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Vol. 22-1 – 2000
Regular Issue
Le monde de demain, Quoi qu’il advient nous appartient (NTM, band de Saint-Denis, France)
La musique, c’est un truisme de le rappeler, constitue l’un des canaux les plus employés et appréciés par l’humain pour rendre et extérioriser ses bonheurs et ses malheurs, ses transcendances et ses déchéances, ses expériences et ses attentes. La musique est au cœur de l’expression de soi en même temps que de la communication interpersonnelle. Elle est véhicule identitaire tout autant que manière d’interagir avec l’autre prochain ou lointain, et ce en usant d’un répertoire de signes bien plus universels que les mots — encore que l’usage croissant d’une forme banalisée, voire châtiée, de l’anglo-américain (« desesperanto » d’un monde en voie de globalisation ?) oblige à nuancer singulièrement cette affirmation.
C’est donc à partir de ces hypothèses d’ordre général que nous avons initié la production de cette livraison spéciale d’Ethnologies.
Le lecteur sera peut-être intéressé à savoir que la réalisation du présent numéro marque le point final d’un projet de recherche amorcé il y a quelques années et portant sur la question fort actuelle des expressions identitaires en contexte de mondialisation.
Financé par le CRSH et le FCAR , ce projet a donné lieu à plusieurs publications individuelles ou conjointes auxquelles ont participé de nombreux étudiants (Jewsiewicki 1995 ; Jewsiewicki et Létourneau [dir.] 1998 ; Létourneau [dir.] 1997 ; Demers 1999 ; Leblanc 1999).
S’il est une conclusion d’ensemble qui ressort de ces travaux, c’est que les processus actuels de mondialisation n’annihilent absolument pas les dynamismes « locaux » d’expressions identitaires. Ils contribuent cependant à les réactualiser dans leurs significations. Ils les infusent de même de nouveaux rythmes, langages, sonorités, gestuels, etc. C’est ainsi qu’entre le « local » et le « mondial » s’établissent des ponts, certains revivifiants, d’autres déstructurants, qui participent de la refondation continuelle des groupements humains dans une dialectique complexe de référents mêlant tradition et évasion, ce qui est assurément facteur de transition des communautés vers des lieux culturels mutants et mouvants où s’effectuent concrètement les pertes et gains de sens grâce auxquelles ces communautés se redéfinissent dans un rapport tout à la fois aliénant et libérateur de reconnaissance et de distance par rapport à elles-mêmes (Létourneau 1998, 2000).
C’est dans ce contexte composé d’ici et d’ailleurs, d’héritage et d’émancipation, de mise en scène et de production du soi et du nous-autres dans le théâtre de la contemporanéité et de la mondialité et par rapport à lui, que l’on peut saisir toute la richesse sociale, culturelle et identitaire de la musique des jeunes — ce qui est bel et bien l’objet de ce numéro thématique.
À cet égard, le point de vue qui est le nôtre se présente ainsi :
Si les musiques du monde — celles que les jeunes écoutent, auxquelles ils dansent et au rythme desquelles ils vivent la mondialité — organisent le champ de leurs expériences et sensibilités esthétiques, elles dévoilent aussi l’horizon de leurs attentes. Pour cette raison, il est essentiel d’interroger ces musiques dans leur plus large registre de significations nouvelles. Or les praticiens des sciences sociales ont souvent tendance à saisir la culture des jeunes d’aujourd’hui à partir d’un répertoire de références vieillies, soit les leurs, celles qui dominaient l’univers culturel occidental il y a une trentaine d’années. Il s’agit là d’un anachronisme malheureux. C’est que les jeunes du monde se pensent aujourd’hui — et pensent le monde en même temps — en termes de world beat et de world music. Leur univers musical, et par là leur univers social, est polyrythmique et polysémique, tout comme leur manière d’aborder le monde est plurielle. C’est cette réalité composite qu’exprime la formule suivante fabriquée à partir d’extraits de paroles de musique citées dans ce dossier : quand « la réalité te frappe (Dragusanu, p. XX18), entre nous et le monde (Kalulambi, p. XX16), l’avenir est illimité (Dragusanu, p. XX25), même si le passé ne meurt jamais » (Hadj Miliani, p. XX20).
