrinsèque, elles se retirent souvent d’elles-mêmes4. Dans plusieurs sociétés, les femmes sont déchirées entre les forces de la tradition et celle de la modernité. Celles qui doivent s’adapter à toutes les situations pour mieux répondre aux besoins quotidiens, aspirent à la libération des contraintes, même si elles doivent, plus tard, en payer le prix5. Il reste que, obligées, malgré elles, à une certaine fidélité à l’image qu’on en a, elles errent entre la famille et la société, entre la maternité et la carrière, en somme entre la tradition et la modernité.

Le premier article de ce numéro donne le ton :  » La tradition du secret  » aborde le problème du silence des femmes, en l’occurrence ici, autour des menstruations et des tabous qui s’y rattachent. Suzanne Lussier, démontre que transmettre dans le silence relève d’un certain exploit et que les pratiques sont indicatives des lents changements de mentalité. Menstruations et reproduction étant étroitement liées, Francine Saillant et Hélène Laforce reprennent le problème du silence en rapport avec les pratiques liées à la vie et à la mort. Enfanter ou non, accepter ou non de transmettre la vie, voilà un stress qu’on oublie souvent de mentionner quand il s’agit de cette époque que plusieurs qualifient trop souvent de  » belle « . A cause de la fonction que leur confère leur corps, bien des femmes se replient sur elles-mêmes, comme en témoignent de nombreuses enquêtes sur le terrain. Des choix, en effet, les femmes en ont officiellement eu très peu, qu’il s’agisse de l’intégrité de leur corps ou de leur apparence. Suzanne Marchand le rappelle dans sa note de recherche : depuis toujours les femmes subissent une forte pression sociale et, encore maintenant, leur physique conditionne souvent et ce, bien malgré elles, les premières impressions qu’on retient d’elles.

Devoir affronter les préjugés et tenter de les combattre, voilà la réalité de bon nombre de femmes, voire de la majorité. Même sous le couvert de l’humour, certaines opinions et attitudes sont tenaces, comme on peut le constater dans l’analyse de Pauline Greenhill et al. Les blagues expriment, par l’humour, les malaises qui caractérisent encore les rapports homme-femme. Pourtant ces rapports ont changé, du moins en apparence. La société a évolué dans le sens d’un rapprochement des femmes vers le profil masculin et favorise les réunions qui mêlent hommes et femmes dans un même contexte. L’exemple du  » shower  » apporté par Gail Grant, est très révélateur de ce changement de comportements.

La dichotomie tradition versus modernité ne renvoie plus nécessairement, comme c’était le cas à l’époque que l’on désigne généralement par le terme  » traditionnel « , aux mondes rural et urbain. Ainsi, Nathalie Hamel montre, à partir d’exemples provenant d’enquêtes effectuées dans la Beauce6, qu’il faut nuancer l’image de la femme rurale, industrieuse, ingénieuse et aux mains agiles. Cela correspondrait à une époque où la réalité économique obligeait à une autosuffisance qui mettait à l’épreuve leur capacité d’adaptation et leur débrouillardise. Le goût du tout-fait et l’attrait des modes rejoignent toutes les populations. Pour ce qui est d’Alourdes Amédée, elle s’intéresse plutôt à la situation de la chanson traditionnelle chez les Haïtiennes émigrées à Montréal. Chanteuses spontanées dans leur pays d’origine, elles doivent s’adapter à un nouveau contexte qui leur dicte un autre rythme de vie. Les médias prennent alors le relais de la transmission orale. De plus, fait intéressant à noter, les interdits religieux entourant les chansons vaudou en Haïti ne survivent pas à Montréal. Les Haïtiennes les ont donc réintégrées dans leur répertoire qui s’en trouve ainsi enrichi. Dans ce cas, c’est la tradition qui a permis de faire revivre, en ville, ces pratiques pourtant vouées à l’abandon, renforçant d’autant leur identité dans leur pays d’adoption.

Le thème de  » Femmes et traditions  » peut être abordé par le rapport des femmes à la transmission, par les rôles qu’on leur attribue, par leurs activités, par leur apparence, etc., en somme par le vécu des femmes en tenant compte des traditions. On peut aussi comprendre le sujet du point de vue de l’observation et de l’analyse que font les femmes sur elles-mêmes et sur la société. Comme dans d’autres domaines des sciences humaines et sociales, certaines scientifiques se sont démarquées.

