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Vol. 21-2 – 1999
Regular Issue
La plupart des anthropologues et des ethnologues nord-américains sont généralement conscients du fait que le folklore, l’ethnographie et l’ethnologie en Europe de l’Est sont, à plusieurs titres, différents de ce qu’ils sont dans leurs propres pratiques. Compte tenu de la portée et de l’importance des changements sociopolitiques qu’ont connus l’Europe centrale et l’Europe de l’Est au cours de la dernière décennie (1989-1999), l’attention portée aux changements intellectuels dans cette région du monde semble bien insuffisante. Même si plusieurs publications sur le sujet ont paru récemment, l’école d’ethnographie russe a retenu l’essentiel de l’attention (Slezkine 1991 ; Tishkov 1992 ; 1998 ; Durand 1995 ; Elfimov 1997 ; Rethmann 1997). Les traditions scientifiques des autres pays postsocialistes et leurs développements actuels ont suscité beaucoup moins d’intérêt chez les spécialistes nord-américains, avec toutefois quelques exceptions (cf. Jakubowska 1993 ; Scheffel et Kandert 1994).
Cette publication est une autre tentative visant à susciter l’intérêt des spécialistes pour les changements qui ont affecté le climat intellectuel et le discours scientifique dans les anciens pays socialistes, où les transformations politiques de la dernière décennie ont provoqué une importante démarche de réévaluation de l’ethnologie comme discipline. Les articles réunis dans ce numéro sont en partie le fruit d’une rencontre conjointe portant sur l’état des connaissances en ethnologie et en folklore de l’Europe de l’Est qui a été organisée par l’Association canadienne des slavistes (ACS) et par l’Association canadienne d’ethnologie et de folklore (ACEF) lors du Congrès des sociétés savantes qui s’est tenu en juin 1997, à Saint-Jean de Terre-Neuve. L’idée de préparer un numéro spécial de la revue de l’ACEF sur l’état de l’ethnologie dans les pays postsocialistes y était née. Comme plusieurs autres participants se sont impliqués dans ce projet de publication, ce numéro peut être considéré comme un effort collectif des chercheurs provenant tant de l’« Ouest », dans notre cas du Canada, que du « bloc de l’Est ».
Au moins deux catégories conceptuelles de travaux, deux grandes orientations, sont issues de cette nouvelle expérience de l’Est. L’une est plus historique, faite de descriptions et de traductions ; elle est un exercice de documentation de la tradition intellectuelle de l’Est et des différences entre l’Est et l’Ouest. L’autre est plus directement orientée vers le présent, explorant comment l’ethnologie elle-même est impliquée dans les projets de construction des nations dans les pays récemment (ré)établis. Mis à part ce numéro, les publications qui appartiennent au premier groupe comprennent celle d’Ernest Gellner, qui analyse les racines philosophiques tant des traditions anthropologique (« occidentale ») qu’ethnologique (« orientale ») (1992) et celle de Longina Jakubowska, qui explique les différences fondamentales entre l’ethnographie polonaise et l’anthropologie américaine (1993).
La seconde orientation dans l’étude des pratiques ethnologiques du monde postsocialiste regroupe les recherches qui analysent le rôle des travaux ethnographiques qui s’attachent à former les nouvelles idéologies nationales et à créer les nouveaux discours nationaux. Nous nous sommes rendus compte, en travaillant à ce projet, que ces deux orientations, qui semblent différentes dans les écrits traitant des ethnologies postsocialistes, forment, en réalité, deux noyaux inséparables de notre propre implication d’Occidentaux dans l’univers intellectuel de l’ancien bloc soviétique et nous avons donc retenu, pour ce numéro, les articles renvoyant à l’une ou l’autre de ces deux grandes orientations.
