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Vol. 18-2 – 1996
Regular Issue
Le problème de l’identité se trouve au centre même des préoccupations contemporaines. Perpétuellement en recomposition, l’identité a des contours flous et fuyants. Il ne peut en être autrement car elle constitue une affirmation symbolique du Soi et de l’Autre, qui est l’objet de continuelles renégociations et réinterprétations. Loin d’être figée et immuable, l’identité est fluide et mouvante, se situant dans l’intersubjectivité d’un groupe et faisant aussi appel à l’affectivité. Référentiel commun d’un groupe ou d’une communauté, l’identité se caractérise surtout par son aspect évolutif, car son élaboration et sa continuelle réinterprétation font l’objet d’échanges au sein du groupe. De plus, la dynamique qui l’anime est en mesure de transformer les significations et de rediriger la société et sa représentation sur de nouvelles voies. Puisque c’est au sein même de l’interaction que se construit l’identité, nous voulons aborder, dans ce numéro, l’identité comme une série de transactions, tant sur le plan individuel que collectif.
Si nous avons choisi le terme » transaction » pour traiter du sujet, plutôt que des notions plus consacrées comme » construction » ou » processus « , c’est qu’il évoque, outre la dimension constructiviste, le processus d’échange. La figure de la transaction appartient au réseau sémantique de la métaphore du marché et, plus particulièrement, du marché foncier. Le prix d’une propriété ou d’un immeuble est fixé au cours d’une succession d’ajustements ou de marchandages. Il ne s’établit pas automatiquement, mais implique nécessairement un processus, une séquence temporelle d’ajustements successifs. En ce sens, cette dimension de la métaphore nous permet de voir le phénomène identitaire en termes de » succession d’ajustements « , de » marchandage « , de » processus « . Évidemment, comme toute métaphore, celle du marché pour évoquer l’identité a des limites très précises qu’il ne faudrait pas négliger, si l’on considère qu’une représentation métaphorique demeure toujours partielle2. Ainsi, dans la figure de la transaction, il nous semble important de laisser de côté la dimension implicite d’achèvement du processus, car il nous paraît plus pertinent de concevoir le phénomène identitaire comme un processus en construction qui ne peut pas être fixé.
La métaphore de la transaction a pourtant une existence bien établie: relevant de l’économie, elle a été reprise par la psychologie sociale et la linguistique et, par ce biais, est entrée dans le champ de la sociologie et de l’ethnologie à travers ce qu’on a appelé » l’approche transactionnelle « . D’abord développé par Anselm Strauss, de l’école de Chicago en sociologie3, l’ » interactionnisme symbolique » a été critiqué en raison de son caractère trop volontariste, mais la sociologie de la vie quotidienne lui a donné de nouvelles lettres de noblesse4. En effet, compte tenu de la nécessité de saisir le réel social et symbolique dans sa complexité, il est important d’observer la dynamique de production du lien social et symbolique en cause, car c’est ce processus qui engendre la signification généralement partagée5. Cette interaction se situe donc au cœur même de la relation: comme l’écrit Jean Rémy, » la notion de transaction est centrée sur la genèse de la relation ou sur les effets du compromis, sur les étapes de l’évolution du rapport social, sur la transformation des termes de l’échange et sur la modification des priorités6 « . Ainsi, la connotation économiste de la métaphore transactionnelle nous amène à repenser les rapports identitaires dans la direction d’une économie des échanges sociaux. Le concept de transaction appliqué au processus identitaire implique nécessairement que toute construction de soi requiert la présence de plus d’un acteur et que le regard sur soi-même comporte un examen de l’Autre, de l’altérité, de la différence, mais aussi de la ressemblance. Il y a toujours, à la base, l’idée d’une interaction entre des parties7, des échanges qui entraînent des actions réciproques. En ce sens, l’unité de base de l’approche transactionnelle n’est pas l’individu mais la relation à travers laquelle un échange potentiel ou réel peut ou non avoir lieu8.
