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Vol. 33-1 – 2011
Regular Issue
Tendances actuelles des rituels, pratiques et discours de guérison au sein des groupes religieux contemporains
Quelques réflexions
Deirdre Meintel
Géraldine Mossière
Université de Montréal
Ce numéro spécial de la revue Ethnologies présente des articles qui illustrent comment les thématiques liées à la guérison se manifestent à l’heure actuelle, dans une variété de contextes religieux et culturels. Dans notre recherche en cours sur le pluralisme religieux dans le Québec contemporain[1], nous avons trouvé que la guérison, ou du moins une certaine conception de la guérison, est présente dans la plupart des rituels et discours religieux actuels. Ceci est encore plus évident dans les religions ou pratiques dites « spirituelles » qui ont émergé au cours des dernières années parmi les Québécois non immigrants, soient le spiritualisme, le néo-chamanisme, incluant le druidisme, la wicca, le yoga et diverses formes de « spiritualités autochtones » (Corneiller 2010 ; Normandin 2010). Ces dernières attirent bon nombre de non Autochtones, en particulier des jeunes (à cet égard, voir la contribution de Rosemary Roberts dans ce numéro). On observe la même tendance au sein des courants religieux établis depuis plus longtemps tels que le catholicisme et divers mouvements issus du protestantisme (baptisme, pentecôtisme, etc.), ainsi que dans les discours de certains pratiquants musulmans (Mossière infra). Parallèlement aux rituels de guérison des charismatiques catholiques que nous avons identifiés dans notre étude (par exemple Bouchard 2009 ; Ruiz Henao à paraître) ou dans des recherches antérieures (Côté et Zylberberg 1990), un volet de notre projet a également mis en évidence l’existence de cérémonies visant à offrir soutien et soulagement aux victimes du sida dans une paroisse du « village gai » de Montréal. La pastorale de cette église catholique est effectivement reconnue pour son effet thérapeutique sur les paroissiens (Koussens 2007, 2009 et à paraître). Ainsi, bien que les pratiques religieuses de guérison traitent souvent de maladies et de douleurs physiques, elles constituent également une source de soutien psychologique et de soulagement émotionnel.
Dans son étude de quatre religions relativement récentes (l’antoinisme, la science chrétienne, la scientologie et IVI [Invitation à la Vie]), Dericquebourg (1988) introduit la notion de « religions de guérison » ; plus généralement, notre recherche montre que la guérison constitue une caractéristique essentielle d’un grand nombre de courants religieux actuels. La quasi-omniprésence de la thématique de la guérison dans les spiritualités contemporaines n’est d’ailleurs pas limitée au contexte québécois, comme le suggèrent les travaux de McGuire (1996, 2008), Csordas (1994, 2001, 2002), Aubrée (2003), Corten (1995) et d’autres auteurs de ce numéro comme Cristina Rocha, Cristophe Monnot et Philippe Gonzalez, et Laurent Denizeau.
En ce sens, plusieurs contributions de ce numéro suggèrent que les rituels de guérison et leurs adeptes jouissent d’un potentiel particulier pour attirer de nouvelles recrues par-delà les frontières nationales et religieuses, créant ainsi des réseaux transnationaux composés de praticiens de la guérison et de leurs clients. Par exemple, des prêtres et prêtresses vaudou circulent régulièrement entre Montréal, Miami et Haïti, tout comme ceux qui requièrent leurs services (Drotbohm 2009). L’article de Cristina Rocha publié dans ce numéro illustre comment une certaine clientèle australienne en quête de guérison se tourne vers un guérisseur brésilien, João de Deus (Jean de Dieu), lequel est pourtant lié à une tradition spirituelle que peu d’entre eux connaissent (spiritisme), dans un pays que peu ont déjà visité, et qui parle une langue différente de la leur.
