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Vol. 23-2 – 2001
Regular Issue
À la fin du mois de mai 2001, les membres de l’Association canadienne d’ethnologie et de folklore se sont réunis durant trois jours à l’Université Laval, à Québec, pour réfléchir au présent, mais plus particulièrement à l’avenir, et de notre association, et de la discipline de l’ethnologie au Canada. Le moment et le lieu étaient également favorables. L’association avait été officiellement créée en décembre 1975, aussi la rencontre a-t-elle eu lieu à l’occasion de notre vingt-cinquième anniversaire ; et depuis plus d’un quart de siècle, l’Université Laval est le lieu historique des études de folklore et d’ethnologie, qui y ont été menées avec une grande vigueur professionnelle et intellectuelle.
La ville de Québec présentait également assez de charmes pour attirer des visiteurs du monde entier. Nous avions à l’esprit un mélange particulier d’individus et de perspectives, et avons certes été favorisés par le sort, car tous les conférenciers que nous avions retenus en priorité pour les séances plénières furent d’accord pour venir. La suédoise Barbro Klein désirait renouveler ses relations avec une ville qu’elle avait déjà visitée à l’invitation d’Elli-Kaija Köngäs Maranda. L’américain Leonard Primiano était attiré par les nombreux sites où il pourrait poursuivre sa recherche sur les traditions religieuses populaires. L’écossaise Valentina Bold, ayant été inspirée par le travail du Musée canadien de la Civilisation, souhaitait rencontrer d’autres personnes impliquées dans la communication de la culture traditionnelle par le biais du multimédia. Puisque notre réunion faisait partie intégrante du Congrès des Sciences Humaines et Sociales, le français Gérard Althabe put rencontrer des universitaires canadiens et d’autres nationalités, réunis pour l’occasion. L’un des conférenciers des séances plénières, Bogumil Jewsiewicki, était de Laval, notre université d’accueil ; il nous apporta son concours logistique aussi bien qu’intellectuel.
Cette réunion permit une alternative aux remboursement habituels des frais de voyage par l’ACEF. Grâce à une aide généreuse1, nous avons pu nous concentrer sur les questions en cours : évaluer l’état des études d’ethnologie et de folklore au Canada ; identifier de futures orientations ; et mobiliser les efforts vers un renforcement de l’interdisciplinarité. Habituellement, seuls les conférenciers peuvent se faire rembourser le prix de leur voyage. Mais pour cette réunion, nous avons pu rembourser également les participants ; ceux qui demandaient un financement devaient nous remettre une attestation témoignant de leur intérêt et de leur engagement dans les études d’ethnologie et de folklore et dans ces ateliers.
Plusieurs aspects de cette réunion différaient de la plupart des autres rencontres de l’ACEF. Tout d’abord, nous avons tenu cinq séances plénières avec des conférenciers invités, des universitaires qui en étaient à des stades variables dans leur carrière, et provenant d’horizons intellectuels, académiques, et nationaux différents. Nous avons également invité des individus très divers pour commenter ces conférences, et volontiers accueilli les interventions des auditeurs. Ces séances plénières sont publiées ici dans leur intégralité, incluant les conférences, les réflexions des commentateurs et les réactions du public.
Deuxièmement, pour les séances plénières, nous avons pu fournir la traduction simultanée entre les deux langues officielles du Canada2, nous assurant ainsi que les discussions se dérouleraient sur des bases sûres. Les traducteurs acceptèrent de rester pour notre Assemblée générale annuelle, réduisant ainsi notablement sa durée ; elle requiert habituellement un temps considérable en traductions par les participants eux-mêmes.
Troisièmement, c’était une réunion internationale. Nous avons été rejoints, non seulement par nos collègues invités, mais aussi par d’autres, de France, d’Afrique et des États-Unis. En fait, cette réunion fut la plus grande de toutes celles de l’ACEF et, en conséquence, les participants en ont gardé le sentiment qu’au Canada et ailleurs, ils sont nombreux à avoir des buts, des intérêts, et des préoccupations similaires.
Enfin, nous avons organisé des rencontres distinctes pour les enseignants, les étudiants et ceux qui travaillent dans les musées ou les archives, afin qu’ils partagent les joies et les peines de leur travail, et qu’ils planifient des actions collectives basées sur leurs besoins. Nous avons aussi encouragé les participants à discuter de leurs recherches en cours et de leurs projets de travaux à petite ou grand échelle. Nous avons aussi proposé des ateliers pratiques, dans des domaines tels que la publication, le travail avec les médias, ainsi que les bourses et les sources de financement. La plupart des présentations individuelles s’appliquaient à notre thématique, et nous en reproduisons une ici, celle de Michael Robidoux, qui présente un exemple de techniques de recherche ethnologique dans une classe de kinésiologie.