L’identité se construit ainsi dans un processus de négociations, dans un » entre-deux9 « . Or, si l’idée de transaction évoque celle de la négociation, elle ne s’épuise pas là. En effet, la négociation, qui » s’opère dans un cadre donné et selon des règles du jeu établies10 « , réfère à un contexte d’égalité et de rationalité entre les acteurs et implique un compromis, un consensus. Par contre, même lorsqu’il y a désaccord dans les règles du jeu, que les inégalités sociales permettent à un groupe d’imposer ses vues à l’autre ou que le consensus n’est que présumé, il n’en demeure pas moins que des échanges s’opèrent. En ce sens, la figure de la transaction évoque aussi l’existence d’une dimension conflictuelle qui implique une série de compromis provisoires et de perpétuelles renégociations, donnant le primat au changement qui résulte d’une nécessité d’articuler des exigences contraires11.
La notion de transaction, par ailleurs, renvoie à une médiation du rapport entre l’individuel et le collectif12. Entre les contraintes structurales du système et l’autonomie de l’individu, le processus de transaction identitaire proposé par Rémy présente des points de contact, ainsi que des différences, avec les modèles de médiation mis au point par Raymond Boudon et Pierre Bourdieu. Dans l’ensemble, il soutient la critique de la détermination structuraliste d’un côté, et celle de l’excessive autonomie de l’utopie du marché transparent de l’autre. Or, si Rémy partage avec l’individualisme méthodologique de Boudon la perspective selon laquelle le sujet est porteur d’initiatives dans une situation partiellement structurée, il estime, à la différence de Boudon, que l’unité élémentaire de l’analyse n’est pas l’individu mais l’interaction. La tradition transactionnelle a des points communs avec la notion d’habitus de Bourdieu, considéré comme un effet de conditionnement. Bien que marqués par leur environnement, qui détermine l’étendue et la nature du » pensable « , les acteurs inventent de nouvelles solutions au cours de ces interactions dynamiques. Ils sont donc à la fois producteurs et reproducteurs de sens. Cherchant à orienter la trajectoire des collectivités dans les limites d’un contexte donné, les transactions se situeraient au cœur même du lien social. Dans cet investissement du social, le passé prend la forme, comme le précise Rémy, d’une ressource à utiliser pour orienter l’avenir d’un groupe13. Or, la forme culturelle symbolique est aussi, de par son pouvoir évocateur, au cœur même de ces échanges. Concrétisée dans un » dire » de Soi et de l’Autre, l’identité est à la fois l’enjeu et le produit de ces transactions symboliques.
Les auteurs de ce numéro nous présentent tous, d’une façon ou d’une autre, comment le phénomène de l’identitaire est marqué par des interactions. Un premier sous-ensemble thématique est constitué par les textes de Denis Laborde, Viviana Fridman et Alain Roy, qui traitent des questions de construction et d’appropriation des identités nationales à partir de l’investissement symbolique de certains objets culturels: la chanson improvisée dans le premier cas, les personnages mythiques dans le deuxième, et le cadre bâti dans le troisième. Denis Laborde examine la manière dont la participation comme auditeur au concours d’improvisation chantée en pays Basque contribue à la fabrication d’une identité culturelle revendiquée. La célébration de ce concours est symboliquement investie d’une valeur identitaire particulière, de telle sorte que la participation devient un rituel qui cultive le sentiment d’appartenance à la communauté: le » dire soi » est ainsi accompagné d’un processus social qui authentifie la reconnaissance de l’identité partagée. L’article de Viviana Fridman étudie les stratégies d’appropriation d’une nouvelle identité nationale argentine par des immigrants juifs. Elle examine l’œuvre fondatrice de la littérature juive-argentine et montre comment, à travers le mythe du gaucho, la littérature permet de dépasser l’opposition apparemment infranchissable entre l’Argentin et l’étranger. Au carrefour de l’architecture, de l’archéologie, de l’histoire et de l’ethnologie, Alain Roy réfléchit sur les mécanismes sociaux de réappropriation et de reconstruction du sens du cadre bâti, considéré comme un artefact ou une manifestation tangible de l’univers de la culture matérielle. Il examine le cas du Vieux-Québec en essayant de comprendre comment cet ensemble urbain devient un symbole du passé de la nation.