Comme les exemples précédents le suggèrent, la guérison religieuse peut prendre différentes formes : des rituels de catharsis qui défoulent et offrent un espace social pour libérer les charges émotionnelles (par exemple dans les groupes charismatiques, catholiques et protestants), aux activités axées sur la guérison des individus ou de la terre, en passant par les pèlerinages que certains considèrent comme un mode de guérison (Boutin 2008) ou par les méditations de yoga en groupe (McGuire 2008 : 139)[2]. Dans certains cas, comme lors des soirées de miracles décrites par Denizeau dans ce numéro, la prière formulée par le demandeur et par d’autres participants constitue une technique de guérison à part entière. Plus généralement, les pratiques corporelles de type ascétique prescrites par les traditions religieuses peuvent être interprétées comme un mode de guérison pour soi et pour les autres. Ainsi, des femmes hindoues jeûnent pour le bien de leur époux et de leur famille (Betbeder 2009) ; comme l’illustre l’article de Géraldine Mossière, les femmes converties à l’islam considèrent que les règles prescrites par l’Islam (pudeur, code alimentaire) pour discipliner le corps entraînent également des effets psychiques et physiques bénéfiques sur l’individu.
Ceci nous amène au défi de définir la guérison en tant que telle. La sociologue Meredith McGuire (1996 : 101) souligne le fait que la thématique de la guérison dépasse de loin la simple régulation du corps ; elle touche en fait surtout la transformation du soi. En effet, comme le suggère Csordas : « The object of healing is not elimination of a thing (an illness, a problem, a symptom, a disorder) but transformation of a person, a self that is a bodily being » (2002 : 3). En somme, la guérison constitue surtout un mode holistique de restauration de l’unité corps/esprit rompue par les processus de sécularisation (McGuire 2008). Pour les praticiens que McGuire a rencontrés, recouvrer cette unité constituait l’objectif de leur séance de guérison. Dans l’étude de Meintel (2005), les guérisseurs spiritualistes disent vivre souvent ce sentiment d’union – avec soi, avec les guides spirituels, avec Dieu – quand ils transmettent la guérison, tandis que ceux qui reçoivent leurs soins versent quelquefois des larmes de libération ; ils confient alors leur soulagement quant aux sentiments de stress, d’anxiété et de tristesse[3].
Paradoxalement, pour les vétérans du système de soin biomédical, la guérison spirituelle peut représenter une source d’autonomisation : en choisissant de se « soumettre » à une source de pouvoir alternative – comme pour ceux qui reçoivent la guérison des entités canalisées par João de Deus, ou simplement en faisant l’acte de foi requis pour accepter la guérison d’un praticien spiritualiste (Meintel 2005). Les patients peuvent ainsi ressentir une forme de capacité d’agir [agency] qui manque souvent dans leurs interactions avec le milieu biomédical. Ainsi, Dubisch (2005 : 222) présente le corps (des patients) comme un « espace de résistance » aux régimes biomédicaux. En outre, la majorité de ceux qui se rendent dans la congrégation spiritualiste étudiée par Meintel pour bénéficier de services de guérison espère ainsi trouver réconfort face au désarroi que l’expérience dans les milieux biomédicaux peut susciter (anxiété, tristesse, dépression, etc.). Implicitement, les espaces religieux valident ces besoins et leur donnent un moyen d’expression. Dans la même perspective, l’article de Béguet montre comment la possibilité de reformuler des expériences de maladie mentale habituellement stigmatisantes ou marginales dans un langage de guérison et de spiritualité permet de les revaloriser de façon positive. Nous ne souhaitons cependant pas exagérer ici le décalage existant entre la guérison telle que pratiquée et vécue en contexte religieux et les soins reçus en milieu biomédical. À cet égard, il existe une littérature critique croissante dans et à propos du milieu médical dont une grande part traite du rôle de la guérison dans la médecine[4]. De plus, lors de notre terrain réalisé auprès de groupes et de congrégations offrant des formes de guérison spirituelle, nous avons trouvé un grand nombre de travailleurs et de praticiens de la santé provenant d’une variété d’échelons du système de santé, allant des médecins aux auxiliaires familiaux. Ces derniers rapportent que leurs approches thérapeutiques s’entremêlent souvent avec des techniques inspirées de leur spiritualité. Ainsi, le groupe d’Umbanda étudié par Hernandez (2010) dans notre projet a été fondé par des thérapeutes cherchant à renouveler leur pratique clinique. Comme le suggère l’article de Le Gall et Xenocostas, il est probable que la religiosité des immigrants influence le système de santé des sociétés sécularisées où ils s’installent, contribuant ainsi aux débats en cours sur la place du religieux, de la spiritualité et de la santé dans le secteur médical[5].
