Volume 28-2

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Vol. 28-2 – 2008

Regular Issue

Articles

Sidney Eve MATRIX, Pauline GREENHILL

Introduction

Beaucoup de gens croient que le mariage et les noces sont affaires d’amour et de relations. Mais l’amour et les relations n’ont pas besoin de la vérification institutionnelle de l’Église et/ou de l’État que confère le mariage. Et puis, en fin de compte, les noces et le mariage sont affaires de sexualité et de propriété — l’approbation socioreligieuse de la sexualité et la répartition, la consommation et l’accumulation socio-économique de la propriété. Aujourd’hui encore en Amérique du Nord, où les différences entre couples mariés et non-mariés s’estompent, c’est toujours le mariage qui procure l’accès au système de santé (ou, au Canada, au système complémentaire de santé), non garanti aux gens vivant en union libre, et qui confère un statut d’immigrants privilégiés aux partenaires mariés (voir Matrix, à paraître), sans parler d’une foule de sanctions et d’approbations sociales informelles. Ces buts et ces effets n’ont pas changé avec l’avènement de nouveautés, depuis les mariages entre gens du même sexe jusqu’au fait de demander soi-même grossièrement (ou de manière codée) de l’argent sur les cartons d’invitation au mariage, parmi d’autres pratiques qui auraient été impensables pour la plupart des gens de la classe moyenne blanche en Europe ou en Amérique du Nord il y a à peine cinquante ans.

Le mariage fait référence d’ordinaire aux structures légales et sociales entourant le lien entre individus pour l’échange de services sexuels et économiques. Les noces sont les rituels et cérémonies spécifiques, la sanction légale et religieuse qui confère sa réalité à cette connexion. Mais il est pratiquement impossible de parler de noces sans dire quelque chose du mariage, et vice versa.

Le mariage a toujours impliqué le transfert d’individus — le plus souvent des femmes — d’un lignage à un autre — le plus souvent entre hommes (voir par exemple Lévi-Strauss 1969 et Rubin 1975) — ce qui se reflète dans la tradition euro-nord-américaine par le fait que les femmes doivent changer le nom de famille qui leur vient de leur père par celui de leur mari2. Mais il a aussi mis en jeu, à travers les cultures, le transfert de propriété matérielle — argent et cadeaux — entre les familles et les individus. Il est possible que ce ne soit qu’au moment du divorce que beaucoup de couples de la classe moyenne d’aujourd’hui découvrent le lien entre leur statut matrimonial et le partage de leurs biens et de leurs propriétés, mais un tel entremêlement est factuel à partir du moment où ils sont mariés.

Le symbolisme des noces revient à afficher publiquement les sexualités des partenaires — plus visiblement celle de la mariée dans les noces hétérosexuelles, mais également, par induction, celle du marié. Par exemple, il serait bien difficile de trouver un Euro-Nord-américain qui ignorerait que la robe blanche des mariées symbolise la virginité. On peut ricaner intérieurement lorsque la mariée choisit de porter du blanc alors qu’elle a vécu en couple pendant des années et a peut-être même eu des enfants de son conjoint de fait. Mais même si il/elle3 ne le fait pas, le choix de la couleur de sa robe fait référence à sa sexualité, qu’il/elle le veuille ou pas. Que le marié guide la main de la mariée au moment de couper le gâteau est une autre citation de l’initiation à la sexualité, tout comme le fait de soulever le voile, lancer la jarretière, piétiner un verre à vin, et ainsi de suite. Cependant, comme l’illustrent beaucoup des articles présentés ici, le nouveau symbolisme des noces contemporaines combine les vieilles traditions et les nouvelles : maintes célébrations d’aujourd’hui s’organisent autour d’une consommation ostentatoire de marchandises spécifiques aux noces, de l’accumulation et de l’exposition de biens statutaires appropriés (tels qu’une lune de miel exotique ou des albums photographiques élaborés) et de marques de designers célèbres (comme Vera Wang ou Krups). Ces nouveaux symboles nuptiaux indiquent que le couple se trouve dans une situation ascensionnelle, poussé de l’avant par le soutien, l’approbation et les investissements financiers de la famille et des amis. Mais le mariage et les noces elles-mêmes peuvent également n’être plus que des options, remplacés par une cérémonie de fiançailles avant qu’un couple commence à vivre ensemble — ou même sans avoir aucunement l’intention de cohabiter.