Dans une deuxième partie, les auteurs examinent le regard sur l’Autre dans le processus identitaire. Les récits de voyage constituent un matériel particulièrement riche pour faire ressortir les formes de négociations identitaires. Les textes de Martine Geronimi, de Martin Fournier, de Mylène Tremblay et d’Anne-Catherine Lafaille en témoignent abondamment. Dans le cadre de l’étude du paysage urbain, Martine Geronimi analyse le discours de récits de voyage et de guides touristiques de la ville de Québec des années 1830-1930. Elle élabore une typologie qui permet de distinguer les stades de la construction des nouvelles formes urbaines. L’identité de la ville se construit en partie à travers le regard des Autres: des touristes, des voyageurs, des auteurs de guides qui déterminent quels sont les éléments importants, voire » touristiques » du Vieux-Québec. Tout en combinant histoire sociale et biographie, Martin Fournier étudie la capacité d’adaptation interculturelle d’un coureur de bois: Pierre-Esprit Radisson. Il applique les concepts de base de la méthode d’analyse » relationnelle » pour comprendre comment cet homme s’est adapté rapidement et avec succès à des conditions socioculturelles très différentes. Il nous semble que le cas de Radisson pourrait être considéré, en quelque sorte, comme un modèle de l’adaptation permanente des individus qu’exige le monde actuel, voire postmoderne14. Pour sa part, Mylène Tremblay examine l’image de l’Amérindien qui se dégage de la relation de voyage Les mœurs des Sauvages, écrite par Louis Hennepin en 1683. Elle signale que l’œuvre de Hennepin, au delà de sa valeur ethnologique, présente un intérêt particulier de par les éléments qui caractérisent le locuteur. Elle démontre que la perception de l’Amérindien est directement influencée par l’image de soi suggérée par le missionnaire. Enfin, le texte d’Anne-Catherine Lafaille s’inscrit aussi dans la mouvance d’une altérité constitutive de l’identité. Dans ce cas, il s’agit d’une altérité radicale: le cannibalisme brésilien. Elle étudie la perception du » bon cannibale » dans le récit de voyage de Jean de Léry et dans un essai de Michel de Montaigne pour montrer que, malgré leur bonne volonté et face à un Autre aussi radical, tout métissage semble impossible. Il en résulte un désir d’anéantissement de l’Autre, soit par la destruction, comme les conquistadores l’ont fait, soit par une méthode plus douce, l’asservissement et la conversion avec l’aide des missionnaires.
Un troisième niveau de réflexion sur l’identitaire porte sur ce qu’on pourrait appeler un processus de transaction interdisciplinaire dans la construction des objets de recherche. Tristan Landry examine les avantages, mais surtout les risques et les inconvénients de la collaboration interdisciplinaire. Il se demande dans quelle mesure la prétention de construire un véritable » dialogue de disciplines » est réaliste, et insiste sur le fait que pour qu’il y ait de l’inter il y faut qu’il y ait différence. En effet, ces différences, qui sont la source même de la richesse interdisciplinaire, représentent, en même temps, un problème à surmonter pour le travail commun15.
Enfin, la note de recherche de Marie-Claude Verschelden traite du rapport à l’altérité dans les couples mixtes, en milieu régional, au Québec. Elle présente brièvement la problématique dans laquelle sa recherche s’insère et les aspects principaux de son cadre théorique. Elle s’intéresse notamment aux négociations (ou transactions) identitaires qui s’opèrent au sein d’une relation de couple interculturel.