La réunion de Québec a donné à nos membres une opportunité sans précédent de participer au développement du folklore et de l’ethnologie au Canada et dans le monde, autant qu’une occasion d’aborder des compétences et des pratiques spécifiques. Nous avons parlé concrètement de ce qui est en train de se produire, de ce que nous, folkloristes et ethnologues, faisons le mieux et de ce que nous envisageons pour l’avenir en termes de collaborations, d’échanges et de programmes de recherches. À la suite de notre réunion de l’an 2000 à Edmonton, qui présenta l’ACEF au programme de folklore/ethnologie d’Ukraine à l’Université d’Alberta, des étudiants originaires d’ailleurs au Canada eurent l’opportunité de rencontrer les gens concernés par l’ethnologie à l’université Laval. Nous espérons que cet élargissement de la communication et de la formation se prolongera lors de notre prochaine réunion de 2002, qui sera parrainée par le département de folklore et d’ethnologie de l’Amérique française de l’Université de Sudbury.
Les cinq séances plénières et la communication additionnelle s’étendent du concret au théorique, mais chacune (comme les disciplines de l’ethnologie et du folklore) allie la réflexion analytique à la sophistication théorique. Chacun de ces articles, à sa manière, (dis)court au delà des frontières théoriques, idéologiques et matérielles, ainsi que l’ont souvent relevé les commentateurs. Ils soulèvent les questions de diffusion, d’enseignement, de pratiques de terrain et de connections et périphéries (inter)nationales. Les résultats, publiés ici, représentent un dialogue spécifiquement canadien ; francophones, anglophones et allophones pourraient bien ne jamais se comprendre totalement, mais au moins nous poursuivons le dialogue au-delà des frontières de notre histoire, quelquefois partagée, quelquefois divergente.
Notes
1. Pour cette aide, nous exprimons notre reconnaissance au Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada — CRSH — (Initiatives pour le Développement de la Recherche) ; à Patrimoine canadien (Programme d’appui aux langues officielles) ; au CÉLAT, de l’Université Laval ; au Bureau de la Recherche et au Programme Études-travail de l’Université de Winnipeg ; au Développement des Ressources Humaines Canada (Placement carrière-été) ; ainsi qu’au Doyen de la Faculté des Arts à l’Université Memorial de Terre-Neuve.
2. Grâce au Programme d’appui à l’interprétation et à la traduction de Patrimoine canadien.
(Commenté par Yves Bergeron, Martin Lovelace)
Dans cet article, l’auteur expose le cheminement qui l’a mené d’une « ethnologie de l’ailleurs », la tradition ethnologique qui s’est développée dans le cadre colonial dans le souci d’une connaissance de l’altérité maxima, à une « ethnologie de l’ici ». Gérard Althabe présente son expérience de chercheur dans des terrains relevant du présent de la société française. Cette démarche introduit une rupture avec la tradition qui amenait l’ethnologue à choisir ses sujets au plus loin de lui, en se dissociant de son objet d’étude. Au contraire, dans les situations locales et contemporaines, l’implication de l’ethnologue devient elle-même l’instrument de la production de la connaissance, car la place de l’ethnologue dans ses échanges avec les gens est définie de manière particulière dans les diverses situations en fonction de son appartenance sociale. Le chercheur, pris comme témoin, est entraîné dans une perspective particulière et l’interprétation de l’entretien doit investir cette dimension. Cette démarche vise à construire le sens tel qu’il se dégage des échanges, l’événement de rencontre étant l’unité d’interprétation.
(Commenté par Michael Robidoux, Marcel Bénéteau)
Cet article expose les difficultés tenant à la préparation et à l’enseignement d’un cours de pratiques religieuses populaires dans un institut d’études religieuses. Dans ce cours, l’interface études de folklore/études religieuses présente aux étudiants de nombreuses opportunités d’appréhender les pratiques religieuses des autres autant que les leurs.
