Volume 17-2

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Vol. 17-2 – 1995

Regular Issue

Articles

Richard MACKINNON

Introduction

Je me retrouve souvent dans l’obligation d’expliquer à des collègues, ainsi qu’à des non-spécialistes, pourquoi un ethnologue comme moi fait des recherches sur l’architecture1. Puisqu’il y a peu d’ethnologues qui enseignent dans les établissements scolaires et universitaires des provinces maritimes du Canada, l’image que l’on se fait de la discipline est encore celle de l’étude des traditions orales : des contes, des superstitions et des chansons. Ce numéro spécial de Canadian Folkore Canadien est donc consacré à l’architecture dite vernaculaire pour faire mieux connaître ce domaine de l’ethnologie.

Pour plusieurs, le mot « vernaculaire » s’emploie de façon interchangeable avec d’autres mots, à savoir l’architecture « populaire », « commune », « indigène » ou « non-professionnelle ». Selon l’usage courant, ce genre d’architecture se range en bas d’une hiérarchie dont le point culminant serait l’architecture professionnelle ou « de grand style » (comme on le qualifie parfois). On peut utiliser l’image d’un « filtre » pour définir vernaculaire l’architecture: un endroit ou une région géographique « filtrerait » toute idée architecturale (qu’elle soit indigène, populaire ou de grand style) à travers sa propre personnalité, c’est-à-dire sa composition culturelle, ses valeurs sociales, les matériaux qui y sont disponibles, la topographie et les conditions climatiques. Selon Kingston Heath, ce qui découle de ce processus de filtrage est une architecture vernaculaire : « le produit d’un endroit particulier, d’un peuple, par un peuple »2.

Aujourd’hui, les discussions et les débats portent sur les paramètres de ce domaine d’étude. L’intérêt pour la construction rurale et préindustrielle et pour son paysage environnant se modifie et s’élargit; une nouvelle optique commence à s’imposer, surtout grâce aux membres du « Vernacular Architecture Forum » (« le Forum sur l’architecture vernaculaire »), qui travaillent un peu partout en Amérique du Nord. Depuis sa fondation en 1980, ce groupe de chercheurs n’a cessé de redéfinir les frontières de la discipline par des travaux sur des sujets tels que l’architecture contemporaine, les formes urbaines ou encore l’influence des distinctions sociales et sexuelles sur l’architecture3.

Notre recueil se situe également dans cette optique élargie, car les essais que nous y publions reflètent une diversité d’approches à l’égard de l’architecture vernaculaire canadienne. Il ne s’agit pas ici d’une seule et même tribu universitaire; au contraire, les chercheurs représentent non seulement plusieurs disciplines différentes mais fournissent aussi la preuve de la nature pluridisciplinaire des recherches actuelles en architecture vernaculaire. Outre l’architecture elle-même, nous y trouvons l’archéologie, l’histoire de l’architecture, les communications, les études slaves et le folklore. Nous aurions pu puisé aussi dans d’autres domaines, tels que la géographie culturelle, la muséologie ou l’anthropologie, car des recherches sur l’architecture vernaculaire se font maintenant dans chacun d’entre eux. Le paysage culturel ainsi que ses maisons et bâtisses vernaculaires sont enfin devenus un objet d’analyse pour plusieurs disciplines, de même que pour certaines instances gouvernementales qui s’occupent de la politique du logement au Canada.

Les auteurs des articles du présent recueil traitent de thèmes comme l’évolution architecturale ou des distinctions ethniques et sexuelles. On nous sensibilise à l’analyse des formes urbaines ainsi qu’à la photographie en tant que méthode de recherche. Annmarie Adams et Peter Sijpkes nous montrent comment des habitants de la communauté urbaine de Ville Saint-Laurent ont su modifier leurs habitations selon leurs propres besoins. Richard MacKinnon nous décrit les traditions qui entouraient le déménagement des maisons et la façon dont on y faisait des modifications architecturales dans un environnement rural – celui de la Vallée du Codroy, au sud-ouest de Terre-Neuve.

Natalia Shostok étudie les rapports entre l’appartenance ethnique et l’architecture vernaculaire en faisant l’analyse spatiale de l’habitation paysanne en Ukraine centrale. Les résultats de ses recherches ethnographiques s’avéreront très utiles pour ceux et celles qui aimeraient mieux comprendre les racines de l’architecture domestique canado-ukrainienne. Jean-Claude Dupont de l’Université Laval fait un survol historique de l’architecture canadienne-française dans les Maritimes, au centre et dans l’ouest du pays. Andrée Crépeau et David Christianson nous offrent l’examen archéologique d’un exemple précis d’architecture acadienne d’avant « le grand dérangement » (sur laquelle très peu a été publié jusqu’ici).