Les musiques actuelles du monde offrent aux jeunes une glossolalie fin de siècle (ou début de millénaire). Elles leur donnent le pouvoir de parler une langue, celle de la musique portable — quel jeune d’aujourd’hui n’est pas accoutré d’un walkman, diskman ou autre kit électronico-déambulatoire ? — qui est toutes les langues, manière d’habiter et de communiquer dans l’univers globalisé et d’inventer simultanément leur universel pluriel. Là où ils sont, les jeunes ne veulent plus avoir statut symbolique d’immigrés en attente d’intégration ou de déportation. Pour eux comme pour Django Reinhardt, l’un des plus grands jazzman du XXe siècle, « cela laisse la possibilité d’être autre chose — pas autre chose à la place en même temps » (cité par Williams 1998 : 18).
À vrai dire, notre postulat a été et demeure simple : au lieu d’attendre que les jeunes viennent s’exprimer là où la société établie voudrait dialoguer avec eux, il faut aller les écouter, échanger avec eux si possible, là où ils débattent, avec leurs codes communicationnels, de ces questions fondamentales pour eux, y compris leur éventuel mal d’être dans le présent et leur difficulté d’habiter un avenir qui soit en situation de continuité et de rupture avec un passé établi.
Dans la société occidentale, la poésie a longtemps été un genre d’expression — et par-là un espace social — où étaient testées les limites du possible, du dicible et du concevable, et ce tant sur le plan esthétique qu’existentiel. Or, depuis au moins une dizaine d’années, la musique, plus précisément les musiques de jeunes, sont devenues ce lieu incubatoire de nouvelles formes de communication, d’interaction et d’énonciation culturelle. La manchette frontispice de L’Événement du jeudi, dans son édition du 30 mars 2000, était on ne peut plus éloquente à cet égard : « Rap, le triomphe des nouveaux poètes ». Dans notre esprit, les musiques de jeunes semblent partager, avec les poésies de diverses avant-garde, ce potentiel de confrontation positive avec la société établie désireuse de convertir, à ses registres éprouvés de sens, toute nouveauté émergente. Or il y a là situation digne d’intérêt et non pas, comme on le prétend souvent, péril en la demeure.
Depuis longtemps, probablement depuis que l’Occident a intériorisé cette invention de la Révolution française voulant que le peuple majoritaire soit fondement de la souveraineté du pouvoir d’État, le savoir social s’est construit sur un double malentendu. La lecture de l’« autre », qu’il soit d’« ici » (étranger interne) ou d’« ailleurs » (étranger tout court), envisage celui-ci à distance de ce qui est présumé ou imposé comme étant la norme. On verra dans cette façon de faire une lecture anthropologique du particulier. C’est ainsi que la perception politique de ce que fait l’« autre » le réduit à la somme des tactiques qu’il est susceptible de mettre en œuvre pour survivre envers et contre l’ordre et la norme. Dans ce contexte interprétatif, l’« autre » n’est finalement capable de réagir qu’aux actions du centre politique. Et il est réputé le faire habituellement mal.
C’est précisément sous cet angle « dérogatoire », soit celle de la réaction et de la provocation à l’endroit de la société établie, que sont envisagées les musiques de jeunes, les univers qu’elles dessinent et les règles d’être qu’elles véhiculent. Ces musiques sont en effet appréhendées comme des agissements de frange, de marge contre le centre dont elles convoiteraient la position. Or la conséquence de cette lecture politique des musiques de jeunes est évidente. Elle entraîne un refus de l’autonomie, de la personnalité et de l’indépendance des bands, c’est-à-dire des groupes jeunes, un refus aussi des espaces sociopolitiques façonnés par eux à tâtons de même que des esthétiques élaborés par eux dans leurs musiques, esthétiques qui sont autant de façon de se projeter dans de nouveaux modes d’être culturels et existentiels, y compris par l’entremise d’une esthétique des corps (piercing, tatouages, coloration vive des cheveux, etc.).