Un des problèmes méthodologiques que nous avons rencontrés était la façon de nommer la discipline elle-même. Folkloristique, ethnographie, ethnologie, anthropologie culturelle, histoire orale, études régionales et plusieurs autres termes sont utilisés pour désigner cette discipline (ou ces disciplines [plurielles] qui recouvrent un vaste champ d’études). En Europe de l’Est, le terme « folklore » renvoie traditionnellement à l’étude de l’oralité. L’« ethnographie », quant à elle, recouvre les études de culture matérielle. Le terme « ethnologie » est habituellement compris comme désignant un ensemble plus vaste de travaux et suggère une approche plus analytique que les deux notions précédentes, désignant des études qui sont généralement orientées vers la recherche des origines des traditions et des caractéristiques spécifiques d’un « peuple ». Pour ce numéro, nous préférons employer le terme « ethnologie », mais en lui accordant un sens plus large, avec une extension qui inclut l’ensemble des travaux de recherche relatifs aux traditions. Sauf dans les passages qui traitent spécifiquement de terminologie, nous souhaitons contourner le problème des distinctions sémantiques pour plutôt analyser les tendances de la discipline dans son ensemble.
Les articles présentés dans ce numéro proviennent tant de l’Ouest que de l’Europe de l’Est et reflètent les nombreuses différences qui existent entre les objets de recherche de l’ethnologie. En réunissant ces textes, notre objectif n’est pas de nous livrer à un exercice d’évaluation des différents courants de recherche pour souligner les forces et les faiblesses de chacun, mais plutôt d’attirer l’attention de nos lecteurs sur les différences qu’on trouve entre ces traditions. Dettmer traite du problème des ethnologues « ossies » [anciens Allemands de l’Est] qui ont subi des déplacements plus pénibles depuis l’unification de l’Allemagne que leurs collègues occidentaux. Ce phénomène est probablement caractéristique des chercheurs de l’Ouest qui semblent rarement considérer ou adopter les idées, les projets et les pratiques de ceux de l’Est. Dans ce numéro, nous notons que les références à l’ethnologie soviétique et socialiste tendent à être critiques et que la période postsocialiste est souvent perçue comme un temps de restauration ou de correction. Quoiqu’il en soit, nous espérons que l’un et l’autre de ces (nombreux) paradigmes pourront trouver écho et que ce numéro permettra l’avancée des échanges entre les chercheurs, quelles que soient leurs perspectives et peu importe de quel continent ils proviennent. Selon nous, un tel dialogue devrait être mis en place dans la compréhension mutuelle et dans le respect de chacune des traditions intellectuelles.
Plusieurs thèmes ressortent des articles et des textes présentés ici. Le plus important est peut-être l’étude des relations qui existent entre l’ethnologie, l’histoire et la construction de la nation. En fait, dans plusieurs des articles qui suivent, les introductions historiques sont plus substantielles que les passages portant sur l’expérience postsocialiste. La plupart des auteurs considèrent qu’il est nécessaire de contextualiser leur analyse de l’ethnologie postsocialiste, ce en introduisant leur texte avec des descriptions de la période socialiste et de celle qui l’a précédé. Beaucoup reconnaissent les liens qui existent entre l’ethnologie et la recherche de l’« essence du peuple » qui était au centre du nationalisme romantique tel qu’il est né au XIXe siècle.
Cette étroite relation entre l’ethnologie et la construction de la nation est demeurée bien réelle à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Là où l’édification de la nation a eu comme conséquence la mise en place d’un État politique, l’ethnologie est devenue en quelque sorte plus institutionnalisée et a continué à jouer son rôle, qui consistait à fournir les modèles de symboles, de comportements et les objets par lesquels les citoyens du pays pouvaient s’identifier comme membre du « peuple ». Selon les différents contextes, une deuxième fonction des ethnologies nationales était d’évaluer les zones marginales et frontalières selon leur inclusion dans les limites culturelles du « peuple ». (Il n’est donc peut-être pas étonnant de constater que, lorsque les politiciens et les militaires se sont intéressés à une région, les ethnologues et les folkloristes ont toujours semblé trouver quelques bases scientifiques à partir desquelles légitimer les revendications des dirigeants.) Une troisième fonction politique de la discipline consistait à favoriser l’unité et à démontrer, à mettre en valeur ou à asseoir l’homogénéité des différentes régions et groupes linguistiques de chacun des pays.
