Volume 27-1

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Vol. 27-1 – 2005

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Articles

Lucille GUILBERT

Introduction

L’histoire de l’humanité est une histoire des migrations. Par ailleurs, on assiste à une complexification et à une diversification des trajectoires migratoires. Les catégorisations habituelles en types de migration — migration volontaire, migration forcée, migration économique — fondées sur les motivations en termes de facteurs de départ [push factors] et de facteurs d’attraction [pull factors] se conjuguent en des configurations flottantes chez un même individu ou un même groupe. Le modèle univoque de la migration d’un point d’origine à un point d’arrivée correspond peu aux situations contemporaines. La migration est un déplacement multidirectionnel et, comme le disent Droz et Sottas, « la conception d’un déménagement définitif ou d’un déplacement irréversible ne rend pas compte de la réalité sociale, car les phénomènes migratoires observables aujourd’hui sont — pour la plupart — bidirectionnels ou circulaires » (1997 : 70). Le plus souvent, les trajectoires migratoires sont ponctuées d’aller-retour, de va-et-vient fréquents entre divers lieux : pays natal ou pays de résidence, pays où sont installés des membres de la famille dispersée ou la collectivité en diaspora, pays d’adoption. Cette mobilité entraîne des réaménagements des identifications culturelles et sociales et des appartenances à des groupes ou à des réseaux locaux, nationaux ou transnationaux.

Les problématiques prises en compte par l’ethnologie des migrations marquent une distanciation épistémologique avec l’anthropologie classique car elle rompt avec la conception harmonieuse de « l’interdépendance étroite milieu-environnement-société ». Dans ses analyses des immigrants et des réfugiés, des communautés diasporiques et des communautés transnationales, l’ethnologue Pierre Centlivres démontre que « si l’idée de sociétés vivant en rapport étroit avec leur environnement naturel et humain était juste, croire que c’est un rapport immémorial et intangible est faux » (Amiotte-Suchet et Floux 2002 : 9). Par exemple, les observations de Pierre Centlivres et Micheline Centlivres-Demont (2000) dans les camps de réfugiés du Pakistan ont révélé que les Afghans et les Turkmènes qui s’y trouvaient avaient été réfugiés plusieurs fois auparavant. Alessandro Monsutti approfondit cette perspective dans ses recherches sur les réseaux sociaux et les stratégies économiques des Hazaras d’Afghanistan. Il montre que le fait de se déplacer « pour chercher des emplois, pour échapper à une sécheresse ou fuir une guerre est une expérience commune en Afghanistan » (2004 : 54). Monsutti démontre que ces migrations ne dissolvent pas les appartenances communautaires ; souvent, elles les intensifient plutôt et les diversifient au fil des lieux traversés au point que ces appartenances constituent des ressources socioculturelles qui mobilisent la circulation d’information, d’argent et d’influences.

Qu’elle soit volontaire en vue de la réalisation de projets personnels et promotionnels ou qu’elle soit forcée par des catastrophes naturelles ou par des conflits au sein du pays de départ, la migration entraîne le relâchement ou la rupture de certains liens sociaux affectifs et professionnels et la perte de repères géographiques, sociaux et culturels. Cette même migration suscite par ailleurs une construction de nouvelles alliances et rapports à l’Autre, une appropriation de nouveaux lieux physiques et symboliques. Une élaboration identitaire se profile en permanence et questionne les appartenances (Camilleri et Vinsonneau 1996 : 68-69 ; Vinsonneau 2002). Mucchielli définit l’appartenance comme un processus qui « implique une identification personnelle par référence au groupe (identité sociale), des attaches affectives, l’adoption de ses valeurs, de ses normes, de ses habitudes, le sentiment de solidarité avec ceux qui en font aussi partie, leur considération sympathique » (1980 : 99). Mais à l’ère de « l’homme flexible », pour reprendre l’expression de Frédéric de Coninck, où l’appartenance à une famille, un groupe de travail, une communauté, une nation, devient plus floue, moins durable et multiforme et est marquée par l’élargissement des réseaux sociaux, le sentiment d’appartenance se construit davantage dans une trajectoire individuelle de stratégies et de choix personnels (Coninck 2001 : 7-81). On peut définir le sentiment d’appartenance comme l’émotion de se considérer comme partie intégrante d’une famille, d’un groupe ou d’un réseau. Ce qui n’exclut pas que ce choix converge et englobe les membres d’une famille ou d’un groupe. En ce sens, Michèle Vatz-Laaroussi (2001), sur les stratégies familiales des familles immigrantes, montre la force du sentiment d’appartenance en action à travers les stratégies familiales d’adaptation à leur société d’adoption. De plus, le sentiment d’appartenance varie avec les traditions historiques et culturelles qui ont intégré les migrations et la mobilité comme stratégie de survie et stratégie de développement. Il est modulé aussi par la personnalité et les projets individuels et familiaux du migrant. À ce titre, les exemples fournis par Centlivres et Centlivres-Demont (2000) et par Monsutti sur les réfugiés afghans nous conduisent à réviser certaines positions. Même dans des situations objectives et difficiles de migrations forcées, la migration peut comporter une dimension affective positive, le sentiment d’accomplir un rite d’initiation vers l’âge adulte et acquérir un plus sur le marché matrimonial.

