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Vol. 17-1 – 1995
Regular Issue
Ce numéro de Canadian Folklore Canadien est consacré tout entier aux Amérindiens. Une réflexion et une mise au point sur l’ethnologie des premières nations nous semblaient souhaitables pour rappeler leur rôle dans la composition pluriethnique de la société canadienne et aussi pour leur faire une place dans notre discipline. L’exercice paraissait d’autant plus justifié que les ethnologues d’ici se sont peu préoccupés des Amérindiens. Depuis la fondation de notre revue en 1979, on compte trois articles seulement sur les Amérindiens, tous en langue anglaise1. Le seul publié en français sur le sujet est de Robert-Lionel Séguin, dans la Revue d’ethnologie du Québec qu’il a créée et qui est morte prématurément avec lui en 1982. Qui plus est, cet article isolé est quelque peu » réducteur » de l’influence autochtone dans la mesure où l’auteur s’efforce de démontrer que la ceinture fléchée n’est pas d’origine amérindienne, comme le prétendait Marius Barbeau, mais bien d’origine française2. Par ses conclusions, l’étude de Robert-Lionel Séguin s’inscrit dans le sillage de la pensée ethnologique francophone qui, depuis Luc Lacourcière, tend à faire remonter nos récits oraux et nos objets matériels à l’ancienne France, voire même à la France médiévale3. On observe ce même courant chez les historiens dans la lignée de Lionel Groulx. Comme des historiens ont fait pour la famille et l’ensemble de la société, des ethnologues ont établi pour la chanson, le conte et le mobilier une généalogie qui permettait de renouer avec les origines françaises et de » présenter la race comme pure, exempte de métissage avec l’allophone et en particulier avec l’Amérindien4. « . Franciser la culture était, selon la formule de Gérard Bouchard, un moyen pour la minorité francophone » d’aménager et de consolider » un espace distinct en Amérique du Nord.
On aurait tort, cependant, de laisser croire que les Amérindiens ont été complètement évacués de notre pratique ethnologique. Ils apparaissent, ici et là, en filigrane. Cyril; Simard a consacré un tome de sa collection sur l’artisanat québécois aux Amérindiens et aux Esquimaux5, et Michel Noël a écrit, entre autres, un livre sur l’art décoratif et vestimentaire des Amérindiens du Québec6. Plus récemment, Jean-Claude Dupont a publié deux petits livres: un premier sur les légendes amérindiennes et un second sur la culture matérielle des Amérindiens du Québec7. Edith Fowke et Carole Carpenter n’ont pas oublié, non plus, les premières nations – Amérindiens et Inuit- dans leur manuel d’ethnologie du Canada anglais8.
Il n’en reste pas moins que les Amérindiens ont reçu un traitement plutôt marginal, de la part des anglophones et des francophones, même s’ils sont encore très présents, culturellement et politiquement. Les ethnologues de langue anglaise ont accordé beaucoup plus de temps à l’étude des groupes ethniques du Canada qu’à l’étude des groupes autochtones. Pourtant, l’intérêt pour les Amérindiens demeure présent et prononcé chez les ethnologues américains et, plus particulièrement, chez plusieurs des ténors de la discipline, comme Alan Dundes, Barre Toelkon et Dell Hymes9. Fait significatif, on compte cinq articles sur les Amérindiens dans les huit derniers numéros du Journal of American Folklore10. S’il n’est pas nécessaire d’imiter les Américains pour être des ethnologues accomplis, on ne saurait les ignorer: nous pratiquons la même discipline et nous partageons avec eux une histoire coloniale qui a profondément marqué nos pratiques culturelles et nos croyances.