1. Nous tenons à remercier sincèrement tous ceux qui ont participé à la réalisation de ce numéro, et surtout M. Laurier Turgeon et Mme Nancy Schmitz, pour leur assistance sans réserve et leurs généreux conseils, de même que Mme Dominique Michaud, pour son soutien continu. De même, nous ne pouvons passer sous silence la collaboration de tous ceux qui ont rendu possible cette réalisation, en particulier Mireille Chevalier, Maarten Buyck, Gervais Carpin, Serge Gagnon, Nathalie Hamel, Suzanne Lussier, Mylène Tremblay et Stéphane Vermette.
2. Nous pensons notamment aux travaux de Pierre Bourdieu, travaux déterminants dans la sociologie contemporaine et qui ouvrent des perspectives tout à fait nouvelles par l’application de métaphores économiques au corpus social, mais qui perdent parfois la dimension comparative de l’usage métaphorique négligeant ainsi des aspects importants des phénomènes analysés (voir à cet égard les critiques de F. Kerleroux, » La langue passée aux profits et pertes « , et de A. L. COT et B. Lautier, » Métaphore économique et magie sociale chez Pierre Bourdieu « , dans Collectif » Révoltes logiques « . L’empire du sociologue, Paris, La Découverte, 1984).
3. Anselm Strauss, Negociations, Varieties, Contexts. Processes and Social Order, San Francisco, Jossey Bass Press, 1978; La trame de la négociation, Paris, L’Harmattan, 1992.
4. Voir en ce sens l’œuvre pionnière de Jean Rémy, Liliane Voyé et Émile Servais, Produire ou reproduire. Une sociologie de la vie quotidienne, Bruxelles, Les Éditions Vie Ouvrière, vol. 1, 1978, 383 p., de même que la collection de textes réunis par Maurice Blanc (édit.), Pour une sociologie de la transaction sociale, Paris, L’Harmattan, coll. » Logiques sociales « , 1992, et Vie quotidienne et démocratie. Pour une sociologie de la transaction sociale (suite), Paris, L’Harmattan, 1994, coll. » Logiques sociales « .
5. Bruce Kapferer, » Introduction: Transactionnal Models Reconsidered « , dans Bruce Kapferer (édit.), Transaction and Meaning: Directions in the Anthropology of Exhange and Symbolic Behavior, Philadelphie, Institute for the Study of Human Issues, 1976, p. 2; Jean Rémy, » La transaction: de la notion heuristique au paradigme méthodologique « , dans Maurice Blanc (édit.), op. cit., 1994, p. 294.
6. Jean Rémy, » La vie quotidienne et les transactions sociales: perspectives micro ou macro-sociologiques « , dans Maurice Blanc (édit.), op. cit., 1992, p. 92.
7. Cet aspect est directement repris des analyses d’E. Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Les Éditions de Minuit, 1973, 251 p.
8. Antonio Alvarenga, » Transaction sociale et ordre spatio-temporel « , dans Maurice Blanc (édit.), op. cit., 1992, p. 20-38.
9. À partir d’une autre perspective, plus psychanalytique, Daniel Sibony souligne l’importance de mettre l’accent sur le rapport lui-même dans la construction de l’identité. Daniel Sibony, Entre-deux: l’origine en partage, Paris, Éditions du Seuil, 1991, 398 p.
10. Maurice Blanc, » Pour une sociologie de la transaction sociale, Introduction « , dans Maurice Blanc (édit.), op. cit., 1992, p. 9.
11. Jean Rémy, loc. cit., 1994, p. 302-305.
12. Jean Rémy, loc. cit., 1992, p. 83-111, et Jean Rémy, loc. cit., 1994, p. 293-319.
13. Jean Rémy, loc. cit., 1992, p. 110.
14. Le coureur de bois finit curieusement par ressembler au personnage de Woody Allen, Zélig, qui se transforme selon l’apparence des autres. Il se voit confronté aux mêmes difficultés de construction d’une unité avec les risques subséquents d’un éclatement de l’identité.