Il a été demandé aux auteurs d’Appartenances/ Migrations/ Belonging, de s’interroger sur les significations attribuées au processus migratoire par les acteurs migrants, sur le développement de sentiments d’appartenance à travers et à partir de l’expérience migratoire. La pluralité des différents ancrages disciplinaires et multidisciplinaires, des angles d’observation, des questionnements épistémologiques, théoriques et méthodologiques, des pratiques professionnelles, apportent un éclairage nouveau sur l’inventivité des pratiques culturelles et sur la formation des réseaux d’appartenances nationaux et transnationaux. Au-delà des représentations idéologiques des lieux et des personnes, on observe des renouvellements et des « recadrages » méthodologiques qui permettent des conceptualisations fondatrices de nouveaux rapports à l’Autre. Certains auteurs explorent davantage les pratiques culturelles et sociales dans l’expérience de réfugié et de personne déplacée de même que l’élaboration des réseaux locaux, nationaux et transnationaux (Monssutti, Dicum, Mosquera-Labbé, Morissette). D’autres se concentrent davantage sur les dimensions symboliques et émotionnelle du sentiment d’appartenance en regard de la transmission de la mémoire migrante, du projet identitaire, de la transmission intergénérationnelle et débouchent sur des pratiques de médiation culturelle (Meintel et Kahn, Dorais, Boucher, Guzin-Lukic). D’autres encore examinent les rapports à des situations plus en marge des phénomènes migratoires tels qu’on les conçoit ordinairement. Une analyse des dynamiques identitaires et le sentiment d’appartenance de jeunes professionnels dans la fonction publique d un État officiellement multiculturel et multilingue enrichit la réflexion sur les phénomènes similaires en situation de migration (Veillette). Les voyages touristiques de retour au pays d’origine (Fourcade) et les voyages de longue durée unissant loisirs et travail dans une forme de vie nomade moderne, le full-time RVing (Forget) illustrent quelques-unes des formes de mobilité qu’il reste à circonscrire.

La contribution d’Alessandro Monsutti pose une réflexion épistémologique sur les méthodologies de terrain et les méthodes d’investigation. Au lieu de se fixer un lieu d’observation fixe, l’observation in situ, l’ethnologue va davantage suivre le mouvement des individus et des groupes dans leurs pérégrinations. Pour effectuer l’étude des réseaux, l’ethnologue ne se contentera plus de reproduire les relations par des graphes, mais suivra l’élaboration de ses réseaux. L’ethnologue se fait lui-même migrant. Monsutti utilise une méthodologie d’étude des réseaux renouvelée et articulée autour des relations interpersonnelles et des déplacements afin d’examiner les pratiques culturelles et sociales, les stratégies de diversification économique et de survie à travers la dispersion spatiale. Il en résulte que la distinction entre les catégories de réfugié, de personne déplacée, de migrant volontaire, de migrant économique est ici très nuancée car une large proportion de cette population hazaras présente, simultanément ou successivement, des traits de toutes ces catégories. Ces réfugiés ne sont pas de simples victimes d’un sort qui les dépasse, dit Monsutti, ils savent utiliser leurs ressources culturelles pour s’adapter à des circonstances dramatiques, ils développent un certain nombre de stratégies sociales similaires à celle des migrants économiques et un individu peut appartenir à plusieurs catégories à la fois ou passer de l’une à l’autre au cours de son existence. Au cours de ces va-et-vient fréquents, « il ne s’agit dès lors pas d’une rupture des liens sociaux, puisque ces déplacements s’insèrent dans la représentation de mobilité que les gens se font du parcours de la vie d’un homme ». Le sentiment d’exil et le sentiment d’appartenance s’ancrent dans les représentations du déplacement, des significations que l’on attribue à ces déplacements et de l’utilisation qu’on en fait. Les travaux d’Alessandro Monsutti sur les réseaux afghans hazaras révèlent l’appropriation de l’expérience de réfugié et de migration en terme de « principe de vie » (2004 : 185) et comment la migration est utilisée comme stratégie économique à travers des réseaux de solidarité et d’entraide.

Les réseaux sociaux que tissent les migrants au cours de leur migration ou de leur déplacement forcé au sein de leur pays ou ailleurs leur offrent des opportunités de découvrir leurs droits et de nouvelles ressources pour faire reconnaître ces droits en participant à des associations solidaires. Claudia Mosquera-Labbé montre, à travers le récit de quinze femmes afro-colombiennes déplacées, la forte précarité de la situation de la personne déplacée qui ne reçoit pas les protections accordées aux personnes réfugiées. Par ailleurs, les analyses de Mosquera-Labbé dévoilent les nouvelles pratiques sociales de ces femmes déplacées qui découvrent qu’elles sont des sujets de droit et qu’elles peuvent revendiquer leurs droits à travers des pratiques associatives en se transformant ainsi en sujets politiques.