Pourtant, plus souvent qu’on ne le pense, les musiques des jeunes ne sont pas réactives à l’égard du centre ou par rapport à la majorité normative. Elles sont des créations autonomes qui retravaillent, réactualisent et réorientent de nombreux éléments d’une culture commune. Elles sont un apport positif, voire nécessaire, au renouvellement des sociétés établies. Plus encore, elles participent de la recréation de ces sociétés, voire l’appellent ou la précèdent. N’est-ce pas ce que voulait signifier Claude Sirce, leader des Faboulous Troubadours de Toulouse, en France, en déclarant : « Ce n’est pas la banlieue qui a inventé le rap, mais le rap qui a inventé la banlieue » (cité dans Askolovitch et Nassif 2000 : 9).
De région en région de la francophonie, depuis l’Europe centrale et orientale jusqu’au Congo en passant par Montréal et Paris, les musiques aident les jeunes à vivre un monde (des mondes) qu’ils veulent différent(s) et qu’ils sont désireux de réinventer. L’une des caractéristiques de ce(s) monde(s), identifiée par Denis-Constant Martin à partir d’une minutieuse analyse du gospel afro-américain (Martin 1998 : 98), réside dans l’ambiguïté entre l’amour humain et l’amour divin — ou entre la relation amoureuse et le rapport social, comme l’écrit Dessislav Sabev dans ce dossier.
Les musiques de jeunes, dans la grâce de leurs paroles mises en rythme et en sons, doivent être prises pour ce qu’elles sont, soit des conversations sur le monde, sur son avenir et son passé. Les musiques de jeunes sont affaires complexes. Certaines suscitent des réactions alors que d’autres se perdent dans l’indifférence des fans et des marchés. Certaines sont entendues, d’autres ignorées. Certaines s’imposent rapidement pour s’étioler vitement dans l’éphémère des modes. D’autres, anonymes au départ, se révèlent vivaces par leurs sonorités et messages. Elles restent à la disposition des uns ou des autres pour solutionner des ordres de problèmes dont l’avènement ou le surgissement demandent une autre interprétation du monde.
À cet égard, le texte de Dominique Caubet se révèle intéressant pour ce dossier. L’auteure montre en effet la migration tranquille, mais profonde, de formes musicales « étrangères » vers le centre réputé de l’esthétique française, formes que ce centre voudrait bien maintenir comme marginales. Si les musiques d’inspiration et d’exécution maghrébines sont aujourd’hui de plus en plus acceptées par la société française, c’est que leur incorporation à la culture populaire française est en devenir. Pareille ingestion culturelle n’est d’ailleurs pas exceptionnelle. Cela est arrivé maintes fois aux groupes et cultures d’immigration. Aux dires de Caubet, l’acceptation, par de jeunes banlieusards français, d’expressions provenant de l’arabe et de ses nombreux dialectes serait possiblement indicative d’une mutation structurelle du bagage culturel commun de la jeunesse française. Si de nouvelles recherches venaient confirmer les hypothèses de Caubet, le présent dossier trouverait également sa pertinence, fort de son postulat voulant qu’il n’y ait d’identité que dans le renouvellement et le mélange .
References
Askolovitch, C., et P. Nassif, 2000, « Rap. La victoire des nouveaux poètes », L’Événement du jeudi, 20, 30, juin 2000 : 9.
Demers, Frédéric, 1999, Céline Dion et l’identité québécoise. « La petite fille de Charlemagne parmi les grands ». Montréal, VLB.
Jewsiewicki, Bogumil, 1995, « Mots savants, paroles indisciplinées et musiques pop : quelques réflexions sur la normalisation des mémoires » : 95-112, dans Jacques Mathieu (dir.), La mémoire dans la culture. Québec, Presses de l’Université Laval.
______, et Jocelyn Létourneau (dir.), avec la collaboration d’Irène Hermann, 1998, Les jeunes à l’ère de la mondialisation. Quête identitaire et conscience historique. Sillery, Septentrion.