15. Dans une perspective plus » transactionnelle » des échanges disciplinaires, c’est-à-dire axée sur le rapport de collaboration dans la construction des objets de recherche, les disciplines peuvent être perçues » comme des ensembles flous et continus, comme des territoires de transition et de métissage, plutôt que comme des lieux de catégorisation et de polarisation des connaissances » . (Laurier Turgeon, » De l’acculturation aux transferts culturels « , dans Laurier Turgeon, Denys DelÂge et Réal Ouellet (dir.), Transferts culturels et métissages. Amérique/Europe, XVIe – XXe siècle, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1996, p. 20.)
Il existe en Pays Basque des artistes de la parole. Ces artistes improvisent des poèmes nouveaux qu’ils chantent sur les mélodies de chansons anciennes. Ce sont des bertsulari, littéralement: des » faiseurs de vers « . Cette pratique est attestée de longue date dans l’ensemble du Pays Basque. Il ne s’agit pas pour autant d’une pratique propre à la culture basque. On en rencontre de nombreuses formes dans des contextes culturels bien différents (les ponts-neufs et les mazarinades du XVIIe siècle parisien, les chansons de Béranger au XIXe, leschjame e respondi corses, les golgs catalans, les desafios portugais ou les trovos andalous…). Nous récuserons donc ce mythe encombrant que nous lègue le XIXe des folkloristes: celui d’une insularité du peuple basque, le plus ancien du continent européen, et de ses pratiques culturels. En fait, si la technique d’improvisation n’est pas originale, ce qui frappe en Pays Basque, c’est la très forte mobilisation sociale qui accompagne ces jeux d’improvisation orale. Loin d’être aujourd’hui un genre traditionnel en voie de disparition, l’art du bertsulari fonctionne comme un emblème vivant d’une identité collective basque qui veux exister comme telle. Cet article consiste en une approche ethnographique de la ritualisation de la mise en spcetacle de cette parole à l’occasion d’une fiinale du championnat général des bertsulari du Pays Basque, le 17 décembre 1989, dans le vélodrome d’Anoeta, à Saint-Sébastien, devant 12 000 spectateurs. Une manière d’entrevoir comment aller écouter chanter des improvisateurs participe de la fabrication d’une identité culturelle fortement revendiquée.
Ce texte tente de montrer comment l’image du gaucho, ce cowboy de la Pampa argentine, est devenue un mythe identitaire national et comment, par la suite, cette image se constitue en objet de la littérature juive-argentine. L’auteur examine pour ce faire l’œuvre fondatrice de la littérature juive-argentine: Los gauchos judíos, d’Alberto Gerchunoff. Le gaucho, figure controversée du folklore argentin, devient le symbole de l’identité nationale après avoir été marginalisée pendant des décennies et finit par être, paradoxalement, une clé d’intégration imaginaire des immigrants juifs à la société argentine.
Le cadre bâti est un objet culturel dont la signification varie dans le temps. En effet, l’étude du processus de préservation historique dévoile un phénomène social de réappropriation et de reconstruction du sens à donner aux éléments de l’environnement construit par l’attribution d’une fonction symbolique. C’est pourquoi il est essentiel de comprendre comment la collectivité transforme l’objet en porteur de symbole. Comme le message du cadre bâti est implicite, ce processus nécessite la constitution d’une interprétation commune. Ainsi, la restitution de l’artéfact dans son contexte de signification nécessite un examen de son insertion dans l’univers symbolique collectif à la fois dans le temps et socialement. À partir d’un modèle d’étude du changement culturel, nous examinerons le cas du Vieux-Québec. Entre 1945 et 1963, la société québécoise commence par reconnaître des bâtiments, puis un ensemble urbain, comme symbole du passé de la nation. Par ailleurs, la collectivité entretient une relation dialogique avec son environnement construit qu’elle remodèle au fur et à mesure de sa symbolisation. Il s’agit donc de comprendre comment un artéfact devient signifiant socialement et comment il est réinterprété et réaménagé dans un système de représentation qui se modifie à travers le temps.