Les migrations confrontent non seulement les pratiques culturelles et sociales des migrants mais tout autant les pratiques professionnelles des intervenants sociaux et des éducateurs auprès des populations réfugiées ou déplacées.

Julia Dicum présente un bilan théorique sur les programmes d’éducation en situation de crise en regard d’une expérience réalisée auprès de jeunes réfugiés afghans dans des camps de réfugiés pakistanais. Le séjour dans un camp de réfugiés constitue pour ces jeunes afghans à la fois un lieu d’acculturation et un lieu d’expériences sociales et politiques. L’éducation en situation d’urgence dans l’espace culturel de camp de réfugiés, en situation de transition, nécessite un équilibre entre une orientation à la communauté et un espace d’apprentissage et d’expériences nouvelles.

Le sentiment d’appartenance d’un individu à une collectivité se développe de pair avec la capacité qu’il a de pouvoir exprimer ses besoins, ses attentes, ses suggestions et le sentiment d.être reconnu dans la contribution qu.il peut apporter quelque chose à cette société (Guilbert 2004 ; 2005a). Pour une intégration réussie des nouveaux arrivants, une société se doit de mettre en oeuvre des accommodements raisonnables, des passerelles, des médiations efficaces. Une bonne maîtrise de la langue de pays d’accueil constitue un atout incontournable d’une intégration réussie et cette maîtrise s’acquiert progressivement. Le recours à un interprète est un droit identitaire fondamental et s’avère indispensable au moment de l’accueil du nouvel arrivant et au cours des premières années d’installation, en des occasions de moins en moins fréquentes au fur et à mesure que les efforts conjugués du nouvel arrivant et des mesures d’accueil et d’accompagnement produisent leurs fruits. Le contexte de situation dans lequel la relation du nouvel arrivant avec son environnement social est facilitée par l’action d’une personne qui réalise une médiation de langage varie considérablement selon que l’action se produit dans la sphère semi-privée, publique ou institutionnalisée. La sphère publique elle-même nécessite différents styles d’interprétariat selon les exigences de la situation ; les attentes face à un interprète en contexte juridique ou lors de la visite chez un médecin ou autre service social ne répondent pas aux mêmes critères. En effet, les fonctions attribuées à un interprète varient selon les contextes d’intervention et selon les cultures d’intervention et du rapport de force qui s’y déroule (Roy et Kapoor-Kohli 2001 ; Guilbert 2002a ; 2002b). Tant lors de démarches de médiation citoyenne interculturelle que dans les ateliers de formation mutuelle (Guilbert 2005), nous avons été confrontés à une vive polémique concernant les attentes face aux interprètes. Certains, souvent des gestionnaires de banques d’interprètes ou de services, préconisaient le mot à mot fidèle lors des interactions et l’effacement physique, culturel, expérientiel de la part de l’interprète, en justifiant cette exigence par une compréhension assez singulière de la notion de neutralité. D’autres participants, souvent des réfugiés, revendiquaient plusieurs changements dans la gestion des services d’interprétariat. Ils préconisaient une plus grande disponibilité des horaires de prestations de services d’interprétariat, notamment des services d’urgence sept jours par semaine ; le droit d’avoir le choix de l’interprète qui accompagnera, le droit de refuser un interprète en qui on n’a pas confiance ou qui par sa présence même offenserait l’intimité des propos ; une compréhension du rôle de l’interprète qui dépasse le mot à mot pour rejoindre davantage une fonction d’explication et de médiation culturelle. D’autres encore, souvent des interprètes, reproduisaient dans leurs propos le discours officiel de leurs employeurs concernant le mot à mot et l’effacement des interprètes alors que l’observation de leurs pratiques dévoilait une approche sensible des besoins et des situations ; souvent, sans le conceptualiser, l’interprète tenait un rôle de passeur, de médiateur interculturel auprès des porteurs de cultures différentes.

Karine Morissette examine la trajectoire migratoire et professionnelle d’immigrants interprètes dans la région de Québec. Elle cerne différents profils d’interprètes, professionnels dans la sphère publique, « spontanés » dans la sphère privée, et discute de différentes conceptions quant au rôle de l’interprète. La tension linguistique dans le contextequébécois francophone et les enjeux démographiques du Québec au sein du Canada majoritairement anglophone influencent-ils la pratique professionnelle ? Le rôle de médiation interculturelle peut-il véritablement fonctionner au sein d’un acte professionnel, voire médical, administratif, législatif ? La triade formée par l.allophone, l’interprète et l’intervenant peut-elle s’échapper d’un rapport de force ?