Dans un travail antérieur réalisé sur la figure de João de Deus, Rocha (2009) proposait que la guérison produise un sentiment d’émotion et d’intégration spirituelle et physique parmi ceux qui la reçoivent. Dans sa contribution à ce numéro, elle montre comment la guérison produit un sentiment quasi extatique d’union avec la terre et avec l’esprit. Ceci semble contredire la perspective de Brown (1999) et d’autres auteurs cités par Dubisch (2005 : 225) qui formulent des critiques à l’encontre des spiritualités et pratiques de guérison « Nouvel Âge » qui leur paraissent démesurément axées sur l’individu. En fait, comme le suggère Dubisch, ces spiritualités reposent sur une conception de l’individu qui se pose en alternative aux définitions habituelles qui sont véhiculées dans les discours occidentaux et qui situent la personne comme une unité autonome, aux contours limités ; en ce sens, l’auteur explique que les guérisseurs de son étude considèrent le corps individuel comme un « champ énergétique ». De façon similaire, dans notre recherche, nous avons trouvé des formes de spiritualités qui conçoivent l’individu comme une entité vibratoire, soit comme un être à multiples dimensions, connecté par d’invisibles liens à toute la création, plutôt que comme une masse solide et unitaire. Pour les Wiccans que Roberts décrit dans ce numéro, les rituels visent à créer non seulement un sentiment d’union et de réalisation, mais aussi un sentiment d’union avec la terre et avec les autres, si bien que la guérison du soi devient intimement liée à la guérison de la terre.
Le processus de guérison induit des modes d’apprentissage et d’expérience du monde et des autres spécifiques et, à cet égard, le concept de « somatic mode of attention » introduit par Csordas (1993) se révèle particulièrement approprié. Csordas, comme McGuire, fait référence à la notion d’habitus de Bourdieu pour traduire la dimension incorporée de la connaissance sociale (Csordas 2002 ; McGuire 2008). D’une certaine façon, transmettre[6] et recevoir la guérison signifie incorporer un nouvel habitus, un habitus qui est acquis par l’intermédiaire du corps[7], à l’instar des médiums spiritualistes qui apprennent et expérimentent la clairvoyance en partie en développant leur capacité d’attention aux sensations corporelles acquises (Meintel à paraître). Éminemment sociale et culturelle (Spickard 1995), la guérison est donc centrée sur l’unité corps/esprit, elle-même inséparable du contexte social et politique dont proviennent la souffrance ou la maladie. À l’heure de la globalisation et de l’accélération de la circulation des ressources symboliques, les approches scientifiques axées sur la guérison font généralement état d’une « nouvelle culture » (Dubisch 2008 : 331), laquelle se caractérise par de nouvelles conceptions du corps, combinée, entre autres, à des notions d’esprits et à diverses dimensions de la réalité. Les rituels de guérison font également référence à des connexions avec d’autres corps à travers celui du sujet. McGuire (2008 : 112-113) mentionne l’essai de Schutz, « Making music together » (1964) pour illustrer la mise en relation des corps nécessaire pour produire une harmonie, par exemple dans le cadre d’une chorale. Danser une valse ou un tango, ramer dans une équipe, même marcher main dans la main, sont des comportements qui nécessitent effectivement une sensibilité corporelle et une certaine capacité de réaction à l’autre.