Ce désintérêt des ethnologues actuels est d’autant plus surprenant que le fondateur de la discipline au Canada, Marius Barbeau, a consacré une large partie de son œuvre aux Amérindiens. Bien que ses nombreuses études d’ethnologie québécoise fondent surtout aujourd’hui sa notoriété, ses premiers travaux — et ceux qui lui ont mérité une réputation internationale — portaient sur les Amérindiens. Élève, grâce à une bourse Rhodes, de Reynold Marrett à Oxford et de Marcel Mauss à paris, ce fils d’un cultivateur de Sainte-Marie de Beauce s’est d’abord intéressé aux mâts totémiques des groupes autochtones de la côte Pacifique du Canada. De retour au pays en 1911, pour faire son terrain après une absence de trois ans, il s’est vu confier une tout autre mission. Son poste à la Commission de géologie du Canada, à Ottawa, lui donnait le mandat de recueillir les récits oraux des Hurons-Wendats du Québec, de l’Ontario et de l’Oklahoma11. La préoccupation première de Barbeau, qu’il partageait avec la plupart des ethnologues de son époque, était de transcrire et de conserver les traditions orales des Hurons-Wendats, que l’on jugeait alors menacées d’extinction12. Fortement inspiré par l’ethnologie de la sauvegarde et par le diffusionnisme de Franz Boas, il trouva dans le riche corpus des récits hurons-wendats la matière de ses premiers articles scientifiques : le premier parut dans l’American Anthropologist en 1914 et le deuxième dans le Journal of American Folklore en 191513. La même année, il publia une édition commentée des récits recueillis14 et entreprit une enquête sur les mâts totémiques en Colombie-Britannique, projet qu’il caressait depuis ses études à Oxford. Cette enquête, qu’il allait poursuivre pendant près d’un demi-siècle, aboutit à la publication d’une première monographie en 1929 sur les totems de la rivière Skeena et d’une synthèse magistrale, Totem Poles, en deux volumes, parue en 1950 et encore utilisée aujourd’hui par les spécialistes15. Marius Barbeau nous a laissé une quarantaine de publications – livres, articles et rapports – sur les Amérindiens.
Ce numéro thématique de Canadian Folklore Canadien veut renouer avec la tradition établie par Marius Barbeau, non pas pour réactualiser son œuvre, ni pour la commémorer. Les entreprises de ce genre se résument trop souvent à des célébrations stériles dans la mesure où elles entretiennent le statu quo. Notre projet vise plutôt à générer de nouvelles pistes de recherches qui, nous l’espérons, permettront de compléter et d’enrichir l’œuvre pionnière de Marius Barbeau.
Un premier problème que soulève l’œuvre de Barbeau, et l’ethnologie des Amérindiens de manière générale, est celui de la précision chronologique et histonque16. Sa méthode historico-géographique lui fournit une bonne prise sur la géographie et l’univers mythique, mais une maîtrise beaucoup moins sûre de l’histoire. S’il réussit à localiser l’origine des mythes hurons-wendats et les mâts totémiques de la côte Pacifique, il éprouve plus de mal à les situer dans le temps17. C’est essentiellement par une lecture des motifs et des informations contenus dans les récits eux-mêmes qu’il parvient à tirer des conclusions sur la date de leur production et leur durée dans le temps. Pour les mâts totémiques, cette méthode de datation, étroitement ethnologique, l’a induit en erreur. Il soutenait que la pratique des totems était très récente, remontant au début du xixe siècle ou à la fin du xviiiesiècle tout au plus, et il mettait cette pratique en rapport avec l’apparition de la traite des fourrures. Même si le développement des échanges avec les Blancs au xixe siècle correspond à une période d’épanouissement des figures totémiques, les archéologues ont bien montré que les blasons sculptés sur bois existent au moins depuis l’an mil de notre ère18.
De notre côté, nous avons fait appel à d’autres disciplines – l’histoire, bien sûr, mais aussi l’archéologie et la critique littéraire – pour construire un corpus à partir de sources varices et envisager des recoupements d’informations. Ainsi, tous les articles de ce recueil possèdent des jalons chronologiques précis, des segments temporels bien circonscrits. De plus, chaque auteur traite d’un sujet à partir d’une catégorie principale de sources, car les sources (manuscrites, imprimées, iconographiques, matérielles, etc. ) sont différentes dans leur nature, dans leurs visées et dans leur valeur interprétative. Leur exploitation exige donc souvent des connaissances et une approche particulières. Louise Côté, Jean Lévesque et Martin Fournier ont privilégié l’analyse thématique et narratologique de la relation de voyage, forme canonique par excellence de l’écrit sur l’Amérindien. Anne-Hélène Kerbiriou nous montre que la photographie en tant que » l’impression des choses vues « , construit son objet de manière très différente de la relation de voyage, qui est plutôt une » expression des choses vues « . Le récit historique a aussi son système de fonctionnement que Patrice Groulx appelle, dans le cas étudié, » commémoratif « . Si les documents écrits portent presque toujours des dates, c’est rarement le cas des objets matériels. Gisèle Piédalue souligne les difficultés que pose la datation des objets à l’archéologie de la période des » contacts « . Les récits oraux représentent encore un autre mode de fonctionnement, que Barbara Rieti juge beaucoup plus complexe et pernicieux que ne laisse croire leur apparente simplicité. Luca Codignola, Giovanni Pizzorusso, Matteo Sanfilippo et Claire Gourdeau nous dévoilent les particularités des archives religieuses, celles du Vatican et des Congrégations de Rome, ainsi que celles des Ursulines de Québec, restées longtemps inaccessibles au public.