Le touriste d’aujourd’hui, qui fréquente les hauts lieux du patrimoine, est l’héritier d’un courant de tourisme de distinction issu d’une classe restreinte de privilégiés du XIXe siècle. En Amérique, comme en Europe, dès les années 1830, une classe de nantis voyageait au Canada. Québec, dès le XVIIIe siècle, était une ville de grande réputation, et » même un symbole « , à cause de sa situation et de son site exceptionnels. Dans le cadre de l’analyse du paysage urbain du Vieux-Québec, nous avons trouvé pertinent d’analyser les discours des guides touristiques vantant les charmes de la ville pour répondre à nos interrogations: il s’agit de se demander ce que les touristes venaient voir à Québec dans les années 1830-1860. Le paysage urbain du Vieux-Québec d’alors était sans doute très différent de celui que découvre le touriste d’aujourd’hui ou celui de 1930. La méthode choisie, dans un premier temps, est de rechercher, dans les guides touristiques du XIXe et du début XXe siècle, la confirmation de l’existence ancienne d’un tourisme de consommation des paysages à Québec et, dans un deuxième temps, les étapes de la genèse du paysage; voir comment on peut suivre, en élaborant une typologie des différents guides, les stades de la construction des nouvelles formes urbaines. Notre propos s’articule selon deux axes: le premier étant l’étude des discours des visiteurs et des rédacteurs de guide de 1830 à 1930; le second reposant sur la géographie des lieux visités, tant du point de vue des paysages que des circuits. L’ensemble de la recherche s’appuie sur une revue détaillée des guides historiques et touristiques retrouvés ainsi que sur quelques relations de voyage.
Dans cet article, nous présentons les concepts de base d’une méthode originale d’analyse relationnelle, que nous appliquons en ce moment à notre recherche de doctorat sur un problème historique complexe, soit l’adaptation interculturelle de Radisson. Cet explorateur et coureur de bois d’origine française du XVIIe siècle connut en effet une carrière fructueuse au milieu des cultures française, amérindienne et anglaise, qu’il fréquenta en alternance entre 1650 et 1710. Notre objectif est de comprendre comment Radisson s’est adapté à chacune d’elles et pourquoi il y a réussi. Cette approche originale de la biographie s’inspire des développements théoriques récents en biologie de l’émergence et en physique du chaos. Nous avons choisi de présenter ici sommairement ces concepts, à l’aide d’exemples simples, et de nous concentrer sur l’applicationde notre méthode à quelques moments forts de la vie de Radisson: sa capture par les Iroquois, son départ de Nouvelle-France, son départ d’Angleterre et les années de travail en France, puis son retour définitif en Angleterre.
Sorte d’appendice à la Description de la Louisiane (1683), Les Mœurs des Sauvages appartiennent au genre de la relation de voyage. À la fois traité, journal, chronique, mémoire, commentaire, le genre hybride de la relation de voyage a longtemps été ignoré par la discipline littéraire, et même encore aujourd’hui, désavoué par certains au nom du principe — mal défini — de la littérarité. En outre, Les Mœurs des Sauvages se donnent à lire comme un traité sur les » Sauvages « . Préoccupé par son autohéroïsation, le récollet regarde l’autre en fonction des pactes d’exploration et de conversion qu’il devait accomplir. Sa perception de l’autre résulte d’une distorsion de la réalité orientée vers la construction d’une figure du missionnaire idéal, ou, à tout le moins, idéalisé. Ce biais n’empêche pas la présence d’une valeur ethnologique. Pour bien étudier les deux aspects de l’œuvre — littéraire et ethnologique —, l’auteure a recours aux approches littéraires et à une forme d’interdisciplinarité. Elle fait part, dans une première partie, de ses hésitations méthodologiques et, dans une seconde partie, s’attarde à montrer la méthode en action par l’étude de la perception de Hennepin et de la référence aux Amérindiens. Autrement dit, à partir d’un extrait choisi des Mœurs des Sauvages, une analyse littéraire et intertextuelle montre comment, dans le texte, s’articule la figure de l’Indien avec la figure du missionnaire et comment, à l’aide des disciplines de l’histoire et de l’ethnologie, on peut passer de ce qu’il convient d’appeler la figure de l’Indien à la construction identitaire de l’Indien du XVIIe siècle en Amérique du Nord.