Le sentiment d’appartenance s’inscrit dans des logiques sociales et culturelles. Il se construit à travers des dimensions à la fois symboliques et émotionnelles fortes. La question d.appartenance renvoie inéluctablement à la notion d’identité. Loin des courants qui conceptualisaient l’identité en un cumul de caractéristiques innées transmises biologiquement, les courants actuels, marqués par les dynamiques des migrations internationales et par l’emprise des phénomènes de mondialisation, reconnaissent la malléabilité et la mouvance de la notion d’identité. La réflexivité et l’idéologie pluraliste interviennent dans ce travail définitoire de soi-même. Deirdre Meintel et Emmanuel Kahn montrent que le sentiment d’appartenance peut s’inscrire également dans un projet identitaire plus conscient et volontariste de la part des parents, plus diffus et constructiviste de la part des enfants. Alors que les parents projettent leur aspiration identitaire sur leurs enfants dans le futur, les enfants tissent leur identité au présent au gré des opportunités et des choix spontanés. Lorsqu’ils sont eux-mêmes parents, ils conjuguent ce qu’ils ont acquis de leurs parents et les enjeux qui les interpellent dans la réalité pluraliste de la société québécoise dans le contexte de la mondialisation contemporaine. Ce projet peut donc prendre la forme d’une négociation intergénérationnelle. Cette dimension est prise en charge également dans les recherches de Dorais et de Boucher. Ainsi, l’appartenance ethnique relève d’un sentiment d’identité qui se développe constamment ; elle n’est plus conçue comme une caractéristique innée, même si, précisent Meintel et Kahn, « dans l’expérience subjective des personnes, ce sentiment persiste encore ». Tout comme Monsutti le fait pour saisir les situations de mobilité spatiale et sociale, Meintel et Kahn revisitent la méthodologie de l’étude des réseaux pour arriver à une meilleure compréhension de la société « comme un ensemble de relations sociales ramifiées à partir de chaque individu ».

La construction du sentiment d’appartenance à une collectivité est influencée par le rapport majoritaire-minoritaire non seulement en contexte de migration, mais également dans le contexte des sociétés fédérales qui promeuvent des politiques de multiculturalisme et de multilinguisme. Josianne Veillette analyse la construction identitaire de jeunes travailleurs québécois et suisses dans la fonction fédérale de leur pays respectif. Sans être engagés dans une expérience migratoire, ces jeunes professionnels sont en situation quotidienne de négocier leur identité culturelle et ethnique et leur identité professionnelle à travers leurs stratégies et positionnement face à leur capacité et à leur choix d’utiliser l’une ou l’autre des langues officielles selon les contextes de travail et l’équilibre des jeux de pouvoir. À la fois, les cultures institutionnelles et les dynamiques de groupes influencent fortement le développement d’un sentiment d’appartenance tant dans l’expérience migratoire que dans l’environnement de travail dans un milieu plurilingue et multiculturel.

Une société peut favoriser le développement du sentiment d’appartenance de ses membres à la collectivité à travers des pratiques de médiation culturelle dans l’espace public (Lamizet 1999 ; Guilbert 2004). Les contributions de Louis-Jacques Dorais, de Colette Boucher et de Nada Guzin-Lukic explorent diverses facettes de médiations culturelles par l’oralité, l’écriture et l’espace muséal.

À partir d’un outil de sensibilisation au pluralisme culturel, réalisé grâce à l’étroite collaboration d’un anthropologue (Dorais 2003) et d’aînées et aînés vietnamiens, Dorais explique comment le récit de vie d’immigrés ouvre une fenêtre sur la manière dont l’identité culturelle se construit et est remémorée. Les souvenirs d’enfance, l’identité culturelle vietnamienne à la fois conservée, transformée, fantasmée, deviennent une ressource sociale à partager avec la jeune génération d’enfants nés au Québec d’immigrants vietnamiens et avec l’ensemble de la population québécoise. L’écriture ethnographique choisie par Dorais déploie une mise en scène fictive d’une discussion d’aînées et d’aînés autour d’un thé chez le Dr Quynh, personnage légendaire de la tradition orale vietnamienne. La mise en scène fictive rappelle les procédés littéraires dans la tradition des Évangiles des quenouilles, de Boccace, de Marguerite de Navarre. Toutefois, elle sert ici d’abord le projet des acteurs migrants eux-mêmes. L’ethnologue accepte le rôle instrumental de soutien, de catalyseur et de canal de transmission auprès d’acteurs sociaux engagés qui élaborent et mènent à terme leur entreprise culturelle. Cette médiation culturelle se réalise. Le sentiment d’appartenance au pays d’origine et le sentiment d’appartenance au pays d’immigration ne sont pas en concurrence ni en opposition. Une voie s’ouvre : le développement d’un sentiment d’appartenance au pays d’adoption est tributaire de la libre expression et de la reconnaissance du sentiment d’appartenance au pays d’origine et au pays d’adoption.