Procédant par études de cas ou d’objets, nous essaierons de comprendre le fonctionnement de ceux-ci dans leur contexte de production et d’étudier les méthodes d’analyse disciplinaires employées pour en rendre compte. La comparaison des source et des méthodes ne vise pas seulement à vérifier les résultats de la recherche disciplinaire, mais aussi à examiner l’application des approches à d’autres objets et à d’autres contextes.
Notre deuxième préoccupation porte sur la perspective adoptée. Barbeau opte pour une vision » de l’intérieur « , qui privilégie le fonctionnement interne des groupes amérindiens. Tant dans l’étude des récits hurons-wendats que dans celle des mats totémiques, il s’efforce de comprendre la cosmologie des groupes étudiés et de mettre au jour les fonctions sociales et éthiques des mythes amérindiens. Cette ethnologie » de l’intérieur » semble rejoindre les préoccupations et l’approche des Amérindiens actuels. Ainsi, l’historien huron-wendat Georges Sioui qualifie l’apport de Barbeau de » génial et colossal » et affirme qu’il a eu » le bonheur et le plaisir de puiser abondamment à cette source… 19 « . Il termine en soulignant que l’œuvre de Marius Barbeau » constitue une mine d’informations indispensables pour quiconque s’intéresse non seulement à l’histoire et à la pensée wendates, mais à la culture profonde partagée par tous les peuples autochtones de ce continent… 20 « .
Malgré l’utilité actuelle des travaux de Marius Barbeau, nous avons choisi une autre perspective, celle » de l’extérieur « . Cet ensemble d’articles se situe sur le registre de la représentation européenne de l’Amérindien, que nous croyons tout aussi riche d’enseignements.
Tous les articles de ce recueil traitent donc de la manière dont l’Européen représente et, par là même, manipule l’image de l’Amérindien21. Barbara Rieti explique comment les récits des Euro-Canadiens de Terre-Neuve sur les sorcières amérindiennes, munies de pouvoirs surnaturels, contribuent à marginaliser et à exclure les Amérindiens micmacs de la société terre-neuvienne. Pour Patrice Groulx, l’Amérindien symbolise, dans le récit de la Bataille du Long-Sault tel que l’ont construit les collaborateurs de la revue L’Action française, toutes les menaces qui pèsent sur la société canadienne-française au début du siècle. Anne-Hélène Kerbiriou démontre que, par la photographie, les missionnaires oblats du Nord-Ouest canadien encadrent, centrent, rapprochent et rendent accessibles quelques Amérindiens dispersés aux marges du monde habité. L’espace est volontairement réduit pour que l’Autre puisse » ainsi être atteint « . C’est sans doute la relation de voyage qui a le mieux réussi à faire imaginer le » sauvage « . Dans son Grand voyage du pays des Hurons, le missionnaire récollet Gabriel Sagard décrit l’alimentation huronne de manière à convaincre le lecteur de son adaptation au milieu amérindien, comme l’expose Louise Côté. Le jésuite Paul Lejeune, qui se considère comme un » soldat du Christ « , emploie des moyens rhétoriques raffinés pour relater son » combat » missionnaire (Martin Fournier) contre Satan. De même, chez Samuel de Champlain en Nouvelle-France et chez John Smith, colonisateur de la Virginie et de la Nouvelle-Angleterre, il se révèle derrière l’image de l’Amérindien » un projet colonial et une volonté de domination » (Jean Lévesque). Dans bien des cas, la manipulation dépasse l’image pour atteindre directement le corps. Claire Gourdeau explique comment les Ursulines transformaient leurs pensionnaires amérindiennes en leur attribuant un nouveau nom, en les baignant et en les habillant et coiffant à la mode française. La conversion des esprits et des corps atteint sans doute son apogée au xixe siècle lorsque les missionnaires parviennent à former à Rome de jeunes Amérindiens pour qu’ils puissent convertir eux-mêmes leurs compatriotes (Giovanni Pizzorusso).