Ainsi, en est-il d’Helen Creighton, présentée par Diane Tye, qui a joué un rôle important pour la compréhension et l’exercice même du folklore. Femme de terrain, elle se révèle à la fois porteuse et fine analyste des traditions. Quant à Laurel Doucette, elle présente une analyse critique sur l’ensemble des études de folklore au Canada, mettant surtout en lumière le travail des femmes et la perspective féministe7. Cet article incite au questionnement et provoque une réflexion, comme c’est souvent le propre des femmes d’agir comme catalyseurs.

Barbara Leblanc enfin, s’interroge sur le mythe d’Évangéline. L’auteure propose plusieurs niveaux de lecture de cette histoire qui a marqué la pensée collective des Acadiens. À travers la vie, romancée, d’une femme qui aurait pu demeurer ordinaire et anonyme, se dégagent les caractéristiques d’une société. C’est toute une construction qui s’érige, dans laquelle un peuple se reconnaît.

 » Femmes et traditions  » veut en somme faire le rapport entre l’action des femmes et la transmission de la culture. Qu’elles soient mères ou non, les femmes jouent un rôle social dans la dynamique des relations, tant au quotidien et que lors des rites de passage.

Dans ce numéro, la section des comptes rendus propose une innovation : outre les comptes rendus classiques de livres, nous présentons un rapport d’enquête faisant état d’une collection de vêtements méconnue. De plus, s’ajoute un texte d’une conférence de Françoise Loux, reliée au thème proposé. Cette initiative a pour but d’offrir aux lectrices et aux lecteurs davantage d’informations dans un domaine où le livre n’est qu’un type de production parmi d’autres.

1. Pour le Québec, Denyse Baillargeon a récemment publié une synthèse historiographique :  » Histoire orale et histoire des femmes : itinéraires et points de rencontre « , Temps et mémoire de femme, dans le numéro dirigé par Micheline Dumont et Nadia Fahny-Eid,Recherches féministes, 6, 1, 1993, p. 54-68 ; en sociologie, voir Nicole Laurin-Frenette,  » Les femmes dans la sociologie « ,Sociologie et sociétés, 13, 2, oct. 1981, p. 3-18 ; en anthropologie, Huguette Dagenais,  » Méthodologie féministe et anthropologie : une alliance possible « , Anthropologie et sociétés, II, I, 1987, p. l 944 ; en géographie, Anne Gilbert et Damaris Rose,  » Espaces et femmes : pour une géographie renouvelée « , Cahiers de géographie du Québec, 31, 83, 1987, p. 137-141. Soulignons aussi, parmi les très nombreuses parutions sur le sujet, les ouvrages de Colette Carisse, Yolande Cohen, Johanne Daigle, Hélène Laforce, Marie Lavigne et Denise Lemieux, sans oublier le collectif Clio sur l’Histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Les quinze, 1982, édition entièrement revue et mise à jour, Montréal, Le Jour, 1992. En ce qui concerne la France, retenons en particulier l’ouvrage magistral dirigé par Georges Duby et Michèle Perrot : Histoire des femmes en Occident, Paris, Plon, 1991.

2. En ce qui concerne le rapport entre femmes et culture, consulter l’excellent bilan historiographique de Cécile Dauphin et al., » Culture et pouvoir des femmes : essai d’historiographie « ,Annales ESC, 2, mars-avril 1986, p. 271 -293.

3. À ce propos, on peut consulter en particulier l’étude de Denise Lemieux et Lucie Mercier, Les femmes au tournant du siècle 1880-1940, âges de la vie, maternité et quotidien, dans laquelle elles proposent une analyse qui tient compte à la fois des aspects historiques et sociologiques du vécu des femmes.

4. Yvonne Verdier par exemple apporte plusieurs témoignages sur l’interdit des menstruations, entre autres dans son ouvrage Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la couturière, la cuisinière, Paris, Gallimard, 1979, particulièrement dans le chapitre sur la physiologie (p. 19-74).

5. En ce qui a trait au Québec, on n’a qu’à penser à l’image véhiculée ces dernières années à propos des cercles des fermières, soit celle de femmes traditionnelles réunies pour tisser et échanger des recettes. À leur fondation, l’objectif des cercles était pourtant tout autre : assurer la promotion des femmes et leur permettre de sortir de la maison pour apprendre, grâce à des spécialistes, et socialiser entre elles. Les cercles de fermières ont beaucoup fait pour donner aux femmes un accès à la modernité et à l’espace public. C’est ce que démontre Yolande Cohen dans Femmes de parole. L’histoire des cercles de fermières du Québec 1915-1990,Montréal, Le Jour, 1990.