Certains experts de l’étiquette s’accordent sur le fait qu’il est rustre d’évoquer l’aspect économique des noces. « Miss Jeanne », de EtiquetteHell.com, affirme sans équivoque : «Parler d’argent est lourd et grossier3» (Hamilton 2005 : 8). Il est tout aussi malappris d’affirmer que les mariages ont pour objet de légitimer l’accès à la sexualité et à ce qui pourrait en être le produit — les enfants. Jeanne Hamilton proclame : « L’idée d’un bon moment pour quelques hôtesses de showers est… une obsession incroyablement grossière pour l’attirail des rapports sexuels » (2005 : 98-99). Mais il est bien connu que les universitaires se délectent de la grossièreté ; aussi cela n’étonnera guère si les articles de ce numéro thématique, « Les noces en vrai » convergent bien plus vers le sexe et la propriété que vers l’amour et les relations.

Ce recueil d’articles interroge aussi en détail quels types de propriété et quels types de sexualité sont impliqués dans le mariage, parce que c’est dans les spécificités de la sexualité et de la propriété que l’on peut voir le plus clairement le changement dans les pratiques et dans les traditions du mariage et des rituels des noces. La sexualité se trouve souvent au premier plan des discussions au sujet des mariages entre personnes du même sexe ; cependant, la légitimation des relations d’ordre sexuel ne coule pas toujours de source, comme l’indique Judith Butler. Pour des groupes jusqu’ici exclus, comme les gais et les lesbiennes, le fait d’être inclus dans la société peut être une précieuse assurance au niveau individuel. Mais le fait d’inclure certaines personnes requiert, par nécessité, que l’on en exclue d’autres.

On peut situer le dilemme ici : d’un côté, vivre sans normes de reconnaissance résulte en souffrance et en formes d’assujettissements entremêlant des conséquences psychiques, culturelles et matérielles ; d’un autre côté, l’exigence d’être reconnu peut mener à de nouvelles formes de hiérarchies sociales enviables, à une abrupte mainmise sur le domaine de la sexualité et à de nouveaux moyens pour le pouvoir étatique d’étendre son emprise, sans parler du fait que cela pourrait porter atteinte aux normes mêmes de reconnaissance fournies et requises pour la légitimation par l’État. En fait, en faisant de la surenchère à la reconnaissance auprès de l’État, nous restreignons en réalité le domaine de ce qui deviendra reconnaissable en tant qu’arrangements sexuels légitimes, fortifiant ainsi l’État en tant que source des normes de reconnaissance et éclipsant les autres possibilités conférées par la société civile et la vie culturelle. Exiger et recevoir de la reconnaissance selon des normes qui légitiment le mariage et délégitiment les formes d’alliance sexuelle en dehors du mariage, ou de normes articulées en une relation critique au mariage, revient à déplacer le lieu de la délégitimation d’une partie de la communauté marginale à une autre ou, plutôt, à transformer une délégitimation collective en une autre, qui serait sélective. Que signifierait exclure du champ de la légitimation potentielle ceux qui vivent en dehors du mariage, ceux qui vivent de manière non monogame, ceux qui vivent seuls, ceux qui se trouvent dans quelque situation que ce soi mais qui n’est pas une forme matrimoniale (2002 : 26-27) ?

« Les noces en vrai » tient aussi compte du fait que les contextes culturel, national et politique sont des différences qui font une gigantesque différence sur ce qui peut ou ne peut pas être considéré comme acceptable dans les pratiques du mariage et des noces. Au Canada, les mesures législatives allant dans le sens d’une reconnaissance du statut de parents pour les gais et lesbiennes, y compris en ce qui concerne l’adoption, ont en réalité précédé la légalisation du mariage gai et lesbien dans plusieurs provinces, y compris le Québec (aussi tôt que 1982) et la Colombie britannique (1996). Et dans la province du Manitoba, par exemple, il existe aujourd’hui très peu de différences, sur le plan légal, entre une relation hétérosexuelle ou homosexuelle, que cette union soit légalement solennisée et enregistrée ou qu’elle soit simple union de fait, ce qui est le résultat (parmi d’autres promulgations) de la Loi sur les biens des conjoints de fait et modifications connexes (S.M. 2002, c. 48). Cependant, en d’autres endroits (comme en France et en Allemagne), les mesures visant à légaliser les unions des gais et des lesbiennes ne sont pas allées plus loin que la stricte réglementation des questions relatives au statut de parents. « En France, dans les débats sur le… pacte civil de solidarité (PACS), qui constitue une alternative au mariage pour deux individus quelconques n’ayant pas de lien deparenté… la promulgation de la loi a tenu en fin de compte à la proscription des droits des couples non hétérosexuels d’adopter des enfants et d’accéder aux technologies de reproduction » (Butler 2002 :21-22).

Et même la notion d’un soutien ou de l’absence de celui-ci aux mariages de même sexe ne peut pas se comprendre simplement en termes binaires, comme Judith Butler, toujours elle, l’expose si élégamment.