Le déploiement de ce sentiment d’appartenance à deux ou plusieurs entités culturelles et nationale se construit dans un espace transnational. Monsutti décrit le cas afghan. Dorais a exploré ailleurs ces identités transnationales chez les Vietnamiens (2004 ; 1998). Les récits de vie analysés par Monsutti, Meintel, Dorais et Boucher font écho à cette transmission de la mémoire familiale et à ce désir de partager un sentiment d’appartenance. L’entrevue réalisée avec l’auteure québécoise d’origine haïtienne Marie-Célie Agnant par Colette Boucher pose les questions de l’oralité et de la transmission des valeurs culturelles par l’intermédiaire du récit oral investi et célébré dans le récit littéraire. L’écriture littéraire opère une médiation culturelle par laquelle les pratiques langagières, le français et le créole, le sentiment d’appartenance au pays d’origine et au pays d’adoption, la communication intergénérationnelle se transforment et s’interpénètrent en créant des configurations identitaires innovantes et ouvertes sur un enrichissement constant. Ces réinterprétations et reconfigurations des sentiments d’appartenance se font toutefois à la manière d’une lutte avec soi-même sinon avec les autres. L’image de la guerrière évoque cet esprit de lutte, de courage et d’intégrité qu’il faut à tout prix assurer pour soi et pour ses descendants. Le personnage de la mère, plus particulièrement de la grand-mère, tient le rôle de médiatrice dans cette transmission du patrimoine culturel et linguistique.

Le sentiment d’appartenance à une collectivité se construit d’une manière privilégiée dans l’espace public (Lamizet 1999). L’institution muséale peut offrir une médiation artistique susceptible de nourrir les identifications à une collectivité, de réduire la fracture sociale par la production d’un « lien social » (Caune 1999 : 44). Amorçant un prolongement à ses travaux sur la médiation muséale en contexte de réconciliation après les conflits survenus en Bosnie et Herzégovine (Guzin-Lukic 2004 ; 2005), Nada Guzin-Lukic élargit sa réflexion à la médiation culturelle du musée au sein de la société pluraliste québécoise. Les musées peuvent être le lieu d’une médiation entre le citoyen et la ville, la région ou le pays. Les Québécois natifs et les Québécois issus de l’immigration réagissent-ils de la même manière devant une même exposition sur l’évolution de la culture québécoise ? Le discours politique et social véhiculé par le Musée donne-il une juste représentation de la réalité plurielle du Québec d’aujourd’hui ?

La quête de souvenirs et le désir de transmission culturelle dans le pays d’adoption traversent aussi la contribution de Marie-Blanche Fourcade. Fourcade décrit les différents aspects des rapports entre souvenirs touristiques et diaspora. Des immigrants arméniens au Québec font plus ou moins régulièrement des voyages de visites dans leur pays d’origine et en rapportent dans leur lieu de vie au Québec des souvenirs touristiques. Ce « tourisme de retour », comme l’appelle Fourcade, présente des caractéristiques différentes du tourisme ordinaire. Ces objets sont-ils vraiment rattachés à une identité arménienne et sont-ils destinés aux mêmes usages qu’auparavant ou sont-ils plutôt des substituts de repères culturels et géographiques perdus ? Dans tous les cas cependant, ces objets constituent de toute évidence pour leur acquéreur un moyen d’exprimer un sentiment d’appartenance à la collectivité arménienne dans son histoire de longue durée et dans la diaspora.

Le foisonnement des formes de mobilité dans le monde actuel met-il en danger la capacité de créer des liens sociaux signifiants et d’entretenir un sentiment d’appartenance dans la durée ? L’homme flexible est-il un homme sans attache ? Le mode de vie du « camping à temps plein » illustre une forme extrême de la quête d’une liberté et d’une mobilité sans contraintes. Célia Forget esquisse l’analyse d’un mode de vie mobile, le camping à plein temps ou « full time RVing », une forme de nomadisme qui allie l’aventure et la liberté au confort nord-américain par le truchement de la technologie de la mobilité et des communications. Comment ces personnes qui ont tout quitté pour vivre dans leur véhicule récréatif et sillonner les routes nord-américaines cultivent-elles un sentiment d’être chez soi tout en se déplaçant ? Pour ces « nouveaux nomades », qui ne sont ni des immigrants ni des réfugiés ni des personnes déplacées, la mobilité permanente ne remet en cause ni leur citoyenneté, ni leur sentiment d’appartenance à une nation. La forme de vacances temporaire qu’ils adoptent s’inscrit dans une durée indéterminée et les vacanciers se projettent dans un imaginaire et une vie fantasmée d’itinérant, de gitans et de hobos sans en vivre toutes les implications concrètes. Entre la culture de la mobilité et la volonté d’enracinement, il semble qu’ils aient canalisé ces deux tendances dans une tendance nord-américaine, celle du fantasme du plaisir et de liberté sans contrainte. Le véhicule récréatif devient le symbole de l’imaginaire de la route et d’un mode de vie hédoniste. Les liens sociaux semblent toutefois distendus. Les liens familiaux résistent encore, mais uniquement dans la mesure où chaque membre de la famille accepte une réinterprétation, sinon une inversion des rôles de chacun au sein du groupe familial. En effet, à l’exception des liens familiaux, le full time RVing permet-il le développement de vrais réseaux sociaux intenses ?