Leblanc, Geneviève, 1999, Félix Leclerc en tant que figure rassembleuse d’une communauté mémorielle. Incursion au cœur du panthéon franco-québécois [mémoire de maîtrise]. Département d’histoire, Université Laval.
Létourneau, Jocelyn (dir.), 1997, Le lieu identitaire de la jeunesse d’aujourd’hui. Études de cas. Paris, L’Harmattan.
______, 1998, « La nation des jeunes » : 411-430, dans B. Jewsiewicki et J. Létourneau (dir.), Les jeunes à l’ère de la mondialisation. Quête identitaire et conscience historique. Sillery, Septentrion.
______, 2000 [à paraître], Passer à l’avenir. Histoire, mémoire, identité dans le Québec d’aujourd’hui. Montréal, Boréal.
Martin, Denis-Constant, 1998, Le gospel afro-américain. Des spirituals au rap religieux. Paris, Cité de la musique/Actes sud.
______, 1999, Recension du livre de P. Williams, Django, parue dans Ethnologie française, 29, 1 (1999) : 146-148.
Williams, P., 1998, Django. Marseille, Parenthèses
Apparues quelque part aux débuts des années 1980, les musiques du monde, ou world music, correspondent à un ensemble hétérogène qui renferme tout ce qu’on ne peut classer dans les autres champs musicaux. Leur succès peut être vu comme une manifestation du désir de monde et de l’envie de l’Autre qui s’observent également ailleurs. Consommer des musiques du monde serait une façon d’exprimer le souhait d’un monde meilleur et le rêve de la réconciliation humaine. L’analyse de la musique permet de démontrer le caractère hétéroclite de cet ensemble, en même temps qu’elle met en lumière l’étroitesse des liens qui unissent musiques du monde et musiques commerciales modernes. Si les ethnomusicologues et autres collecteurs ont enregistré depuis longtemps des musiques populaires exotiques, la world music, elle, les donne à entendre au plus grand nombre, profitant ainsi commercialement de la soif d’exotisme. Les conditions techniques et les règles de la production ainsi que celles de la mise en marché sont également intégrées à l’analyse, puisqu’elles déterminent en partie ce que sont les musiques du monde.
Chaque génération a sa musique, laquelle exprime des modes spécifiques de penser le monde environnant et rejoint les structures de l’imaginaire social. La musique pop en Bulgarie est analysée ici sur le plan des stratégies discursives et de la structure du récit identitaire. Dépassant l’image subversive du rock, l’analyse traite de la capacité du discours amoureux de la musique pop de construire une histoire qui traduirait, en termes individuels, le discours dominant de l’époque. Ainsi, le rock du régime communiste, celui de la période qui suivit et le pop-folk des années 1990 construisent, détruisent et reconstruisent respectivement un récit idéologique. Expression syncrétique de la dialectique postcommuniste, la musique pop-folk reflète un changement profond des stratégies identitaires. Transformant à la fois le discours musical et textuel de la chanson traditionnelle et de l’estrada socialiste, elle produit son propre récit individuel selon le nouveau contexte social. Ainsi, la musique réussit à créer, à des moments spécifiques de l’histoire sociale, des horizons eschatologiques signifiants qui s’avèrent susceptibles d’exprimer les transformations des identités sociales.