Il se peut que l’on veuille obtenir ce droit pour ceux qui veulent l’utiliser, même si ce n’est pas pour soi-même, ou il se peut que l’on veuille contrer les discours homophobes qui ont été alignés contre le mariage homosexuel, mais que l’on ne soit pas soi-même partisan de ce dernier. Ou il se peut que l’on croie fortement que le mariage est ce qu’il y a de meilleur pour les lesbiennes et les gais, et que l’on veuille en faire une nouvelle norme, une norme pour l’avenir. Ou bien il se peut que l’on ne s’y oppose pas seulement pour soi-même, mais pour tout le monde, pensant que la tâche urgente est plutôt de retravailler et de réviser l’organisation sociale de l’amitié, des contacts sexuels et de la communauté afin de produire des formes non étatiques de soutien et d’alliances puisque le mariage, étant donné son poids historique, ne devient un « choix » que parce qu’il s’est étendu jusqu’à être la norme (mettant fin ainsi aux autres choix), qui s’étend aussi aux relations de propriété et rend les autres formes sociales de la sexualité plus conservatrices (Butler 2002 : 20-21).

Le sujet de Butler est ici le mariage entre personnes du même sexe, mais ses commentaires prennent en compte le fait que la critique des structures du mariage n’est pas restreinte aux gens qui auraient été exclus historiquement du droit de se marier. La possibilité (ou l’impossibilité) des mariages entre personnes de même sexe a sans aucun doute modifié le terrain idéologique des noces. Cependant, ainsi que l’indique la tendance grandissante à faire des mariages entre gens du même sexe des spectacles commerciaux, l’existence de ces mariages ne contrecarre pas forcément l’impulsion commerciale à l’arrière-plan de l’appareil des noces. En fait, l’apparition de ce marché minoritaire constitue une occasion majeure pour l’industrie du mariage de vendre plus d’attirail, de louer plus de limousines, de livrer plus de fleurs. D’un point de vue commercial, les mariages entre personnes du même sexe sont tout à fait compatibles avec les structures existantes de productions destinées aux mariages — mais, du point de vue plus élevé de la politique, les terrains glissants des noces d’aujourd’hui menacent grandement les privilèges exclusifs des appariements hétérosexuels.

Dans ce but, Wendy Pearson détaille les exemples d’un retour de bâton homophobe au sujet des mariages entre personnes de même sexe et de la myriade d’expressions répressives et conservatrices à l’encontre de l’émission télévisée « My Fabulous Gay Wedding ». Ce retour de bâton pourrait en fin de compte s’avérer moins significatif que la représentation relativement consensuelle des mariages entre personnes du même sexe à la télévision. Et comme le font remarquer Pauline Greenhill et Angela Armstrong, les objections idéologiques aux noces ne se limitent pas seulement à celles qui font vaciller l’héréronormativité et le maintien des hégémonies. Les mariages et les noces hétérosexuels ont toujours fait l’objet de l’attention législative et populaire — et ont parfois également attiré la critique et la censure législatives et populaires.

Tant les rituels des noces que l’institution du mariage elle-même sont parfois quelque peu altérés lorsque des individus du même sexe se voient accorder le droit d’y participer, comme le suggère Shari Lash — qui, simultanément, soutient qu’il existe une forte continuité d’intentions et de fonction entre les mariages conventionnels et ceux entre personnes du même sexe dans le contexte juif libéral. Mais les changements dans les pratiques nuptiales dans les cultures euro-nord-américaines ne peuvent pas être exclusivement liées aux mariages entre personnes du même sexe. Toutes les formes de noces constituent un amas complexe de règles, d’attentes, de tendances, de moeurs et de comportements émergents, que Sidney Eve Matrix et Renee Sgroi explorent en détail.

Les noces sont aussi, inévitablement peut-être, démesurément conservatrices. Que l’on considère par exemple The Anti-Bride Etiquette Guide : The Rules — and How to Bend Them [Le guide de savoir-vivre de l’anti-mariée. Les règles, et comment les contourner] (Gerin et Hughes 2004). Il vaut la peine de noter immédiatement que selon ces auteurs, les règles sont faites pour être contournées, non pas brisées, même par une « anti-mariée ». Et le lecteur désireux de découvrir des alternatives à la complexité financière et émotionnelle des préparatifs de mariage trouvera peu de choses dans ce qui se déclare — mais n’est pas réellement — un travail de contournement des règles. La règle cardinale est « il n’est jamais correct de demander de l’argent » (140), ou, de manière plus colorée, « vous ne devriez jamais secouer vos invités pour leur faire payer la noce » (12). Au moment du shower, « ne suggérez pas pour thème « Faites passer le chapeau » ou « Approvisionnez le bar de la noce » » (12). Lors de la noce elle-même, il ne devrait pas y avoir de bar payant.