(Commenté par Laurier Turgeon, Neil Rosenberg)
Deux types de problèmes font l’objet de cet article. Le premier est que les nations diffèrent considérablement, non seulement en ce qui concerne la diversité ethnique à l’intérieur de leurs frontières et les politiques dela diversité qu’elles mènent, mais aussi en ce qui concerne la manière dont les ethnologues appréhendent la diversité, le nationalisme et l’internationalisme. Le second relève des différences entre les nations quant aux prémisses et aux idéaux du savoir universitaire. Ces problèmes et questions sont illustrés par des esquisses comparatives de l’histoire des études de folklore dans quatre pays différents : l’Estonie, la Suède, les États-Unis et le Mali. L’accent est mis sur le fait que les ethnologues des petits pays, ou pays en périphérie, ont tendance à reconnaître et à analyser le rôle des études de folklore dans la formation des symboles de leur propre nation, tandis que les ethnologues contemporains du coeur de l’Occident, c’est-à-dire les États-Unis, reconnaissent rarement les liens entre leur propre travail et la construction de la nation. Nous indiquons l’existence d’un discours nationaliste occulté dans les études de folklore aux États-Unis. Mais puisque ce discours englobe la diversité ethnique, il paraît beaucoup plus internationaliste et ouvert sur le monde qu’il ne l’est en réalité. Cet article se termine par un plaidoyer pour que les ethnologues de partout au monde se rassemblent en dehors des institutions anglophones de l’Occident pour examiner de manière critique les prémisses du savoir et les notions d’excellence et de pouvoir universitaire.
(Commenté par Jean Bazin, Pauline Greenhill)
Dans le rapport entre le chercheur et l’objet de la connaissance, que ce rapport s’exerce sur le mode de la certitude du soi, ou bien sur le mode de son incertitude et de la nature relationnelle entre le soi et l’autre, la production de la distance est un trait constant en ethnologie, en anthropologie, en histoire, mais aussi dans toutes les disciplines des sciences humaines. Dans la quête de l’autre, c’est l’identité, donc la connaissance du soi, qui est le véritable enjeu. L’auteur évoque l’inversion épistémologique qui consisterait à mettre en avant l’objet du savoir, dont la construction est masquée par la Méthode dans le cadre disciplinaire. Partir de l’objet consiste à assumer un pluralisme disciplinaire dont les savoirs partiels n’ont pas à être unifiés, mais plutôt rassemblés, pour pouvoir comparer les points de vue, sachant que le savoir social n’est ni cumulatif, ni définitif. Il n’est qu’une configuration instable de connaissances partielles, mais qui peuvent prendre l’universel pour horizon idéel.
(Commenté par Richard MacKinnon, Madeleine Pastinelli)
Cet article fait part d’une expérience éditoriale, de collecte et de compilation, pour la création d’un cédérom portant sur la culture traditionnelle de l’Écosse du Nord : Northern Folk (Aberdeen, The Elphinstone Institute, 1999), coédité par Valentina Bold et Tom McKean sous la supervision de James Porter. Autant qu’il souligne la nature de collaboration de ce projet (en termes de financement, de sources d’archives et d’entrevues menées pour l’occasion), il explore le contenu de Northern Folk, mettant l’accent sur les avantages et les pièges d’une publication multi-média. L’auteur évoque également son projet actuel, le volet suivant, explorant la culture traditionnelle de l’Écosse du Sud. En partageant son expérience, Valentina Bold peut formuler quelques recommandations pour la publication future de cédéroms à base de matériel ethnographique.
Cet article expose les difficultés et les défis auxquels a dû faire face un ethnologue enseignant dans un département de kinésiologie. Elle traite plus particulièrement du travail de terrain demandé dans un cours d’histoire du sport, où les étudiants ont été appelés à collecter des histoires orales de sport au sein de leur communauté. L’auteur raconte la manière dont, en tant que professeur, il a justifié cet exercice auprès des étudiants, les réactions des étudiants et les résultats obtenus. Il démontre ainsi comment les principes de l’ethnologie dans la salle de cours permettent une meilleure compréhension de la valeur culturelle du sport, mais aussi comment ils suscitent un plus grand intérêt vis-à-vis de la matière du cours.
Dans cet exposé historiographique, l’auteur distingue deux voies divergentes dans le développement de la discipline folklorique au Québec. Depuis les origines des études de folklore dans le courant du XIXe siècle, les chercheurs se sont divisés en deux camps, entre les tenants de la tradition orale, considérée comme un patrimoine en voie de disparition, et les tenants de la culture matérielle. Cette scission est visible dans les travaux successifs d’Edouard Massicotte, Marius Barbeau, J.M. Gauvreau et Robert-Lionel Séguin. À partir des travaux de Luc Lacourcière, le folklore commence à être compris comme un tout indissociable. En examinant le parcours des principales figures de la discipline, l’auteur démontre comment ces parcours distancés finissent par se rejoindre dans une nouvelle approche.