Les Amérindiens que Marius Barbeau voyait condamnés à l’acculturation et à l’extermination au début du siècle sont encore bien vivants. Ils sont politiquement plus forts et culturellement plus riches qu’ils ne l’étaient au temps de Barbeau. Grâce à leur différence, ils nourriront encore longtemps notre réflexion et la leur sur l’ethnologie de l’altérité.
1. Il s’agit des articles de Pamela BLACKSTOCK, » Nineteenth-Century Fur Trade Costume « , Canadian Folklore Canadien, vol. 10 no5 1-2, 1988, p. 183-208; Bianca CHESTER, » Text and Context: Form and Meaning in Native Narratives « , Canadian Folklore Canadien, vol. 13, no 7, 1991, p. 69-81; Roger PARADIS, » Lisa – A Young Indian Slave » Canadian Folklore Canadien, vol. 14, no 2, 1992, p. 95-112.
2. Robert-Lionel SÉGUIN, » Le fléché québécois serait-il d’origine française? « , Revue d’ethnologie du Québec, vol. 12, 1980, p. 7-19. Nous ne discutons évidemment pas ici du caractère fondé ou non de la thèse de Séguin.
3. Conrad Laforte est sans doute celui qui a le plus insisté sur ces survivances françaises et médiévales dans ses travaux sur les chansons de tradition orale. Voir, entre autres, Conrad LAFORTE, Survivances médiévales dans la chanson folklorique, Québec, Presses de l’Université Laval, 1981; et Le Catalogue de la chanson folklorique française, Québec, Presses de l’Université Laval, 1977.
4. Gérard BOUCHARD, » Une nation, deux cultures: continuité et ruptures dans la pensée québécoise traditionnelle (1840-1960) « , dans Gérard Bouchard (sous la direction de), La construction d’une culture: le Quéhec et l’Amérique française, Québec, Presses de l’Université Laval, 1993, p. 12. 5. Ibid. , p. 13-14.
5. Cyril SIMARD et Michel NOËL, Artisanat québécois 3. Indiens et Esquimaux, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 1977.
6. Michel NOÊL, Art décoratif et vestimentaire des Amérindiens du Québec, XVIe-XVIIle siècles, Montréal, Leméac, 1979.
7. Jean-Claude DUPONT, Légendes amérindiennes, Québec, Les Éditions Dupont, 1992; Les Amérindiens du Québec: Culture matérielle, Québec, Les Éditions Dupont, 1993.
8. Edith FOWKE et Carole CARPENTER, Explorations in Canadian Folklore, Toronto, McClelland and Stewart, 1985.
9. Alan DUNDES, The Morphology of North American Indian Folktales, Helsinki, FF Communications, 1964; » North American Indian Folklore Studies » Journal de la Société des Américanistes, vol. 56, 1967, p. 53-79; Barre TOELKEN, » The ‘Pretty Languages’ of Yellowman: Mode and Texture in Navaho Coyote Narratives « , Genre, vol. 2, 1969, p. 211 -235; The Dynamics of Folklore, Boston, Houghton MiMin, 1979; Dell HYMES, » Folklore’s Nature and the Sun’s Myth » Journal of American Folklore, vol. 88, 1975, p. 345-369; Dell HYMES, » /n vain I tried to tell you « : Essays in Native American Ethnopoetics, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1981. Signalons aussi le travail de Karl KROEBER, Traditional American Indian Literatures: Texts and Interpretations,Lincoln, University of Nebraska Press, 1981.