Fernand Braudel a écrit que « La “civilisation industrielle” exportée par l’Occident n’est qu’un des traits de la civilisation occidentale » et qu’« en l’accueillant le monde n’accepte pas, du même coup, l’ensemble de cette civilisation, au contraire ». L’on pourrait dire la même chose de la culture dite « globale » qui ne signifie pas nécessairement l’homogénéisation des cultures locales. La culture globale est un moyen de gérer le passé « local », en ce sens où les modèles que véhicule cette culture sont autant de moyens de composer sur le souvenir et aussi sur le deuil de la culture nationale. L’auteur a recours à un modèle binaire (culture poly-/monostylistique) développé, à la suite de Lotman et d’Ouspenski, par Leonid Ionin. L’application de ce modèle à des textes de chansons rocks, de même que la présentation d’interviews de musiciens permettent de comprendre l’esthétique du rock russe comme une culture se posant en s’opposant à la culture soviétique antérieure, se construisant en déconstruisant l’ancienne « esthétique politique de fin du monde ». Dans ce travail de reconstruction, la « culture globale » offre des ressources importantes en tant que culture « non contaminée » (ou du moins perçue comme telle par les artistes). À cet égard, le rock russe contemporain évoque irrésistiblement un mouvement artistique contemporain de la perestroika, le Sots-Art, où le langage hyperbolique du Pop-Art avait servi à déconstruire l’esthétique du réalisme socialiste. Mais si le Sots-Art était préoccupé directement par le politique, c’est plutôt par son désintérêt pour la politique que le rock russe entend, lui, changer la vie de tous les jours.
S’appuyant sur le fait que la musique et la chanson des jeunes peuvent être abordées comme lieu d’expression de leur identité et de leur conception du monde, l’auteur se penche sur le rapport au temps des jeunes Roumains. L’analyse des chansons démontre que les jeunes sont en proie à une schizophrénie identitaire, incapables d’utiliser le passé et l’avenir pour donner sens au présent. Contrairement à d’autres générations plus optimistes qui se projettent positivement dans l’avenir capitaliste, les jeunes sont coincés dans le présent, incapables de concevoir leur avenir, tout comme c’était le cas sous le régime de Ceaucescu. Les trois segments du temps — le passé, le présent et l’avenir — ne sont jamais reliés les uns aux autres. Malgré le nouveau contexte politique et social de liberté et de démocratie, les jeunes demeurent pessimistes, parce qu’ils doutent sérieusement du système et des dirigeants. Cette situation est envisagée simultanément comme un effet de la transition et comme un héritage du régime communiste. Une lueur d’espoir se manifeste toutefois, puisque l’intégration de la Roumanie aux structures de l’économie mondiale, qui prend forme notamment dans le domaine de la chanson, permet d’envisager la guérison des jeunes Roumains.
Les événements de la transition démocratique congolaise ont donné lieu à un renouveau de la chanson, qui s’est fait l’écho de l’actualité. Omniprésente à l’occasion de rassemblements politiques de toute sorte, la chanson, qu’elle ait été traditionnelle, religieuse, mondaine ou populaire, a permis de ritualiser les batailles politiques en devenant une sorte de rite de passage à l’acte. La chanson religieuse mondaine a occupé une place considérable dans ce renouveau, en utilisant le politique qui l’a rendue, contre toute attente, plus populaire encore que la chanson congolaise moderne. Débrouille collective, misère nationale, mœurs et transformation éthique, confrontations politiques, revendication des valeurs humaines et démocratiques sont tous des thèmes que la chanson de la transition a largement exploités. L’analyse montre que le langage est souvent métaphorique, alors que ce qui ne peut être énoncé trop clairement est signifié indirectement, et les procédés de rétrogradation sont massivement utilisés. Cette forme d’utilisation du chant montre bien que les entrepreneurs de la chanson ont pris conscience du rôle social qui leur incombe. Ce répertoire et son utilisation permet au peuple et aux artistes de se réapproprier un cadre de référence pour organiser la société de manière rétrospective et prospective.
Beaucoup de femmes du Nord nigérien ont été traitées comme des citoyennes de seconde classe et plusieurs le sont encore aujourd’hui. On s’attend plus à ce qu’elles se concentrent sur leur rôle traditionnel de femmes au foyer et de mères qu’à les voir devenir leaders politiques, leaders religieux ou même fonctionnaires. Cependant, tant les femmes musulmanes que chrétiennes du Nord nigérien s’emploient de plus en plus à développer des stratégies efficaces pour résister à ces restrictions et pour prouver à leurs contre-parties masculines qu’elles sont à même de contribuer au développement économique, éducatif et social du Nigéria si on leur en donne l’occasion. Un des espaces dans lequel les femmes du Nord nigérien font connaître leurs capacités et leurs potentialités est celui de leur musique et de leurs performances musicales. Peut-être est-il prudent de dire que la participation des femmes en politique et dans les services publics a été renforcée partiellement par leurs pratiques musicales « rebelles ». Cet article décrit et examine l’image et le rôle des femmes comme il sont représentés dans la musique populaire féminine et dans les performances de musique populaire du Nord nigérien.