C’est une insulte que vos hôtes n’oublieront ni ne vous pardonneront. Ils ne s’attendront pas à payer pour quoi que ce soit, surtout s’ils ont dépensé des centaines de dollars en billets d’avion pour assister à l’évènement. Si vous ne pouvez pas fournir un bar complet, eh bien, proposez de la bière, du vin, un punch au champagne et peut-être un cocktail spécial. Ou invitez moins de gens, pour pouvoir préparer une soirée pour laquelle cela vaudra la peine de s’être déplacé (122).

Les valeurs monétaires — l’appât du gain — doivent être absolument absentes de tous les aspects de la noce, jusqu’au point où

sous aucun prétexte il ne doit y avoir d’assiette à pourboires dans votre réception. Le personnel d’accueil, les barmans, les valets de parking et les autres fournisseurs de services ayant un contact direct avec vos invités doivent être prévenus que les pourboires seront donnés par ceux qui reçoivent et qu’ils doivent poliment refuser les pourboires offerts par les invités (124).

L’anti-mariée doit décréter qu’il n’y aura aucune « danse du dollar ».

Dans cette coutume polonaise, chaque invité paie pour danser avec la mariée ou avec le marié. L’argent est destiné aux dépenses de la lune de miel. Ce rituel a peut-être une place en Europe de l’Est, mais à aucun des mariages auxquels nous avons assisté. À moins que vous ne soyez la fille d’un caïd de la pègre, ne vous promenez jamais avec une taie d’oreiller en soie pour recueillir les contributions (non plus que du numéraire de n’importe quelle sorte dans votre robe) (121).

Relevons ici l’assimilation culturelle apparemment inévitable entre un groupe ethnique réduit à son altérité et une pratique abhorrée. De telles pratiques ne sont en aucun cas bien sûr exclusivement « de l’Europe de l’Est » et sont bien connues dans les places-fortes anglophones, depuis le Nouveau-Brunswick jusqu’à la Colombie britannique. Par exemple, en certains lieux de l’Ontario anglophone du sud-ouest, il peut y avoir dans certaines noces un « arbre à monnaie » sur lequel on s’attend à ce que les invités épinglent des billets et des cadeaux anonymes pour le couple. Un couple de la Saskatchewan, lui aussi anglophone, en partance pour sa lune de miel, reçut une bouteille de soda que l’on avait passée à la ronde au cours de la noce et dans laquelle les invités avaient glissé des billets. On peut aussi, pendant les danses de la noce, faire circuler la chaussure de la mariée et la remplir d’argent.

La pratique bien connue à Winnipeg, Manitoba, d’écrire le mot « presentation » sur un carton d’invitation, signifiant que le couple demande que tous les cadeaux soient faits sous forme monétaire, a inspiré à « Miss Jeanne » un summum d’invectives racistes et sexistes.

La mention « presentation de préférence » sur un carton d’invitation est une abominable combine inventée par quelque grippe-sou avide et sournois qui a trouvé le moyen de faire connaître sa cupidité à ses invités tout en l’habillant du langage formel impliquant que cela se fait. Une expression si pensée donne l’impression qu’il s’agit d’une méthode plus socialement convenable de demander de l’argent que d’autres prétextes, évidents et grossiers. Dans certains exemples extrêmes de « presentation », les invités font la queue à la réception, pour présenter littéralement leurs cadeaux monétaires aux nouveaux mariés, évoquant les images mentales des tribus soumises d’Afrique remettant leurs tributs au pharaon sur son trône (Hamilton 2005 : 67).

En fait, l’anti-mariée, à l’instar de son homologue non démarquée, ne demande pas d’argent du tout, de personne, jamais.

Si vous avez besoin de quelques billets de plus pour les noces, n’allez pas pleurer misère auprès de vos amis aisés. Parlez-en à coeur ouvert avec vos parents. Et si vous découvrez que quelques-uns de ces amis aisés ont déjà spontanément proposé d’offrir quelque chose, laissez-les se charger des négociations, puis rédigez ensuite une chaleureuse lettre de remerciements (Gerin et Hughes 2004 : 16).