La relation entre l’expérience de guérison et la foi religieuse semble relativement variable. Dans son étude sur la guérison réalisée auprès d’évangéliques lyonnais (France), Denizeau trouve que la foi constitue la « seule condition » pour la guérison, tandis que l’article de Monnot et Gonzalez souligne l’importance des témoignages de guérison pour renforcer la foi. Dans sa recherche, McGuire (2008 : 144) évoque une guérisseuse américaine pour qui il n’était pas nécessaire « que la personne cherchant de l’aide croie au pouvoir de guérison pour en expérimenter les bienfaits [that the person seeking help believe in the power of healing to experience its benefits] ». Au sein de la congrégation spiritualiste qu’elle étudie à Montréal, Meintel observe également que ceux qui recherchent la guérison ne sont souvent pas membres de cette église et qu’ils ne sont même pas convaincus par la possibilité de guérison spirituelle. En revanche, certains fréquentent l’église suite à une expérience antérieure de guérison tandis que pour les guérisseurs eux-mêmes, le fait de transmettre la guérison renforce et accroît leur foi en la source divine d’où provient ce don. Dans ce groupe, les personnes qui demandent de la guérison recherchent plus un soulagement de leur détresse émotionnelle (chagrin, anxiété, stress, tristesse, dépression, problème relationnel) que de leurs maux physiques. Par ailleurs, le discours des médiums, ministres et membres de la congrégation lie souvent les notions de guérison et de pardon. Le pardon (accordé à soi et aux autres) – thème sur lequel nous reviendrons plus loin – apparaît donc comme une condition nécessaire pour la guérison personnelle ; la capacité de pardonner est d’ailleurs souvent vue comme un indicateur d’un plus grand bien-être. En général, notre recherche montre que l’expérience de recevoir la guérison constitue un point d’entrée pour l’intégration de nouveaux membres dans les groupes religieux.
Avant de traiter la question de la guérison en dehors des limites conventionnelles de la définition du religieux, il convient de considérer la raison pour laquelle la thématique est si présente dans les rituels, pratiques et discours religieux actuels. Outre les éléments dont nous avons discuté jusqu’ici, soient l’intégration, la connexion, l’autonomisation [empowerment] que la guérison spirituelle peut offrir, nous proposons qu’elle intègre certaines dimensions centrales au problème de la religiosité actuelle, entre autres la notion d’émotion, celle d’embodiment [incorporation] (Riis et Woodhead 2010 ; Mossière 2007) et celle de l’agir individuel [agency]. Cette dernière notion englobe l’intention, la capacité d’attention ainsi qu’un considérable potentiel d’inventivité. En effet, beaucoup de guérisseurs font preuve d’une grande créativité pour s’inspirer de traditions différentes des leurs (McGuire 2008 ; Meintel à paraître ; Roberts 2009, 2010). Quant aux clients, leurs « itinéraires thérapeutiques » les amènent souvent en marge du système de soin médical conventionnel comme de leur première religion de socialisation. De telles initiatives mettent en exergue une autre facette de la « subjectivation » de la vie religieuse (Hervieu-Léger 1999), soit l’envers de l’individualisation de la vie spirituelle qui, tel que décrit par McGuire (2008) conduit au choix et à l’adoption personnalisés de codes de conduite normatifs et de pratiques spirituelles ritualisées (Oestergaard 2009). Ainsi, comme l’explique l’un des informateurs de Meintel, les guérisseurs se sentent responsables de constituer « un canal aussi pur que possible ». Pour les guérisseurs spiritualistes qu’elle a rencontrés, ceci signifie non seulement éviter les influences négatives comme la drogue ou l’excès de boisson, mais aussi maintenir un certain niveau de conscience à travers une pratique spirituelle personnelle incluant prière et méditation. De leur côté, ceux qui reçoivent la guérison doivent l’accepter de plein gré et respecter les règles et convenances édictées (silence, yeux fermés, mains reposant les paumes vers le bas). Certains d’entre eux ont auparavant déjà entamé des pérégrinations diverses auprès de guérisseurs issus de diverses approches thérapeutiques et beaucoup fréquentent simultanément des guérisseurs issus de diverses traditions, qu’ils soient d’approche biomédicale, alternative/holistique, ou spirituelle.
Pour ceux qui étudient les questions d’émotion, d’embodiment et d’expérience dans les religiosités contemporaines (Mossière 2007, pour les rituels pentecôtistes), la situation du chercheur sur le terrain peut devenir problématique, en particulier lorsqu’on l’invite à participer aux pratiques de guérison, comme l’a vécu Meintel (à paraître) auprès des spiritualistes. Le chercheur peut-il partager l’expérience subjective et incorporée de ceux qu’il étudie ? Ces conditions de recherche peuvent-elles faire avancer notre compréhension de la guérison et d’autres phénomènes de religiosité contemporains ? Goulet traite de cette problématique dans le premier article de ce numéro, tout comme Meintel dans plusieurs de ses travaux sur la guérison et la médiumnité (Meintel, sous presse). Au cours des dernières années, bon nombre de chercheurs ont souligné la valeur positive de la participation réflexive du chercheur dans les pratiques de guérison (Dubisch 2008) et autres activités qui requièrent un apprentissage faisant intervenir le corps, comme les sports (Turner 2000) et les arts martiaux (Samudra 2008).