Une église méthodiste à Peterborough, en Ontario, a permis à Dale Jarvis de saisir la façon dont les distinctions sexuelles structuraient le monde des fidèles à la fin du dix-neuvième siècle. L’architecture de cette église donnait corps à des croyances confessionnelles sur la ségrégation sexuelle, renforçant ainsi l’éloignement des femmes des sphères d’influence masculine au sein du sacré.

Alors qu’au début les recherches sur l’architecture vernaculaire se sont orientées vers l’habitation rurale, l’analyse des formes urbaines devient de plus en plus importante à l’heure actuelle. Robert Mellin, qui exerce le métier d’architecte, regarde de près les vieux quartiers résidentiels de Saint-Jean, Terre-Neuve, dans le but d’offrir aux urbanistes qui s’occupent de leur réaménagement de nouvelles stratégies moulées à la fois sur les valeurs sociales et les exigences pratiques de la communauté. Il interprète l’aménagement architectural et le paysage urbain d’avant l’incendie de 1892, tout en esquissant un modèle plus éclairé de la conception et de la planification vernaculaires.

Enfin, Brian Rusted s’attaque à une question fondamentale pour tout chercheur en architecture vernaculaire qui travaille sur le terrain: la photographie comme méthode de recherche. Dans son article, il nous explique le rôle que joue la photographie lors d’un projet de restauration patrimoniale dans un village côtier de Terre-Neuve. Ce faisant, il explore plusieurs points de vue différents quant à la qualité d’une photographie, et, en même temps, il oblige le chercheur en architecture vernaculaire et tout ethnographe à approfondir leurs réflexions sur le savoir populaire, le jeu des représentations et le travail sur le terrain.

Ce recueil nous renvoie donc une image des recherches qui se font actuellement sur l’architecture vernaculaire canadienne à partir de méthodes et de disciplines différentes. J’espère que nos lecteurs seront amenés à réfléchir de manière approfondie sur le paysage vernaculaire qui nous entoure et à repousser toujours plus loin les frontières de ce champ en pleine expansion.

 

1. Je tiens à exprimer ma reconnaissance au programme en études communautaires, University College of Cape Breton, qui a permis à Moïra Ross, assistante de recherches, de nous aider à recueillir ces articles dans le cadre de son stage.

2. Heath, Kingston. 1988. Defining the Nature of Vernacular. Material Culture 20:5.

3. Voir, par exemple, les actes de leurs congrès: Perspectives in Vernacular Architecture. 1982. Annapolis: Vernacular Forum;Perspectives in Vernacular Architecture II. 1986. Columbia: University of Missouri Press for the Vernacular Architecture Forum– ed. Camille Wells. Perspectives in Vernacular Architecture III. 1989. Columbia: University of Missouri Press, ainsi que IV. 1991. Columbia: University of Missouri Press– eds Thomas Carter et Bernard L. Herman; Gender, Class and Shelter: Perspectives in Vernacular Architecture V.. 1995. Knoxville: University of Tennessee Press– eds. Elizabeth C. Cromley et Carter I. Hudgins.

Annmarie ADAMS, Pieter SIJPKES

Wartime Housing and Architectural Change, 1942-1992

Cet article se base sur les résultats d’une étude des modifications architecturales apportées depuis une cinquantaine d’années aux maisons de Ville St-Laurent, au Québec, par leurs propriétaires. Les auteurs y décèlent plusieurs types fondamentaux d’aménagement spatial et structural. S’appuyant sur de nombreuses entrevues avec des habitants de longue date, ainsi que sur une ample documentation photographique, les auteurs nous montrent comment des travailleurs et travailleuses dans l’industrie aéronautique pendant la guerre ont su profiter de leur expérience à l’usine lorsqu’ils se sont mis à modifier et à rénover leurs maisons. Même si des entrepreneurs professionnels y ont ajouté leur contribution, les résidents sont fiers encore aujourd’hui de leur travail comme bâtisseurs et bâtisseuses.

Richard MACKINNON

House Movings and Alterations: Stability and Change in the Codroy Valley Landscape

La façon dont les habitants de la Codroy Valley, à Terre-Neuve, modifiaient et déplaçaient leurs maisons fournit à l’auteur matière à réflexion sur le paysage bâti au fil des ans. En modifiant et déménageant leurs maisons pour des raisons bien définies, ces Terre-Neuviens nous ont légué un héritage significatif en architecture vernaculaire.