 

La migration : une opportunité d’apprentissage

L’ensemble de ces contributions est traversé par des lignes de force convergentes. La prolifération des formes de mobilité actuelles nécessite un examen des typologies de migration et une flexibilité dans l’utilisation de ces définitions pour une compréhension fine de ces expériences humaines diversifiées. L’observation participante à travers la mobilité même du chercheur, les récits de vie des migrants, l’étude des réseaux recentrée sur les dynamiques relationnelles concrètes et les significations tant cognitives qu’émotionnelles que leur attribuent les acteurs sociaux constituent des voies méthodologiques prometteuses. Le sentiment d’appartenance tisse un champ social cohérent malgré la dispersion spatiale. Les situations vécues lors de migrations offrent l’opportunité d’expériences d’apprentissage, d’acquisition de savoirs et de savoir-faire, de développement de compétence, de déploiement de ressources personnelles et sociales.

Les migrations volontaires, mais aussi les migrations forcées, sont l’occasion de nouveaux apprentissages (Guilbert 2005a ; 2005b ; 2005c). La migration forcée est un déplacement marqué par les pertes, les deuils, les souffrances. Paradoxalement, ce voyage douloureux conduit à des expériences d’apprentissage. Les personnes qui ont été jetées dans l’exil ont réalisé, même dans des conditions difficiles, des apprentissages multiples.

On n’a jamais interrogé la possibilité qu’un obstacle à l’intégration de la personne réfugiée ou immigrante soit le déni des apprentissages et des savoirs acquis au cours de la migration. Ces apprentissages peuvent se produire à une étape de la trajectoire migratoire tant au niveau local ou national, qu’international. Ces expériences d’apprentissage peuvent être informelles : les compétences culturelles et leur transformation en compétences professionnelles ; la créativité des réponses culturelles aux situations nouvelles de la vie quotidienne ; les compétences narratives ; l’établissement de réseaux ; et la recherche de l’information. Ces expériences d’apprentissage peuvent être formelles, organisées par des organismes humanitaires internationaux ou locaux, sous formes de stages, de cours de formation de métiers, de cours de langue. Il faut considérer aussi les expériences de travail (interprète, enseignant de langue, éducateur, assistant travailleur social, commerçant) dans un contexte interculturel et international dans les camps de réfugiés et à toutes les étapes de la migration. Les expériences d’apprentissage sont influencées par plusieurs facteurs tels que les types de camps de réfugiés et leur localisation, l’âge, le genre, le niveau d’instruction, le groupe ethnoculturel auquel s’identifie le réfugié et le groupe ethnoculturel auquel il est identifié.

Il est souhaitable que des études sur les diverses formes de mobilité se multiplient dans une perspectivecomparative afin de mieux comprendre les liens possibles entre les expériences d’apprentissage, l’impact de la reconnaissance ou la non-reconnaissance de ces expériences d’apprentissage sur l’insertion sociale dans la société d’accueil en termes de résilience, d’obstacle, d’adaptation, de facteurs d’employabilité et de participation sociale et citoyenne à la société d’accueil.

Références

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Vinsonneau, Geneviève, 2002, L’identité culturelle. Paris, Armand Colin.

Alessandro MONSUTTI

En suivant les réseaux de Kaboul à New York. Quelques réflexions méthodologiques sur la recherche ethnographique parmi les migrants

Ce texte se fonde sur une recherche menée parmi les Hazaras, une population originaire du centre de l’Afghanistan. Il expose comment s’articulent le cadre théorique et l’approche méthodologique d’une recherche portant sur de vastes réseaux migratoires qui se déploient entre l’Afghanistan, le Pakistan, l’Iran et, de façon croissante, l’Occident, en montrant comment des considérations générales sont mises en oeuvre concrètement sur un terrain éclaté. Après avoir rapidement passé en revue de façon critique les débats portant sur les migrations, l’auteur aborde les techniques d’enquête adoptées : ethnographie itinérante, parcours de vie d’un nombre initialement faible de personnes, grille d’entretien et brèves généalogies pour reconstruire les relations sociales mobilisées au cours de la migration. Il s’agit de dépasser l’idée que la migration est un déplacement linéaire suivi d’une intégration plus ou moins réussie dans la société d’accueil : en effet, il apparaît au contraire que des lieux éloignés peuvent former un système et que la circulation des personnes a bien souvent un caractère multidirectionnel et récurrent.

Julia DICUM

(Re)Building a Feeling of Belonging in Complex Emergencies. Challenges and opportunities in the education of refugee children through the experiences of Afghans in Pakistan

Afin de contribuer au progrès du champ d’études émergent concernant les situations d’urgence complexes, cet article cherche à faire le tour des récentes tendances en études de programmes scolaires et en méthodes de recherche dans le domaine de l’éducation comparative et internationale (ECI), et à suggérer des domaines vitaux où l’ECI et les recherches en programmes d’études contribuent à la construction d’une praxis de qualité dans la mise en place de milieux d’apprentissage dans des situations d’urgence complexes. On scrute ensuite l’émergence d’une théorie critique de l’apprentissage de survie à partir d’une étude de cas de l’enseignement auprès des réfugiés afghans au sud-ouest du Pakistan à l’époque des Talibans. Cela représente une tentative par les éducateurs en situation d’urgence de s’écarter d’une perspective uniquement centrée sur les aspects pragmatiques de leur pratique vers une approche qui se concentre de façon stratégique et réfléchie sur la nature même de la pratique et qui suggère quelques directions novatrices que pourrait prendre l’évolution de la théorie. Cet article se nourrit des expériences de première main de l’auteure en gestion des programmes visant des réfugiés, ainsi que d’une documentation composée des politiques, des rapports de terrain et des traditions fortes provenant du champ des programmes d’études, le tout permettant de souligner le besoin du développement rigoureux d’une meilleure compréhension des exigences de la survie dans des situations d’urgence complexes.