Un autre thème qui émerge de l’étude des groupes religieux contemporains est la notion de don, en particulier dans les églises évangéliques, les congrégations catholiques charismatiques et les groupes spiritualistes où la prophétie, la clairvoyance et la guérison sont toutes considérées comme des dons provenant d’une source divine, et dont l’usage est voué au bénéfice des autres. D’après les résultats de notre recherche au Québec, des croyances similaires entourent également la guérison chamanique (Normandin 2010 ; Corneiller 2010). Expliquer pourquoi la notion de don est si centrale dans la plupart des courants spirituels actuels dépasse notre objectif ; mentionnons simplement que ce thème apparaît de façon récurrente dans les rapports humains des sociétés contemporaines, comme beaucoup d’analyses récentes en témoignent (Godelier 1996 ; Caillé 2000 ; Godbout 2000). La description du festival de « Burning Man » proposée par Gauthier dans ce numéro suggère que la notion de guérison – et l’échange de don qu’elle implique – recouvre des domaines qui s’étendent au-delà des frontières habituelles de la religion et de la spiritualité. Ainsi, la guérison semble trouver des champs d’application au sein de la sphère politique ; pensons par exemple à la commission « Vérité et Réconciliation » en Afrique du Sud (Wilson 2001), aux efforts de réconciliation et de guérison au Rwanda (Staub et al. 2005), ainsi qu’aux divers projets de rapprochement des pays d’Amérique du Nord avec les peuples autochtones. Certains pasteurs de congrégations ethniques de notre étude ont d’ailleurs prêché sur l’importance de la paix et de la bonne entente entre les fidèles provenant de pays en guerre, par exemple dans l’église pentecôtiste examinée par Mossière (2008), dont de nombreux membres sont originaires du Rwanda et de République démocratique du Congo. De tels efforts visant à apporter la guérison aux traumatismes de sociétés entières mettent en lumière l’idée de reconnaissance – autre type d’échange de don (Meintel 2008).
À un certain niveau et de façon quelque peu paradoxale, bon nombre des formes actuelles de guérison rendent compte de l’économie de marché dont elles proviennent. D’un côté, la guérison en contexte religieux induit un échange social qui contraste avec les échanges de marché, pas seulement parce qu’il implique Dieu ou des entités spirituelles comme agents, mais plutôt parce que la notion de guérison comprend un élément (plus ou moins prononcé) de gratuité et de don de soi. D’un autre côté, les pratiques de guérison permettent à l’individu d’exprimer son agir et sa possibilité de choix. Qui plus est, ces deux caractéristiques essentielles de l’économie de marché qui sont rendues accessibles par les mass media se manifestent souvent à l’échelle transnationale, où l’adaptation à (et l’emprunt de) ressources symboliques d’origines très disparates constitue le plus souvent la norme (voire Gauthier et al, à paraître).
Ceci nous amène à une autre question, soit celle des limites de la définition de la guérison spirituelle. Spiritual but not religious, l’ouvrage de Fuller (2001), décrit de nombreux guérisseurs[8] à l’œuvre aujourd’hui, en particulier les « guérisseurs énergétiques » que Dubisch (2005) a étudiés, notamment les praticiens de Reiki et de Shin Jin Jyutsu, ainsi que certains guérisseurs « holistiques » examinés par Meredith McGuire (2008). Dans notre recherche réalisée auprès de groupes religieux contemporains au Québec, nous observons qu’un accent similaire est mis sur l’entièreté, l’unité corps/esprit et les émotions, ainsi que sur un certain degré de ritualisation des pratiques de guérison. Ces dernières ne sont généralement pas considérées comme religieuses par ceux qui les réalisent, quoique certains praticiens pourraient les présenter comme « spirituelles ». Par exemple, de nombreuses classes de yoga commencent et finissent par des prières, des méditations ou des chants. Les diverses variétés de yoga pratiquées en Occident sont d’ailleurs habituellement considérées et présentées comme des pratiques corporelles holistiques, entraînant des effets bénéfiques sur la santé. Nous trouvons également de nombreux « groupes de développement personnel[9] » qui se situent à la limite du religieux et visent à améliorer le bien-être et les relations interpersonnelles de l’individu. Souvent, ces groupes comportent une part importante de spiritualité non « dénominationnelle » et cherchent à accroître la « conscience » de leurs clients. Dans beaucoup de cas, ils encouragent les pratiques corporelles telles que le travail de respiration et de méditation dont ils étendent le champ d’application à l’espace profane quotidien.