Cette focalisation tendancieuse sur la mise à l’écart de l’argent est particulièrement ironique si l’on considère l’utile analyse que fait Renee Sgroi d’un mariage de « télé-réalité » en tant qu’exemple des impératifs d’hyperconsumérisme liés aux noces dans la culture populaire. Elle soutient que les discours relatifs aux noces, dans la télé-réalité, ont pour finalité d’inculquer les désirs appropriés d’acquisition chez les futurs mariés. De plus, les cadeaux, ainsi que la transformation de la valeur d’échange en valeurs d’usage, sont également fermement réglementés. La liste de mariage, que critique et déconstruit Sidney Eve Matrix, est particulièrement piégée. « Même si vous n’êtes pas très chaud sur le principe d’une liste de mariage, c’est toujours une bonne idée. Vos amis et votre famille vous offriront quelque chose, alors autant que ce soit quelque chose que vous désirez ! Vous n’avez pas à vous limiter à des assiettes ; pensez à inscrire toutes sortes de choses sur la liste, depuis des outils électriques, des cours de cuisine ou une deuxième voiture » (Gerin, Hughes et Hornick 2004 : 61). Mais même l’anti-mariée ne peut pas vraiment parler à ses invités de sa liste de mariage : « C’est très bien si votre demoiselle d’honneur peut passer le mot pour vous. Mais vous ne pouvez pas envoyer une circulaire par courriel à vos invités pour imposer vos requêtes » (Gerin et Hughes 2004 : 134).

La noce elle-même, y compris pour l’anti-mariée, est un film — spectaculaire et théâtral. L‘Anti-Bride Wedding Planner renchérit : « Le film de vos noces défile probablement dans votre tête depuis que vous vous êtes déguisés en Barbie et Ken pour marcher vers l’autel. À présent vous avez la chance d’être la vedette de votre propre production » (Gerin, Hughes et Hornick 2004 : 5). Le marié ou la mariée n’est donc plus seulement le producteur — en charge de l’argent et de la logistique —, il ou elle est aussi la vedette — le centre de l’attention. Et il ou elle est aussi le réalisateur, rejoignant d’autres figures hollywoodiennes à triple casquette comme Kevin Costner et Clint Eastwood. Mais les invités ne doivent pas avoir l’impression que l’événement est un film. « Faites les choses dans le désordre. Servez d’abord les cocktails et les amuse-gueules, ensuite la cérémonie, et enfin le reste de la réception. Vous serez capables de vous détendre et de vous mêler à vos amis. Vos invités auront davantage l’impression d’être inclus dans la noce, plutôt que de simplement regarder un spectacle mis en scène » (71).

Quelques-uns des affublements symboliques du mariage ont changé : la robe de mariée peut être rouge (Gerin et Hughes 2004 : 79) et les demoiselles d’honneur peuvent porter du noir (81). Le jour et le lieu n’ont plus à être conventionnels : « Les mariés préfèrent le plus souvent un samedi soir au printemps ou en été. Pensez plutôt à un vendredi soir ou à un dimanche après-midi » (Gerin, Hughes et Hornick 2004 : 6), bien que cela risque de susciter le même type de surprise outrée que dans la famille du partenaire de Pauline au sujet d’un mariage auquel nous assistions : « Un dimanche ? Au musée ? » Si de simples invités au mariage peuvent faire l’objet d’une telle observation, on se demande quelles proportions peuvent atteindre les sarcasmes à l’encontre des mariés.

Rappelons-nous que ces règlements sont rigides pour l’anti-mariée — celui ou celle qui veut « danser au rythme de son propre tambour » (Gerin, Hughes et Hornick 2004 : quatrième de couverture) et pas sur « les polkas de l’oncle Bob » (7). Même ceux qui se considèrent affranchis des règles conventionnelles des noces sont assujettis aux plus strictes des conventions lorsque l’on en vient à l’une des deux finalités centrales du mariage, comme nous les avons déjà identifiées : l’accumulation de propriété. Il y a des règles sévères auxquelles il faut se conformer et d’autres, peut-être encore plus rigides, servant au couple moderne, de la « contre-culture », à démontrer comment il résiste aux impératifs des noces — mais l’un ou l’autre choix implique des dépenses considérables, puisque le consumérisme pointu de l’anti-mariée exige qu’il ou elle recherche un ensemble différent de biens et services coûteux.

Et les guides sont muets en ce qui concerne les règlements relatifs à la sexualité de l’anti-mariée. À l’exception de ce problème de grossièreté mentionné plus haut, de telles questions vont bien au-delà de l’étiquette. En fait, certains ne veulent pas voir leur sexualité exposée pendant toute la période allant jusqu’au jour de leur mariage, ce jour-là y compris, et choisissent de ne pas se marier du tout. Leurs raisons peuvent varier — crainte de réactions violemment négatives en ce qui concerne leur choix de partenaire (voire même leur choix de boutiques, comme le travail de Wendy Pearson le souligne ironiquement), sentiment que la relation du couple est au-delà du regard des autres, ou volonté de ne pas s’encombrer de tout ce raffut et de toutes ces dépenses. Cependant, la contribution de Catherine Arsenault et Martine Roberge, étudiant les fiançailles de trois jeunes Québécoises, montre que même le fait de ne pas se marier peut être intensément ritualisé — avec des voeux, des cadeaux et une participation communautaire.