6. Ces enquêtes ont été effectuées durant l’été de 1991, dans le cadre du projet de recherche portant sur  » L’influence de la mode sur le costume québécois « , dirigé par Jocelyne Mathieu et subventionné par le CRSH.

7. Dans cette perspective, Laurel Doucette a d’ailleurs contribué à l’ouvrage intitulé Undisciplined Women qui doit paraître prochainement sous la direction de Pauline Greenhill et Diane Tye.

Suzanne LUSSIER

La tradition du secret

Si l’étude des menstruations nous raconte le quotidien des femmes d’autrefois, la publicité reliée aux serviettes sanitaires nous renseigne sur l’image que la société leur renvoyait de leur corps. Mais au-delà de l’histoire officielle de la génitalité féminine, de l’arrivée des serviettes sanitaires et du développement d’une publicité spécialisée, il existe aussi une tradition des pratiques et des rituels que se sont transmis des générations de femmes dans le plus grand silence.

Francine SAILLANT et Hélène LAFORCE

Médecine domestique et pratiques sociales entourant la reproduction chez les Québécoises

Ce texte présente les résultats de recherches portant, d’une part sur la médecine domestique des familles et des femmes québécoises de la fin du xixe siècle aux années cinquante et, d’autre part sur l’histoire de la fécondité au Québec depuis le Régime français. On y présente les différentes façons de faire face à une grossesse indésirée, et cela, avant l’introduction des notions modernes de contraception et d’avortement. Les pratiques relevant de la médecine domestique (contrôle du temps de l’allaitement, du déclenchement des règles, facilitation de l’accouchement et de la fausse couche), ainsi que les pratiques sociales (abandon des enfants, infanticide) sont abordées et discutées.

Pauline GREENHILL, Kjerstin BALDWIN, Michelle BLAIS, Angela BROOKS and, Kristen ROSBAK

25 Good Reasons why Beer is Better than Women and Other Qualities of the Female: Gender and the Non-Seriousness of Jokes

Par une analyse des rapports de force évoqués dans le discours, l’étude de blagues se moquant des  » blondes  » et le xerox-lore intitulé  » 25 bonnes raisons qui expliquent pourquoi une bière est meilleure qu’une femme « , qui est bien connu de la culture des bureaux en Amérique du Nord, permet de faire ressortir des stratégies de domination patriarcale. On exige des femmes qui les entendent ou qui les lisent de les prendre au sérieux, mais, en même temps, de les accepter comme étant amusant. Notre approche met l’analyse du discours au service des théories féministes en démontrant comment, dans des contextes de communication intersexuelle où des femmes se retrouvent face à des hommes qui racontent des blagues sur leurs  » blondes « , les possibilités de réponse disponibles aux femmes sont limitées et inefficaces. Plusieurs exemples montrent que même lorsque des femmes déploient des stratégies pour contrer les blagues, celles-ci sont problématiques et forcent les femmes à faire un choix entre des possibilités tout aussi indésirables les unes que les autres, de sorte que le fait de faire un choix est opprimant en soi.

Gail Paton GRANT

Getting Started: Outfitting the Bride in Seaside

Cette étude examine le trousseau des futures mariées et la période de transition pendant laquelle une jeune fille se prépare au mariage. Les fêtes organisées pour donner les cadeaux à la future mariée (bridal showers)s’apparentent à des rituels entre femmes. Ces rituels servent à sensibiliser les futures mariées au rôle idéalisé qui les attend, celui d’épouse et de mère de famille. Des enquêtes sur le terrain nous permettent d’observer que des transformations sociales, plus spécialement l’évolution des rapports entre les sexes, ont modifié l’organisation de ces fêtes.

Nathalie HAMEL

Rencontre de la tradition et du modernisme: les vêtements dans la Beauce du xxe siècle

Bien que le début du xxe siècle constitue une période d’industrialisation et de développement des communications au Québec, les élites continuent, à cette époque, à valoriser l’image de la famille québécoise traditionnelle vivant en milieu rural et de façon autarcique. L’étude de la provenance des vêtements dans la Beauce nous permet cependant de nuancer certaines idées concernant la production domestique et artisanales des vêtements.