10. Il s’agit des articles suivants: Wolfgang MIEDER, » The Only Good Indian is a Dead Indian: History and Meaning in a Proverbial Stereotype « , Journal of American Folklore, vol. l 06, no 419, 1993, p. 38-60; Barbara A. BABCOCK, » Pueblo Cultural Bodies « ,Journal of American Folklore, vol. 107, no 423, 1994, p. 40-54; Sylvia RODRIGUEZ, » DePended Boundaries, Precarious Elites: The Arroyo Matachines Dance « , Journal of American Folilore, vol. 107, no 424, 1994, p. 248-267; Thomas SOLOMON, » Coplas de Todos Santos in Cochambamba « , Journal of American FolÈlore, vol. l07, n• 425, 1994, p. 378-414;etAdrienne MAYOR, » The Nessus Shirt in the New Worid: Smalipox Blankets in History and Legend « , Journal of American Folklore, vol. 108, no 427, 1995, p. 54-77. Les huit numéros retenus couvrent la période allant de l’hiver 1993 à l’hiver 1995 et comptent un total de 23 articles. Ainsi, les articles traitant des Amérindiens représentent un peu plus du quart de l’ensemble.
11. Pierre BEAUCAGE, » Rencontres avec les Wendats: jalons de deux itinéraires « , dans Pierre Beaucage, Charles Marius Barbeau: mythologie huronne et wyandotte, 1ère édition française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1994, p. xxiii-xxiv. Nous remercions Jean Du Berger pour nous avoir signalé l’existence de cette édition récente.
12. Edward SAPIR, » An Anthropological Survey of Canada « , Science, vol. 34, no 884, 1911, p. 793.
13. Marius BARBEAU, » Supematural Beings of the Huron and Wyandot « , American Anthropologist, vol. l 6, no 2, 1914, p. 288-313; et » Wyandot Tales, Including Foreign Elements « , Journal of American Folklore, vol. 28, 1915, p. 83-95.
14. Le recueil a été publié en anglais sous le titre » Mythology Huron and Wyandot « , Memoirs of the Canadian C;eological Survey,80, Coll. » Anthropological Series « , no 11, Ottawa, Department of Mines, 1915, 437 p. Il vient enfin d’être traduit et présenté en français par Pierre Beaucage, sous le titre Mythologie huronne et wyandotte, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1994.
15. Marius BARBEAU, Totem Poles, Coll. » Anthropological Series « , no 30, Ottawa, National Museum of Canada, 1950, 2 volumes. L’ouvrage a été réédité en 1990 par le Musée canadien des civilisations, mais il attend toujours une traduction en langue française.
16. Voir, à ce sujet, l’article très éclairant de George LANKFORD, » The Unfulfilled Promise of North American Indian Folklore « , dans Richard M. Dorson (sous la direction de), Handbook of American Folblore, Bloomington, Indiana University Press, 1983, p. 21.
17. Marius BARBEAU, Mythologie huronne et wyandotte, dir. par Pierre Beaucage, p. 15; Marius BARBEAU, Totem Poles, dir. par George MacDonald, Ottawa, Canadian Museum of Civilization, 1990 (réédition intégrale de 1950), vol. 1, p. 4-15, 21-28.
18. George MACDONALD, » Foreword « , dans Marius Barbeau, Totem Poles, p. viii-ix.
19. Georges Émery SIOUI, » Présentation « , dans Marius Barbeau, Mythologie, p. xxviii-xxix.
20. Ibid. , p. xxix.
21. Sur la représentation de l’lndien dans les textes et l’iconographie, voir le collectif sous la direction de Gilles THÉRIEN, Les Figures de l’lndien, Cahiers du Département d’études littéraires, Université du Québec à Montréal, 1988 (réédition: Montréal, Hexagone, coll. Typo, 1995).