Mais les éléments des règles, comme le montrent en particulier Renee Sgroi et Sidney Eve Matrix, ne sont en aucun cas faciles à appréhender. Les formes de la culture populaire comme les magazines spécialisés, les listes de mariage et les spectacles de télé-réalité enseignent explicitement aux aspirants au mariage quels biens ils devraient désirer acquérir lors du déroulement du « film de leurs noces » — en d’autres termes, ils encouragent les dépenses compulsives et les débauches d’achats nuptiaux. Aussi la critique culturelle (Matrix, Pearson, Sgroi) est-elle utile pour déballer les discours de la mise en marché médiatique des noces et pour déconstruire leurs séduisantes idéologies consuméristes, tandis que le travail ethnographique (Arsenault et Roberge, Greenhill et Armstrong, Huang, Lash, Roberge) montre quelques-unes des différentes manières par lesquelles les acteurs sociaux jouent leurs propres dramatiques sociales en conjonction avec ces discours dominants.

La lecture attentive de textes de culture populaire que font Matrix, Sgroi et Pearson éclaire quelques-unes des nombreuses complexités de ces « structures structurées structurant les structures » — pour emprunter l’expression (mal)heureuse de Bourdieu (1977) — auxquelles les acteurs culturels ont affaire et qu’ils doivent souvent contester ou personnaliser. Les travaux plus proprement ethnographiques de Greenhill et Armstrong et Lash, et en particulier d’Arsenault et Roberge et Xin Huang, montrent comment les individus exercent un certain agir créatif devant les scénarios culturels préexistants des noces et du mariage sur lesquels ils semblent n’avoir que peu de contrôle. Dans son étude des manipulations et des choix faits par une Chinoise lors de sa séance de photographies de mariage, Huang démontre les négociations complexes que plus d’une mariée devra mettre en oeuvre pour se placer simultanément à l’intérieur et à l’extérieur du cadre des impératifs culturels encadrant les réalités des noces contemporaines.

Martine Roberge conclut ce volume en dirigeant notre regard jusqu’ici très spécifique vers d’autres formes de rituels, en particulier ceux qui, comme les noces qu’évoquaient les autres articles, marquent des passages. Son projet de recherche attire l’attention sur les changements qui interviennent dans pratiquement toutes les formes rituelles autrefois caractérisées comme collectives, obligatoires, structurées, fixes et uniques, et aboutissant à un changement de statut intégral, définitif, irréversible et formel. De tels rituels sont remplacés par d’autres, polymorphes, réversibles, flexibles, volontaires et personnalisés, aboutissant à un état social individualisé et désinstitutionnalisé. Et cependant, comme le soulignent tous les articles de ce volume, ces évènements n’en sont pas moins porteurs de sens et symboliques pour les participants.

 

Notes

1. Nous exprimons notre gratitude à Roewan Crowe, Elizabeth DeWolfe, Holly Everett, Angela Failler, Fiona Green, Kristin Harris-Walsh, Ellen Lewin, Alison Marshall, Michelle Owen, Patricia Sawin, Moshe Shokeid, Michael Taft, Diane Tye et Linda Watts.

2. D’où l’effet que produit le Québec, où depuis les années 1980 les femmes, comme les hommes, conservent leur nom de naissance après leur mariage.

3. La norme veut que les mariées soient des femmes. Cependant, dans un monde où des individus « transgenres » ou transsexuels recherchent leur juste place, on ne peut pas présumer de la norme. Au cours de l’été 2006, Pauline a assisté à un mariage avec deux mariées (toutes deux femmes nées femmes portant tiares et robes blanches) et un autre avec un marié-femme et un marié-homme (une femme née femme portant un tuxedo et un transsexuel homme né femme portant un tuxedo).

4. Toutes les traductions de citations sont de la rédaction.

Références

Bourdieu, Pierre, 1977, Outline of a Theory of Practice. Cambridge, Cambridge University Press.

Butler, Judith, 2002, « Is Kinship Always Already Heterosexual ? » Differences. A Journal of Feminist Cultural Studies 13 (1): 14-44.

Cooper, Jennifer, 2001. « Opinion on Common-Law Relationships of Jennifer A. Cooper, Q.C. Volume 1, Final Report of the Review Panel on Common-Law Relationships, December 31 ». http://www.gov.mb.ca/justice/publications/commonlawreviewpanel/vol1/3d.html, site consulté le 20 juillet 2006.

Gerin, Carolyn et Kathleen Hughes, 2004, Anti-Bride Etiquette Guide. The Rules — and How to Bend Them. San Francisco, Chronicle Books.

Gerin, Carolyn, Kathleen Hughes et Amy Glynn, 2004, Anti-Bride Wedding Planner. Hip Tools and Tips for Getting Hitched. San Francisco, Chronicle Books.