Alourdes AMÉDÉE

Les chanteuses haïtiennes à Montréal: des témoins d’une culture

En Haïti, la chanson, largement véhiculée par les femmes, accompagne presque tous les gestes quotidiens qui, dans bien des cas, se réfèrent aux activités domestiques. Cet article présente les résultats d’une recherche menée auprès de femmes haïtiennes venues s’établir à Montréal. Que chantent-elles dans une culture qui n’est pas la leur ? Y-a-t-il perte ou maintien de leur répertoire traditionnel ? Quelle(s) fonction(s) sociale(s) ces chansons avaient-elles dans leur propre culture et dans leur culture d’adoption ? Lorsque la tradition se maintient, ces chansons sont-elles transmises, et si oui comment, à la nouvelle génération native, elle, de Montréal ? Telles sont les questions auxquelles tente de répondre cette étude.

Diane TYE

'A Very Lone Worker' : Woman-Centred Thoughts on Helen Creighton’s Career as a Folklorist

Cet article étudie les rapports entre le travail d’Helen Creighton comme femme et sa place parmi les folkloristes canadiens. Sa conception du folklore— que l’on retrouve à la fois dans ce qu’elle a recueilli, dans sa manière de le recueillir ainsi que dans la diffusion de ses travaux—aussi bien que l’accueil qu’elle reçut du public et des savants sont liés, en partie, à des normes de conduite féminine, selon la définition de la société et selon sa propre définition. Maintenant que son travail est abordé dans de nouvelles perspectives et estimé pour son éclectisme, il montre à quel point les marginaux voient les choses dans une optique différente.

Laurel DOUCET

Voices Not Our Own

On peut mieux comprendre le sous-développement des études ethnologiques au Canada par l’étude de la pertinence des activités de recherche dans ce domaine par rapport au milieu universitaire canadien et, plus généralement, à la société canadienne. Une critique féministe des modèles théoriques et des pratiques de la recherche ethnologique au Canada démontre que la discipline continue à être influencée par plusieurs paradigmes reçus, notamment par le modernisme, le colonialisme, le nationalisme romantique et le structuralisme ; leur conservation sert à préserver les modèles cognitifs et les structures du pouvoir en place et à empêcher la participation à part entière des femmes au développement de l’ethnologie au Canada. Réclamer le champ des études culturelles canadiennes exige l’adoption d’une nouvelle perspective intellectuelle axée sur les principes féministes de l’égalité, de l’inclusion et de partage du pouvoir, sans oublier le respect de l’expérience du terrain, celle de nos ethnologues et des gens dont nous étudions la culture.

Barbara LE BLANC

Evangeline as Identity Myth

Cet article étudie Évangéline comme un mythe identitaire qui, à la fin du xixe et au commencement du xxesiècle, a contribué à créer un sentiment d’appartenance entre les membres de la collectivité acadienne. Après un bref aperçu des quatre étapes du mythe—printemps, été, automne et hiver—nous considérons les quatre dimensions du mythe, géographique, économique, sociologique et cosmologique, permettant de voir comment l’utilisation du réel dans un mythe sert de lien important entre le présent et le passé lointain. Finalement, nous examinons les trois phases vitales d’un mythe, en débutant par la phase primaire de création, suivie de la phase implicite d’acceptation du mythe, pour en arriver à la phase de rationalisation et de questionnement. Cette étude des phases du mythe nous permet de percevoir ses variations d’intensité à travers le temps.

Suzanne MARCHAND

Souffrir pour être belle: une tradition féminine toujours d’actualité (note de recherche)

Depuis des siècles, les femmes souffrent pour être belles. En fait, s’il est une tradition féminine qui n’a rien perdu de sa force, au contraire, c’est bien la recherche passionnée de la beauté, quelles que soient les souffrances à endurer pour y parvenir. Cet article tente d’expliquer la persistance de cette tradition en retraçant les principaux facteurs ayant contribué à accroître la dictature de la beauté féminine depuis le début du XXe siècle et en démontrant que, tout comme dans le passé, la beauté constitue toujours, surtout pour les femmes, un atout fort appréciable.

Christiane NOEL

Compte rendu d’enquête: une collection de vêtements gaspésiens (1867-1940) (note de recherche)

Françoise LOUX

Françoise LOUX La place des rituels dans les soins au cours du cycle de vie (texte de conférence)