Un certain nombre de chercheurs pensent que nous assistons peut-être à un processus de réenchantement du monde, au sein duquel la religion joue un rôle majeur (voir par exemple Csordas 2007a, 2007b). Un tel réenchantement, comme Maffesoli (2007) le suggère, va bien au-delà de ce qui est habituellement reconnu comme religieux ou spirituel (notons par ailleurs que Maffesoli reconnaît une place importante à la question du don dans l’éthique de partage qu’il voit émerger des socialités contemporaines). La guérison peut constituer un élément important dans ce réenchantement. En effet, il est possible que ce ne soit pas seulement le corps et le soin qui lui est apporté qui soient réenchantés, mais la religion elle-même. Ainsi, le terme « miracle » si souvent employé dans le discours évangélique (comme dans les contributions de Christophe Monnot et Gonzalez et de Laurent Denizeau dans ce numéro) offre des pistes intéressantes pour penser comment les croyances et les pratiques religieuses contemporaines participent du réenchantement de la religion, ainsi que des notions de santé, de bien-être et de corps.
Références
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[1]. Le projet est financé par le Fonds Québécois de Recherche sur la Société et la Culture (FQRSC), Québec et par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), Ottawa. La recherche est dirigée par Deirdre Meintel, l’équipe est également composée des co-chercheurs suivants : Marie-Nathalie Le Blanc, Josiane Le Gall, Claude Gélinas, François Gauthier et Khadiyatoulah Fall ; Géraldine Mossière coordonne le projet.
[2]. Wilkinson et Althouse (2011) ont observé un autre type de guérison silencieuse parmi des évangéliques canadiens. Ces derniers s’imprègnent du divin en s’allongeant sur le sol pendant de longues périodes (« carpet time »).
[3]. Voir Meintel (à paraître) pour plus de détails concernant la guérison dans cette congrégation.
[4]. À cet égard, une conférence sur « Spirituality and Healing in Medicine » a été organisée par la Harvard Medical School en 2007 ; voir http://cme.hms.harvard.edu/cmeups/custom/00271464/00271464.htm, consulté le 20 juillet 2011.
[5] À cet égard, mentionnons le cas récent d’un physiothérapeute de Shawinigan qui, ayant déposé des prospectus de l’Église de Scientologie dans sa salle d’attente, s’est vu réprimander par son ordre professionnel pour activités de prosélytisme (Tauzin 2011).
[6]. Les guérisseurs spiritualistes, comme les guérisseurs travaillant avec les énergies que Dubisch a examinés, sont amenés à se penser comme des canaux plutôt que comme une source de guérison.
[7]. Voir, par exemple, l’étude de Samudra (2008) à propos des modes d’apprentissage des arts martiaux connus sous le nom de White Crane Silat par le biais du corps.
[8]. En effet, de nombreux membres qui fréquentent des groupes religieux québécois répertoriés par notre étude se définissent en ces termes, dont les guérisseurs spiritualistes rencontrés par Meintel.
[9]. Le site Internet « Meetup » (http://www.meetup.com/) offre de nombreux exemples à cet égard.