Hamilton, Jeanne, 2005, Wedding Etiquette Hell. The Bride’s Bible to Avoiding Everlasting Damnation. New York, St. Martin’s Press.

Lévi-Strauss, Claude, 1969, The Elementary Structures of Kinship. Boston, Beacon Press.

Matrix, Sidney, forthcoming, « Media(ted) Citizenship and Contested Belongings. « Canadian » War Brides and Fictions of Naturalization ». Topia. Canadian Journal of Cultural Studies.

Rubin, Gayle, 1975, « The Traffic of Women. Notes on the Political Economy of Sex ». Dans Rayna R. Reiter, (dir.), Toward an Anthropology of Women. New York, Monthly Review : 157-210.

Catherine ARSENEAULT, Martine ROBERGE

Réflexion sur le rite contemporain des fiançailles. Vers une hybridation des rites matrimoniaux ?

Le rite des fiançailles est généralement considéré comme un prélude au mariage. Pourtant, l’examen de fiançailles contemporaines tend à montrer que le rite se détache du rituel de passage classique. Les fiançailles actuelles peuvent se présenter comme des rituels plus souples, volontaires, intimes et privés, où le sens de la fête est au rendez-vous. Les différentes formes que nous observons laissent entrevoir un rituel en redéfinition et supposent une relecture du rite en regard de la notion de passage, comme une étape en soi de la vie conjugale. Cet article propose donc une réflexion sur les fiançailles comme ritualité contemporaine. En s’appuyant sur trois témoignages, les auteures se questionnent principalement sur la singularité actuelle des fiançailles en tant que rite autonome par rapport au mariage. Quel est le sens de ces nouvelles fiançailles ? Quels sont leurs points de référence ? Quelle est l’importance accordée aux différents symboles matrimoniaux ? Assistons-nous à une certaine actualisation du mariage ? L’article examine les fiançailles dans leur morphologie, leur structure, les symboles qu’elles mettent en place, leurs fins et leurs valeurs pour tenter d’esquisser le rôle que prend l’acte rituel dans notre société d’aujourd’hui.

Sidney Eve MATRIX

« I-Do » Feminism Courtesy of Martha Stewart Weddings and HBC's Vow To Wow Club. Inventing Modern Matrimonial Tradition with Glue Sticks and Cuisinart

Cet article examine la liste de mariage en tant que tradition nouvellement inventée et comme faisant partie de la mercantilisation croissante de la vie quotidienne et de ses rites de passage. La recherche implique à la fois une analyse déconstructiviste du discours et une critique de la rhétorique visuelle des publicités faisant la promotion des listes de mariage pour les nouveaux fiancés. Afin de considérer le contexte à l’intérieur duquel prolifèrent ces mises en marché des listes de mariage, l’auteure commence par les histoires de deux représentations connectées, tirées toutes deux d’émissions nationales. Elle soutient ensuite que la tendance à l’escalade que l’on constate dans les listes de mariage gagne en vigueur parce qu’elles se situent entre ces deux images conjointes que sont : le spectre de la scandaleuse et hystérique « mariée en fuite » et sa soeur branchée et paradoxale, la féministe « Oui, je le veux ».

Xin HUANG

Performing Gender. Nostalgic Wedding Photography in Contemporary China

En examinant des scénarios sexués et des performances dans le cadre des studios de photographie nostalgique en Chine, cet article explore les ressources historiques et culturelles disponibles pour un projet particulier de rapport entre les sexes dans la Chine contemporaine. Il suggère une résonance entre le projet post-maoïste portant sur le genre, le projet moderniste de la Chine et la construction de l’identité culturelle chinoise, en soutenant que le projet post-maoïste contemporain de rapport entre les sexes reste hanté par l’idéologie maoïste des rapports de genre et qu’il s’exerce à travers des négociations interculturelles avec le regard occidental.

Renee SGROI

Consuming the Reality TV Wedding

Cet article enquête au carrefour des noces, de l’industrie du mariage, de la consommation et de la télé-réalité en considérant l’émission de télé-réalité Trista and Ryan’s Wedding. Cette émission montrait le mariage réel de Trista Rehn et Ryan Sutter, qui s’étaient rencontrés lors du tournage de The Bachelorette. L’auteure soutient que l’emphase mise par la télé-réalité sur le « réel », ses techniques narratives (y compris l’association à des biens de consommation) et le fait que l’industrie du mariage pousse à ce que l’on ait des noces « uniques » convergent dans cette émission pour mobiliser les visions et les rêves que suscite le mariage en blanc traditionnel afin d’attirer les consommateurs vers des biens de consommation spécifiques. Elle en conclut que l’étude des noces dans la culture nord-américaine doit prendre en compte non seulement les pratiques et les rituels mis en oeuvre dans ces évènements sociaux et culturels, mais aussi considérer les manières par lesquelles des formes culturelles populaires comme la télé-réalité travaillent à produire des types particuliers d’images.