Claudia MOSQUERA ROSERO-LABBÉ

Souffrir du déplacement forcé pour connaître ses droits. Impact du conflit armé interne sur les Afro-colombiennes

En Colombie, il est possible de tisser des liens entre la période connue sous le nom de La Violencia et le déplacement forcé contemporain, car l’accaparement illégal des terres, l’assassinat de personnes et la migration forcée vers les moyennes et grandes villes sont des constantes de ces deux phénomènes. Nous avons observé à Bogotá l’impact du déplacement forcé sur un groupe de femmes afrocolombiennes d’origine rurale, en provenance du Chocó (région du Pacifique). Leur expérience vécue, qui permet d’entrevoir la dynamique du conflit armé interne colombien dans cette zone, est qu’à Bogotá elles ne peuvent plus exercer leurs pratiques culturelles traditionnelles. Elles déploient cependant des stratégies pour que leur culture devienne une sorte de carte de présentation lorsqu’elles cherchent à positionner leur altérité dévalorisée dans des contextes de quartier où dominent les pratiques culturelles associées aux Andes colombiennes ; elles deviennent ainsi des médiatrices interculturelles tout en rendant visibles les problèmes d’exclusion sociale de leurs voisins non déplacés.

Célia FORGET

Rencontre avec un nomade moderne : le full-time RV-er

L’appel de la route, si présent ces dernières décennies en Amérique du Nord, connaît un regain de popularité auprès des full-time RVers (caravaniers à plein temps). Ces personnes décident de tout quitter pour vivre uniquement dans leur véhicule récréatif et sillonner les routes nord-américaines. Ils sont les nouveaux nomades de l’Amérique du Nord. Leur mode de vie est basé sur une mobilité permanente, délibérée, s’effectuant sur le continent américain, ce qui ne génère ainsi qu’un faible fossé culturel et qui les différencie des autres groupes migrants et nomades. Cette population, peu connue des recherches scientifiques, concerne pourtant plusieurs millions de Nord-américains. Cet article propose de faire connaissance avec ces nomades modernes, de savoir qui ils sont, où ils vivent et de comprendre leurs stratégies d’adaptation envers des concepts aussi fondamentaux que celui de la famille.

Deirdre MEINTEL, Emmanuel KAHN

De génération en génération. Identités et projets identitaires de Montréalais de la « deuxième génération »

Cet article s’appuie sur plusieurs recherches menées au cours des années 1990 dans différents milieux sociaux et culturels à Montréal sur la question des identités ethniques des jeunes issus de l’immigration. Ces divers travaux ont permis de constater que les parents immigrants, les parents en union mixte et ceux qui adoptent à l’étranger formulent des projets spécifiques quant à l’identité ethnique de leur enfant et déploient plusieurs stratégies concrètes à cet effet. Une étude récente que nous menons sur les unions mixtes inclut un échantillon de parents qui ont grandi en milieu ethnique minoritaire à Montréal. Leurs projets identitaires pour leurs enfants sont comparés avec leur propre socialisation et les projets identitaires qu’avaient leurs parents immigrants pour eux. Cet article démontre que les projets identitaires actuels des jeunes parents issus de milieux immigrés se distinguent de ceux des cohortes précédentes à plusieurs égards, notamment en ce qui a trait aux enjeux de la réalité pluraliste.

Louis-Jacques DORAIS

Mémoires migrantes, mémoires vivantes. Identité culturelle et récits de vie d'aînés vietnamiens au Québec

Cet article décrit et analyse quelques souvenirs d’enfance et de jeunesse de sept aînés d’origine vietnamienne, trois femmes et quatre hommes, habitant maintenant à Montréal et à Québec. Ces souvenirs font partie de récits de vie recueillis auprès de ces aînés en 2003, lors de la préparation d’un outil de sensibilisation au pluralisme culturel. En mettant en lumière les points forts de ces récits (propos tenus par les aînés sur leur enfance, leur jeunesse et la pertinence de leurs traditions en contexte migratoire), nous tentons de dégager les traits culturels distinctifs que chacun d’eux met en exergue. Cette mise en exergue permet de toucher aux fondements mêmes du processus identitaire, en faisant appel à la mémoire profonde des aînés et en mettant les souvenirs d’enfance et de jeunesse qui ont marqué leur enculturation première en contraste avec leur vie actuelle au Québec. En permettant l’expression et la communication de cette mémoire, le récit de vie d’immigrés ouvre donc une fenêtre sur la manière dont l’identité culturelle se construit et est remémorée.