Cet article traite des mérites et des limites respectives de trois approches (interprétative, expérientielle et explicative) des demandes d’intercession dans les religions et rituels de guérison. Une première partie présente les façons dont les Autochtones d’Amérique se sont appropriés le catholicisme, appropriation dans laquelle s’est construite la figure de Kateri Tekakwitha comme celle qui guérit ses dévots. Une deuxième partie présente la manière dont des anthropologues nord-américains, hommes et femmes, qui sont partisans d’une approche expérientielle dans l’étude des rituels de guérison, sont initiés dans des traditions chamaniques et deviennent eux-mêmes des guérisseurs. Une dernière partie explique que c’est en raison de l’indifférence cosmique à leur condition existentielle que les humains créent des traditions religieuses et des rituels de guérison pour mieux affronter l’incertitude, la souffrance et la mort. Tout au long de l’article, ces trois approches sont discutées à la lumière des concepts de dispositif (Foucault et Deleuze) et de dissonance cognitive (Fetsinger). Pages 33-74.
À Lyon (France), l’Association internationale des Ministères de guérison organise une fois par mois des « soirées miracles et guérisons». Ces soirées s’articulent autour, d’une part, un « porteur de charisme » qui peut être pasteur, prêtre, religieux ou simple laïc, à la fois garant de la cohésion des acteurs autour de l’effort de prière et médiateur des énergies divines et, d’autre part, une assemblée en souffrance, en attente de miracle et qui le reçoit comme une preuve, une validation empirique du croire. Les prières s’inscrivent dès lors comme une quête thérapeutique. Cette recherche souhaite interroger la diversité des itinéraires thérapeutiques actuels, ainsi que les rapports au corps et à la guérison qu’ils occasionnent. À mi-chemin entre une anthropologie de la maladie et une anthropologie du religieux, cet article souhaite contribuer à une meilleure compréhension des rapports entre savoir et croyance à l’œuvre dans la guérison. Il souhaite interroger l’acte de croire dans le processus de construction de la guérison, en portant l’attention sur les modalités d’implication tout autant que sur les conditions d’acceptabilité, par les acteurs, du « miracle » de guérison. Pages 75-94.
Trois ans après avoir témoigné de son mal chronique, une fidèle s’exprime à nouveau devant sa communauté, une Église évangélique de type charismatique. Elle partage la nouvelle de sa guérison miraculeuse. L’analyse comparée de ces récits, ainsi qu’une description ethnographique des célébrations durant lesquelles ils sont émis, montre comment l’énonciation de la croyante est encadrée par le pasteur. Une approche pragmatique et énonciative permet de ressaisir simultanément cet encadrement sur les plans institutionnel et interactionnel. On verra alors comment cette parole publique contribue à redéfinir la perception que la communauté a de Dieu et d’elle-même. Chacune des situations de témoignage renvoie ainsi à deux façons de se rapporter au surnaturel au sein de l’évangélisme charismatique, toutes deux ayant un impact sur l’organisation des Églises locales. Pages 95-116.
À partir de données ethnographiques collectées auprès de nouvelles musulmanes rencontrées en France et au Québec, nous examinons le processus de conversion comme une forme d’herméneutique (Foucault). Nous montrons que la performance religieuse constitue une technique du soi qui, par la discipline du corps, vise à restaurer l’individu comme sujet éthique et acteur social. De ces religiosités contemporaines découlent de nouvelles conceptions du corps, de la santé et de la guérison perçues selon une vision holistique. Pages 117-142.
João de Deus (Jean de Dieu) est un médium-guérisseur brésilien qui a su attirer plusieurs adeptes à l’étranger. Durant la dernière décennie, il a organisé à l’international des événements de guérison entre autres en Allemagne, aux États-Unis et en Nouvelle-Zélande. Par conséquent, des documentaires de l’histoire de Jean de Dieu ont été diffusés dans les télévisions nord-américaines, britanniques, australiennes et néozélandaises. Plusieurs de ces documentaires ont été téléchargés sur YouTube par des adeptes. Grâce à cette exposition, un intense flux de personnes, d’idées et de commodités s’est déversé entre ces pays et la Casa Dom Inácio (centre de guérison de Jean de Dieu au Brésil). Dans cet article, l’auteure piste ces flux entre l’Australie et le Brésil. Elle soutient que les Australiens, qui demeurent une société coloniale où la population aborigène a souffert de pertes immenses, comprennent différemment l’empreinte particulière du spiritisme de Jean de Dieu. Pour plusieurs adeptes, l’arrivée des « entités » (esprits incorporés par Jean de Dieu) est perçue comme une manière de guérir les blessures de la terre. Une telle compréhension n’est pas partagée par les spiritualistes et les adeptes de Jean de Dieu au Brésil, en dépit du fait que les populations indigènes de ce pays ont connu également dans leur histoire la dépossession et les souffrances. Pages 143-168.