Une rencontre étonnante eut lieu au Nouveau Monde lors de la période des premiers contacts: celle de l’Anthropophage américain et de l’Européen. Ce dernier devait faire face à un Autre si souvent fantasmé, dont la réalité paraissait d’autant plus fantastique qu’elle correspondait à une représentation extrêmement redoutée de ce qui se pouvait trouver comme humanité dans les terres nouvelles. Découvrant le tabou de l’anthropophagie transgressé de façon coutumière, le voyageur fut d’abord incapable d’y reconnaître une transgression rituelle permettant de comprendre, sinon d’accepter, un Autre dont il mit d’abord de l’avant la différence. Cette diférence fut traduite en termes de supériorité ou d’infériorité selon les deux visions préexistentes dans l’imaginaire européen d’avant la conquête: celles du bon et du mauvais Sauvages. Cent cinquante ans de relations de voyages illustrant ce rapport à l’Autre, ainsi que l’essai Des Cannibales de Michel de Montaigne, nous aideront à comprendre en quoi l’image de l’anthropophage oscillait entre ces deux pôles représentatifs. En fait, l’étrangeté radicale du Cannibale ne fut jamais vraiment comprise ou appréhendée. C’est la barbarie du Cannibale, prétexte à son anéantissement, qui fut surtout mise de l’avant par les chroniqueurs, tandis que Montaigne et Léry, à qui l’on a souvent attribué un certain relativisme culturel, l’ont utilisée aux fins d’une démonstration, l’un dans le cadre de son projet d’autoportrait, l’autre aux fins d’une critique de sa société. Ainsi, l’Autre, devenant miroir pour l’Européen, fut surtout celui par lequel fut filtré puis expliqué le Soi.
L’interdisciplinarité a été, par le passé, un facteur positif dans le développement des sciences sociales. Elle leur a permis de survivre à certaines crises épistémologiques. La question se pose maintenant de savoir si l’interdisciplinarité peut également permettre aux sciences sociales de survivre à la crise qu’institue la critique radicale du savoir comme travail du langage sur lui-même, i.e. au » linguistic turn « . La réponse qu’apporte cet article, si elle est directement liée à ce qu’est, essentiellement, l’interdisciplinarité, soit une expérience de l’altérité, tend également à modérer les intérêts d’ordres méthodologique et disciplinaire au profit d’une participation plus active et réfléchie aux » formes de l’expérience « .
L’article présente les bases d’une recherche exploratoire visant à étudier comment se définit l’altérité dans les situations de contact interculturel. L’atteinte de cet objet a été possible par l’analyse des relations entre individus aux identités culturelles différentes, au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Précisément, nous avons interviewé les membres de couples mixtes dans le but de cerner les éléments qui composent le sentiment d’altérité, de comprendre comment celui-ci se vit et comment il se négocie. Nous posons l’hypothèse que la situation de conjugalité mixte, où la rencontre des identités sociales est première, fait apparaître la négociation effectuée entre ce qui sépare et unit dans la formation de l’identité du couple. Par ailleurs, l’usage social de la famille pose deux questions majeures. D’abord intervient la question de l’alliance entre différentes lignes généalogiques, soit la relation avec la belle-famille et l’entourage. Vient aussi la question de la filiation entre générations, c’est-à-dire les conditions de la transmission culturelle des parents à leurs enfants. L’articulation de la sphère privée et de la sphère publique dans un couple mixte soulève des éléments au cœur même des enjeux reliés à l’interculturel. De ce fait, la gestion des identités et du rapport à l' » Autre » est une préoccupation centrale dans l’intégration des immigrants.