Natalia SHOSTOK

The Ukrainian Peasant Home: Space Domestication

Cet article traite de l’habitation ukrainienne traditionnelle (en Ukraine centrale) au début du XXe siècle. La « domestication du foyer » comporte les étapes suivantes: détacher l’emplacement du monde extérieur, différencier encore l’espace intérieur. Ce dernier se divisait en plusieurs aires – pour cuisiner, pour dormir, pour exprimer la foi (icônes, etc), pour faire les tâches ménagères, pour accueillir les invités. La différenciation intérieure suivait la croyance selon laquelle des êtres surnaturels habitaient la maison aussi: des fantômes païens, des gardiens du foyer (comme des anges gardiens), des ancêtres défunts, ainsi que des saints chrétiens.

Jean-Claude DUPONT

L'habitation chez les francophones au Canada

La structure de l’habitation des francophones au Canada fut différente selon les époques, et les formes adoptées par les constructions varient à partir de modes, de conditions sociales et d’influences ethniques. On peut déceler la présence de trois types d’habitation sur une période de plus de deux siècles. D’abord, une maison d’établissement, puis en second lieu, une maison de transition, et finalement une maison plus imposante qui traduit la situation économique des occupants. La durée d’une telle mutation de la maison québécoise ou acadienne s’étend généralement sur une période de trois générations familiales, tandis que sur des terres d’accueil comme dans l’Ouest canadien, par exemple, moins de deux générations suffisent pour que s’effectuent ces mêmes changements.

Andrée CRÉPEAU, David CHRISTIANSON

Home and Hearth: an Archaeological Perspective on Acadian Domestic Architecture

Les Acadiens des provinces maritimes du Canada ont développé une identité ethnique différente des autres habitants de la Nouvelle France, une identité qui est reflétée dans leurs institutions sociales et politiques ainsi que dans leurs habitations. Cet article étudie l’architecture domestique acadienne du XVIIIe siècle dans le bassin de la rivière Annapolis. Les découvertes archéologiques dans cette région servent à répondre aux questions suivantes: Quelle était la spécificité acadienne de cette architecture domestique – ses méthodes de construction, ses matériaux, le style et les caractéristiques spatiales de ses maisons? Quel lien existe-t-il entre ces dernières et les maisons acadiennes en Louisiane qui furent bâties après le « grand dérangement »?

Dale Gilbert JARVIS

Gender Segregation and Sacred Architecture: A Study of George Street Methodist Church, Peterborough, Ontario

Cet article trace l’historique architectural de l’Église unie Georges St., à Peterborough, en Ontario, y compris son histoire de ségrégation sexuelle (que l’on a essayé d’instaurer en 1889) et la façon dont les méthodistes concevaient les distinctions sexuelles. L’auteur explore l’architecture sacrée de l’époque comme moyen d’incorporer certains idéaux, dont celui de John Wesley, du masculin et du féminin. Il conclut son essai par une explication de l’abandon à la fin du xixe siècle de la ségrégation sexuelle chez méthodistes.

Robert MELLIN

Vernacular Architecture and Urban Design: A Strategy for Place-Making in St. John’s, Newfoundland

Depuis quelques années, plusieurs urbanistes se servent d’analyses quantitatives et qualitatives du patrimoine architectural lorsqu’ils se mettent à élaborer de nouvelles stratégies en politique du logement. En s’appuyant sur des renseignements détaillés tirés de l’architecture vernaculaire des vieux quartiers résidentiels de Saint-Jean, Terre-Neuve, l’auteur propose une méthodologie qui tient compte à la fois de l’héritage bâti et des besoins actuels en milieu urbain. Il fait appel à certaines valeurs sociales ainsi qu’à plusieurs pratiques traditionnelles comme points de départ pour une meilleure planification: histoire, paysage, priorités humaines, et contraintes économiques y ont la place qui leur revient.

Brian RUSTED

Framing a House, Photography and the Performance of Heritage

Cet article fait l’analyse de la photographie en tant que ressource documentaire dans le cadre d’un projet de restauration patrimoniale à Terre-Neuve. L’usage vernaculaire de la photographie nous aide à mieux comprendre le rôle significatif que joue la photographie au sein de l’ethnographie et dans les recherches sur la culture matérielle. Nous pouvons décoder la symbolique de l’environnement architectural d’un village, par exemple, en regardant de près la façon dont certaines distinctions sociales et culturelles se transmettent narrativement. La photographie fait ainsi partie de la « théâtralisation » du passé, de l’environnement bâti: elle légitime l' »invention du patrimoine tout en permettant aux habitants de contester l’idéologie dominante et son interprétation de leurs propres maisons.