La diversité religieuse croissante de la population québécoise soulève certaines questions essentielles pour les institutions médicales, dont celle de leur adaptation aux différences religieuses. À partir de cas cliniques recueillis lors d’une recherche récente sur les défis et enjeux posés par la diversité religieuse dans l’intervention de première ligne, nous examinons dans cet article la manière dont la diversité religieuse est prise en compte par les intervenants dans leur travail. Nous cherchons également à voir comment se manifeste la religion dans la rencontre clinique et quelles sont les réactions des intervenants face aux requêtes des usagers. Pages 169-190.
Cet article s’intéresse à la thématique de la guérison à partir de matériaux issus d’une enquête de terrain au festival annuel Burning Man, en s’intéressant particulièrement au cas des HeeBeeGeeBee Healers (HH). Appuyé par une description du festival et du campement des HH, l’article présente trois récits permettant d’illustrer certaines modalités contemporaines de la guérison dans la culture holistique. En mettant l’accent sur l’effectivité du don, la guérison apparaît conditionnée par la qualité des relations sociales qui offrent un cadre pratique pour l’intégration du non-sens dans un réseau de sens servant la construction d’un projet de Soi. Pages 191-217.
Cette note de recherche se situe à la confluence de deux types d’écrits en santé mentale. D’un côté, un nombre croissant de recherches questionnent la frontière entre la psychopathologie et l’expérience spirituelle ou religieuse. De l’autre, le sens donné à l’expérience est considéré essentiel au rétablissement des personnes ayant des troubles psychiatriques. Cette note présente les récits de deux personnes avec un diagnostic psychiatrique, des sens qu’elles ont donnés à leur expérience (puisant dans le mysticisme et la conversion spirituelle) et des manières dont elles les ont intégrées pour un rétablissement complet. L’expérience directe de dimensions invisibles du monde et les « savoirs » que les personnes en tirent sont fondatrices de leur repositionnement. Pages 219-238.
La guérison occupe une place centrale au sein de la tradition du Reclaiming Witchcraft, une branche du paganisme contemporain qui unit la magie et l’activisme politique. Selon cette dernière, les rituels sont des opportunités d’amener la guérison et sont souvent structurés autour d’un modèle à trois étapes : l’auto-guérison, la guérison des autres et de la communauté, ainsi que la guérison de la terre. À travers ce modèle, les pratiquants s’engagent dans le renforcement de soi, la construction de la communauté et l’activisme politique, mais les conflits surviennent lorsqu’il est question de la projection des techniques de l’auto-guérison à l’intérieur du plan de la guérison de la terre. En s’appuyant sur une recherche empirique et sur l’implication personnelle de l’auteure, ce texte explore les connexions entre la guérison, la magie et l’activisme dans la tradition Reclaiming. Pages 239-258.
Dans son article, Linda Guidroux cherche à comprendre comment on peut se sentir de quelque part et pourquoi revendiquer cette appartenance culturelle en situation de migration. Ces préoccupations l’ont mené à se questionner sur la déterritorialisation de l’appartenance culturelle, puis sa relocalisation en contexte de migration. Pour cela, elle a décidé de prendre pour étude de cas la migration des Bretons au Québec depuis 1950. En premier lieu, elle propose de découvrir à quel groupe ethnique (breton, français, québécois, canadien ou autre) les migrants bretons du Québec rencontrés font référence (ou ont fait référence pour ceux retournés en Bretagne) pour s’identifier en terre d’accueil et laquelle de ces appartenances ils choisissent pour se présenter à « l’Autre ». En second lieu, elle analyse dans quelle mesure les représentations que ces migrants se font de leur groupe ethnique de référence a influencé leur choix d’appartenir à ce groupe et de repérer les liens qu’ils ont maintenus, construits ou rompus avec celui-ci. Enfin, elle identifie si leur expérience migratoire au Québec a modelé leur choix d’appartenance culturelle. Pages 259-293.