Les rites de passage à l’âge adulte font défaut dans les sociétés occidentales modernes. D’autres pratiques, semblables à ces premières, sont mises en place dans une sous-culture de la jeunesse, la scène underground musicale montréalaise, dont les concerts s’érigent en véritables rites cathartiques pour leurs acteurs. Ces rites sont abordés selon le cadre théorique développé par Turner et sont appréhendés comme des rites de passage initiés par les jeunes eux-mêmes. L’organisation de concerts, la participation à ceux-ci, la danse, plus simplement la consommation de cette musique remplissent un rôle identitaire important pour ces jeunes. L’analyse des thèmes de l’adolescence, de l’aliénation au milieu social, de la construction d’une culture musicale qui s’érige en communitas, du concert underground comme rituel permettent de mettre en lumière ce milieu et les pratiques qu’on y observe. Ces pratiques sont mises en sens à la lumière de la vision du monde plus ou moins apocalyptique que partagent les jeunes de cette sous-culture.
La rencontre sur le terrain de jeunes Noirs, immigrants de deuxième génération, résidant dans le quartier Cergy-Saint-Christophe d’une ville nouvelle de la banlieue parisienne, permet de déconstruire une façon particulière de constituer des groupes autour de mouvances musicales et d’utiliser et de concevoir l’espace urbain. Ces jeunes, mal connus des intervenants de leur milieu, affichent de façon bruyante et voyante une allure nouvelle, se divisant en groupes organisés autour de la musique, soit le hip-hop et le rap pour les uns et le soul et le funk pour les autres. Le découpage des groupes de jeunes est à la fois spatial, temporel, ethnique et musical. Les sports pratiqués, la tenue vestimentaire, la façon d’occuper les temps libres sont autant d’éléments qui diffèrent d’un groupe à l’autre, dans une logique de différenciation qui permet à chacun de construire son identité. La participation à ces mouvances tend à s’opposer à l’engagement scolaire et constitue une sorte d’espace alternatif d’intégration sociale et de valorisation. L’analyse de l’utilisation de l’espace urbain et du discours sur la ville permet de mettre en relief la façon dont ces jeunes valorisent la modernité, en ce qu’elle serait susceptible d’instaurer des brassages de population qui leur permettraient de se sentir à égalité et d’être mieux acceptés socialement.
Depuis le début des années 1980, la musique des jeunes issus de l’immigration maghrébine connaît une popularité toujours grandissante en France, en même temps qu’elle se fait témoin de mutations sociales profondes. Les musiciens beurs sont au cœur du paradoxe, déchirés entre l’attachement à leur culture d’origine et la correspondance au modèle de l’intégration. Depuis les années 1980, ce sont le raï et le hip-hop, de même que des variantes faites de mélanges de ces styles qui caractérisent la musique des jeunes Beurs. Ils forment des groupes « interethnique » (Black, Blanc, Beur) et s’adonnent le plus souvent à une musique d’origine américaine, misant sur la culture pour s’en sortir et, en même temps, construisant de l’« ethnique » sur une base idéologique. L’analyse démontre bien que les musiciens beurs sont soumis aux exigences du marché et aux stéréotypes de la culture française. Aussi les artistes beurs ont-ils beaucoup de difficulté à se présenter autrement qu’en fonction de leurs origines. La nouvelle génération d’enfants de l’immigration participe toutefois à un courant musical qui ne tire ses racines ni dans la culture d’origine ni dans la culture d’adoption, un courant où les mélanges sont la règle et où le référent urbain, plus spécialement la banlieue et la cité, occupe une place centrale.