Cet article s’interroge sur la signification sociale de la tradition orale observée parmi la population blanche de Terre-Neuve, voulant qu’un Indien offensé puisse jeter un sort à son offenseur. Les récits relatifs à cette croyance mettent généralement en scène des Micmacs de la Nouvelle-Écosse exerçant le métier de vendeurs de paniers itinérants. Certains comptes rendus font aussi mention des méthodes grâce auxquelles les Micmacs avaient acquis leur pouvoir magique. Une analyse exhaustive de ces données devrait s’inscrire dans le contexte plus large du corpus terre-neuvien sur la sorcellerie, mais, en tant que sous-ensemble relativement homogène, les récits mettant en scène les jeteurs de sort indiens soulèvent plusieurs questions sur les interactions entre autochtones et Européens. La menace du sort a-t-elle engendré entre les deux groupes des rapports pacifiques ou hostiles ? Le sort lui-même a-t-il sa source dans la culture micmaque ou n’est-il qu’un produit du folklore de l’Autre ?
Au tournant des années 1920, la revue L’Action française a largement contribué à l’élaboration du discours commémoratif sur la bataille du Long-Sault, laquelle a opposé dix-sept Français et une quarantaine de Hurons et d’Algonquins à plusieurs centaines d’Iroquois en 1660. Cet article retrace le recyclage commémoratif des Amérindiens présents dans la bataille. Pour les collaborateurs de L’Action française, l’ennemi véritable n’est pas tant l’Amérindien que les menaces contemporaines qu’il symbolise: l’industrialisation, l’urbanisation, la déchristianisation, le féminisme, le syndicalisme, bref, l’assimilation des Canadiens-français. Ils ont ainsi consolidé une figure qui structure la compréhension de nos rapports passés et présents avec les Amérindiens réels.
Les photographies anciennes peuvent être considérées comme des documents historiques et être analysées à l’intérieur d’un système de fonctionnement particulier à la photographie. Notre étude tente plutôt de déterminer dans quelle mesure le corpus photographique des missionnaires oblats, constitué dans le Nord-Ouest canadien à partir des années 1880, pouvait présenter des points de comparaison avec d’autres types de documents, écrits ou figurés. Dans cet ensemble photographique, les représentations des Amérindiens trahissent la manière dont leur territoire a été perçu et de la relation mystique que les missionnaires entretenaient avec ceux qu’ils voulaient convertir. De ce point de vue, ce corpus peut se rapprocher des » choses vues » recensées par un récit de voyage et d’une forme de dramatisation proche de la peinture populaire. Mais ces images livrent également la nature d’interactions quotidiennes qui ne peuvent se comprendre que par les photographies elles-mêmes.
Par l’analyse des passages sur la nourriture dans le Grand Voyage du pays des Hurons —publié en 1632 par le missionnaire Gabriel Sagard —, cet article entend démontrer que l’alimentation constitue un moyen original d’étudier la rencontre de deux cultures. Confronté à des habitudes alimentaires nouvelles, Sagard peut difficilement dissimuler ses réactions initiales de rejet face à des pratiques culturelles qu’il juge étranges ou inacceptables. Une fois le premier choc passé, il utilise l’alimentation pour marquer son adaptation au nouveau milieu. Cette adaptation à la culture huronne est plutôt un » accommodement » culturel, puisque le missionnaire revient à ses propres habitudes alimentaires dès que l’occasion se présente.
L’étude comparative des textes du récollet Gabriel Sagard et du jésuite Paul Lejeune révèle une attitude contrastée des deux missionnaires face à la culture amérindienne qu’ils découvrent et illustre le décalage grandissant qui existe en France, dans la première moitié du xviie siècle, entre la culture populaire traditionnelle et la nouvelle culture de la classe dirigeante, qui s’éloigne à la fois de la tradition française et de la culture amérindienne, alors que ces deux dernières semblent assez proches l’une de l’autre. L’analyse met en lumière le manque de pertinence de plusieurs témoignages écrits par les dignitaires instruits qui oeuvrèrent en Nouvelle-France pour évaluer les relations qu’ont nouées les immigrants français peu instruits avec les Amérindiens.
Le développement de l’État moderne a accru la volonté de contrôle sur l’individu, alors que la découverte de l’Autre élargissait les possibilités d’exercice du pouvoir et de ses contraintes. Derrière l’image de l’Amérindien, construite par les Européens en Amérique, se cachent un projet colonial et une volonté de domination. Un bon exemple des relations étroites qui s’établissent entre la perception de l’Amérindien et les mécanismes du pouvoir, ressort de la comparaison de quelques récits écrits par deux personnages du premier plan dans leurs colonies respectives: Samuel de Champlain, lieutenant général, commandant de Québec et plus tard de la Nouvelle-France, et John Smith, qui fut membre et président du Conseil de la Virginie et par la suite amiral de la Nouvelle-Angleterre.