Shari LASH

Struggling with Tradition. Making Room for Same-Sex Weddings in a Liberal Jewish Context

Malgré une acceptation croissante de l’homosexualité dans la culture populaire dominante, les débats concernant la légalisation des unions entre gens du même sexe se poursuivent, essentiellement parce qu’elles entrent en conflit avec les notions religieuses du mariage hétérosexuel et de la famille. Le mariage est devenu un symbole statutaire qui fait des noces publiques un but auquel aspirent des groupes marginalisés afin d’acquérir une plus grande acceptation sociale. Le judaïsme libéral, en particulier, a répondu à cette évolution des circonstances culturelles et a adapté sa tradition afin de répondre aux besoins de divers fidèles dans le cadre d’un marché spirituel en expansion. Ces branches de la tradition se confrontent à des éléments textuels et rituels problématiques qui ont empêché l’acceptation dans la communauté des Juifs gais, lesbiennes, bisexuels ou marginaux. Des lectures alternatives du Lévitique (18 : 22) et du concept talmudique du kiddushin ont permis de faire une place aux mariages entre gens du même sexe à la synagogue. Puisque les mariages entre gens du même sexe mettent au défi les positions dominantes au sujet de ce qui constitue une famille conventionnelle, les cérémonies de mariage célébrées dans un cadre religieux sont susceptibles de transformer les communautés qui en sont les témoins, en particulier au Canada où ce type de mariage est légal.

Pauline GREENHILL, Angela ARMSTRONG

Traditional Ambivalence and Heterosexual Marriage in Canada. Transgressing Ritual or Ritualising Transgression

Les épisodes louches abondent dans les rituels traditionnels associés aux mariages et aux noces, pas seulement dans quelques régions du Canada anglais, mais dans la plupart des lieux européens ou de colonisation européenne. Dans les provinces des Prairies et en Ontario, des parodies de mariages (travestissements spectaculaires de la cérémonie de mariage de la majorité chrétienne, où l’on intervertit généralement les costumes) peuvent interrompre les showers ou les anniversaires de mariage. Et, de l’Île du Prince Édouard à la Colombie britannique, des charivaris (visites nocturnes à des couples de nouveaux mariés, où l’on fait le plus de bruit possible accompagné ou non de méchancetés traditionnelles) peuvent se dérouler à la suite des noces. Les auteures se demandent si ces pratiques transgressent le mariage hétérosexuel conventionnel ou si elles ne font que ritualiser et donc restreindre la résistance potentielle au strict encadrement qu’il implique, pour découvrir qu’elles font les deux.

Wendy Gay PEARSON

Not in the Hardware Aisle, Please. Same-Sex Marriage, Anti-Gay Activism and My Fabulous Gay Wedding

My Fabulous Gay Wedding [Mon merveilleux mariage gai] était conçu dès le départ pour être « un sujet chaud, un sujet de controverse, un sujet rempli de possibilités d’instants d’émotion ». Cet article esquisse un certain nombre de discours contemporains portant sur les mariages entre gens du même sexe qui se trouvent illuminés, quoique pas totalement clarifiés, par les réactions à cette émission, incluant un boycott de Canadian Tire, commanditaire présumé, par un certain nombre de groupes conservateurs anti-gais. Cependant, les questions que soulève cette émission dépassent la scission binaire simpliste des médias entre les « droits des gais et des lesbiennes » versus les « droits religieux » et implique que l’on s’interroge sur ce qui est représenté à l’écran exactement et si, oui ou non, les mariages entre gens du même sexe interpellent les couples de gais et de lesbiennes pour qu’ils entrent dans une forme d’hétéronormativité.

Martine ROBERGE

En guise de conclusion. Pour une relecture des pratiques rituelles à partir de la notion de passage

Ce texte présente les travaux de recherche en cours de Martine Roberge sur la ritualité contemporaine. Dans le contexte actuel d’une ritualité polymorphe et « à la carte », où le besoin rituel des acteurs contemporains occasionne des modifications dans les formes rituelles classiques et traditionnelles, qu’est-ce qui distingue et caractérise les nouvelles pratiques rituelles ? La notion de passage semble la plus féconde pour étudier cette ritualité en redéfinition. Ce projet de recherche vise à étudier, dans une perspective comparative, autant les métamorphoses des rites de passage classiques que les nouveaux rites qui s’instituent comme marqueurs de passages individuels, afin d’appréhender les pratiques rituelles contemporaines à partir d’une réflexion théorique sur la notion de passage.