Colette BOUCHER

Littérature transculturelle, paroles de femmes et souffle d'oralité. Une entrevue avec Marie-Célie Agnant

Cette présentation trace des liens entre communication interculturelle, transmission culturelle intergénérationnelle, oralité et écriture tout en faisant ressortir la façon dont la littérature migrante en général et, de façon particulière, la littérature de tradition haïtienne, mettent en scène ces notions. Cette mise en contexte éclairera ensuite les propos de l’écrivaine québécoise d’origine haïtienne, Marie-Célie Agnant. Au cours d’une entrevue, à travers des va-et-vient entre sa propre vie et celle des personnages de ses romans et nouvelles, elle nous livre ses réflexions sur l’oralité et le rôle des femmes dans la transmission culturelle intergénérationnelle en Haïti, la difficulté pour les femmes haïtiennes d’accéder à l’écriture et à la parole publique, le relais par l’écriture dans le processus de transmission vers les membres de la diaspora et l’écriture comme vecteur de la communication interculturelle.

Nada GUZIN-LUKIC

La représentation des immigrants dans l'espace muséal et patrimonial de Québec

Jusqu’à quel point et de quelle manière les immigrants d’hier et d’aujourd’hui partagent-ils l’espace public culturel au Québec ? Les enjeux de l’exclusion/inclusion sont rythmés par l’évolution de la définition même de l’identité québécoise et du patrimoine qui la symbolise. Comment les immigrants sont-ils représentés : d’une manière individuelle ou/et collective ? Sont-ils intégrés ou séparés, passifs ou actifs, sont-ils liés plutôt à leur communauté d’origine ou à leur expérience québécoise ? Par l’analyse des expositionsMémoires et Le Temps des Québécois, portant sur le thème de l’identité, présentées au Musée de la civilisation de Québec, cet article se propose d’interroger les représentations des immigrants et les stratégies actuelles de la médiation interculturelle.

Marie-Blanche FOURCADE

De l'Arménie au Québec. Itinéraires de souvenirs touristiques

À partir d’un corpus de souvenirs touristiques relevés dans des intérieurs domestiques de la diaspora arménienne du Québec, cet article se propose de retracer le parcours des objets, de leur acquisition en Arménie jusqu’à leur intégration dans les maisons. En partant de l’hypothèse que le sens investi dans ces artefacts ne se limite pas à la simple remémoration d’un voyage, il devient nécessaire de cerner ce qui leur donne une valeur ajoutée. La richesse de la production est d’abord analysée par ses formes et ses thèmes ; on y découvre une culture matérielle au service du territoire et de l’identité arménienne. Les sphères sociales convoquées lors de la circulation des artefacts montrent, ensuite, l’influence des transactions économiques et humaines sur les significations dont ils sont porteurs. Enfin, l’observation des objets dans les espaces privés apporte des éclairages sur les rôles qui peuvent être tenus dans la vie quotidienne des Arméniens déracinés. On les perçoit alors comme des repères d’appartenance ou des substituts de biens perdus, supports à partir desquels il est possible de reconstruire un univers culturel chez soi.

Josianne VEILLETTE

Dynamiques identitaires en milieu de travail. Le cas de jeunes professionnels québécois et suisses romands

À partir de l’idée que les individualités sont en grande partie tributaires du milieu dont elles sont issues, cet article souhaite apporter une réflexion sur le jeu entre les groupes d’appartenance et la formation identitaire, en particulier sur les stratégies mises en oeuvre par de jeunes Québécois francophones et Suisses romands pour s’intégrer à un milieu professionnel qui offre un contexte d’échanges interculturels et promeut des politiques officielles en faveur du plurilinguisme et du multiculturalisme. Le Canada et la Suisse connaissent des rapports de force entre groupes linguistiques majoritaire et minoritaires qui agissent sur les dynamiques relationnelles entre les communautés. Les jeunes intègrent dans leur formation identitaire des caractéristiques de leur collectivité, mais ils connaissent aussi des expériences personnelles qui forment leur individualité. Des études de cas permettent de saisir leur façon de concevoir leur expérience de travail dans un milieu plurilingue et multiethnique, et démontrent que les dynamiques de groupes influencent fortement l’environnement de travail.

Karine MORISSETTE

L'interprétariat. Espace de médiation interculturelle dans le contexte francophone québécois

Afin de maintenir la spécificité linguistique du Québec, le gouvernement québécois encourage l’établissement d’immigrants indépendants francophones sur son territoire. Cependant, le Québec accueille aussi des immigrants allophones pour qui la méconnaissance du français constitue un obstacle à l’intégration et à la participation à cette société d’accueil. Afin d’atténuer cette barrière linguistique, les nouveaux arrivants allophones peuvent recourir aux services d’un interprète. Mais ce dernier, qui évolue en milieu social, ne fait-il que de la traduction ? En comparant la pratique de deux interprètes exerçant à Québec, nous pourrons constater que l’interprète peut être également un médiateur interculturel qui facilite l’établissement de liens entre les immigrants allophones et les membres de la société d’accueil, voire qui favorise l’intégration et la participation de ces personnes à la société québécoise.