L’arrivée des Ursulines françaises à Québec en 1639 marque le début de l’instruction des filles en Amérique du Nord. À la demande des Jésuites, la supérieure-fondatrice Marie de l’Incarnation et ses compagnes viennent convertir à la foi catholiques les jeunes Amérindiennes qui leur seront confiées. Par la qualité des sources qui en témoignent, l’expérience vécue par Marie Guyart de l’Incarnation auprès de ses pensionnaires amérindiennes au monastère de Québec constitue un riche terrain pour l’étude de l’interaction culturelle entre Européens et Amérindiens au xviie siècle. Cet article traite de la nature des échanges culturels entre les religieuses et leurs pensionnaires amérindiennes au monastère de Québec, et la manière dont ces échanges furent perçus par l’un et l’autre groupe.
Depuis sa fondation en 1622, la Sacrée Congrégation de Propaganda Fide fut l’organisme du Saint-Siège qui avait sous sa responsabilité l’Amérique du Nord. Ses archives, récemment inventoriées d’une façon systématique pour la première fois, montrent que l’histoire des relations entre l’Amérique du Nord et le Saint-Siège présente deux coupures importantes: la première se situe dans les années 1650- 1660 et correspond à la fin de la Huronie; la seconde apparaît dans les années 1770- 1780 et coincide avec l’époque des révolutions nord-américaines.
Pendant le deuxième quart du xixe siècle, l’Église catholique renouvelle son intérêt pour l’activité missionnaire auprès des Indiens de l’Amérique du Nord. L’arrivée massive d’immigrants protestants et la colonisation du » Midwest » américain menacent les populations autochtones déjà converties au catholicisme et posent le problème de la conversion de celles situées plus à l’ouest. L’essor de l’action évangélisatrice s’accompagne de la production de connaissances ethnologiques sur les Amérindiens, diffusées dans les journaux et les bulletins des sociétés d’évangélisation. Les missionnaires conduisent même des Amérindiens à Rome pour des audiences pontificales, mais aussi pour les former afin qu’ils puissent devenir, à leur tour, des missionnaires et convertir plus efficacement leurs compatriotes. Si les jeunes Amérindiens semblent avoir assimilé rapidement les nouvelles matières qui leur étaient présentées, l’expérience demeure limitée en raison de la forte mortalité parmi eux. Trois de quatre séminaristes Amérindiens recrutés entre 1832 et 1834 sont décédés dans la Ville éternelle à la suite de maladies.
Cet article fait état du traitement réservé aux Amérindiens dans la correspondance des délégués apostoliques du Saint-Siège en Amérique du Nord pendant la deuxième moitié du xixe siècle. De manière générale, les » sauvages » —comme on les appelle encore alors—, occupent une place limitée dans les écrits des délégués. Peu nombreux, les Amérindiens ne semblent plus être un enjeu pour le Vatican qui s’engage alors dans une lutte contre les protestants pour le contrôle des âmes des immigrants européens. Beaucoup plus préoccupante est la création de paroisses et de diocèses catholiques destinés à encadrer les immigrants. Le Vatican laisse au clergé séculier—missionnaires jésuites et oblats qui n’ont pas de liens directs avec lui—le soin de convertir les groupes autochtones des Prairies et de la côte du Pacifique.
La période dite » de contact » dans le nord-est du continent américain est difficile à cerner en raison des nombreux cadres spatio-temporels qui la composent. Si elle se concrétise à partir de témoins archéologiques qui ont fourni, depuis un certain nombre d’années, d’importants renseignements sur les schèmes d’occupation et d’échange, il n’en demeure pas moins que le processus de transformation culturelle est encore mal connu. Les cinq sites archéologiques dont nous faisons le profil illustrent quelques-uns des contextes dans lesquels des échanges se sont réalisés sur ce territoire entre les xviie et xixe siècles et servent de toile de fond pour s’interroger plus particulièrement sur les paramètres chronologiques de la période de contact.