Bien que chaque État ait ses propres caractéristiques particulières, le rapport entre l’ethnologie et la construction de la nation s’est, dans une certaine mesure, modifié uniformément pendant la période socialiste. Tout d’abord, le caractère romantique attribué à l’image du paysan, perçu comme porteur de l’« essence du peuple », est demeuré dominant, mais le prolétariat urbain a été intégré à cette figure. Ce phénomène est analysé dans l’article de Shostak, de même que dans d’autres textes de ce numéro. Les classes autres que celle des paysans et des prolétaires ont été plus explicitement exclues de la figure du « peuple ». Sous l’influence soviétique, l’ethnologie est devenue encore plus clairement politique, chargée de documenter, d’enseigner et de populariser les idéaux révolutionnaires. Les idées, les thèmes, et les valeurs populaires qui entraient en contradiction avec le marxisme-léninisme devaient être ignorés, niés ou expliqués de sorte à être mis de côté. Les ethnologues eux-mêmes ont été surveillés avec attention afin d’assurer la rectitude politique de leurs travaux.
Les articles de ce numéro montrent bien que la relation entre l’ethnologie du monde soviétique et le nationalisme constituait en quelque sorte une lame à deux tranchants. D’une part, les États socialistes étaient extrêmement politisés et le patriotisme était essentiel pour ceux-ci. L’ethnologie socialiste a généralement continué à défendre le concept de « peuples » comme étant des entités culturellement et généalogiquement distinctes. D’autre part et en même temps, la relation qui avait précédemment existé entre l’ethnologie et le nationalisme a, de plusieurs façons, été abandonnée. Les leaders révolutionnaires avaient prévu que les États-nations disparaîtraient lorsque le communisme s’étendrait au monde entier. Cela plus nettement encore dans les diverses républiques qui ont composé l’Union soviétique, le nationalisme représentait donc une menace et un ennemi pour les gens au pouvoir à Moscou. Les ingénieurs sociaux socialistes avaient fait de l’« homme soviétique » leur idéal culturel. Celui-ci aurait dépassé et transcendé la culture et l’identité nationales. Il était admis, plus ou moins explicitement, que l’« homme soviétique » et la culture socialiste postnationale seraient fondés sur la culture russe ; c’est pourquoi l’une des occupations des ethnologues (en plus de mettre l’accent sur les différences entre les « peuples socialistes » et les « peuples capitalistes ») consistait à mettre en évidence les relations qui existaient entre les populations socialistes et à souligner l’interconnexion de leurs savoirs et de leurs traditions avec la Russie qui était vue comme le centre.
La relation entre les revendications politiques et l’ethnographie à l’époque socialiste a été documentée assez tôt dans les publications (Oinas 1973; 1975; Oinas et Soudakoff 1975; Klymasz 1978; Gellner 1980; 1988; Jakubowska 1993). Mais comment cette relation a-t-elle été développée lors de la transition postsocialiste ? Chacun à sa manière, les articles de ce numéro font la lumière sur cette question.
Après la chute du pouvoir soviétique, cette politisation accrue de l’ethnologie d’un côté et, de l’autre, la suppression de divers aspects du nationalisme ont tendu à relier plus fortement encore l’ethnologie et le nationalisme. Les États nouvellement indépendants qui étaient d’anciennes républiques soviétiques ont connu un besoin manifeste et pressant d’édifier la nation et tous ont font appel à leurs folkloristes pour les aider à justifier et à renforcer l’image de leur nation, ce à l’intérieur même de leurs populations ainsi qu’à l’échelle internationale. L’article de Shostak fait clairement ressortir ce processus dans le cas ukrainien. Des tendances semblables sont tout aussi évidentes dans les pays voisins.
Un deuxième thème qui ressort de ce numéro, en lien avec le premier, est la tendance, chez les ethnologues postsocialistes, à rétablir et à remettre en valeur les activités scientifiques et les chercheurs de la période présocialiste. Puisque l’époque socialiste constitue un temps au cours duquel la discipline a été limitée et s’est attachée à un nombre restreint d’objectifs et où personne n’était prêt à se confronter avec les conséquences de cet état de faits, plusieurs des auteurs de ce numéro documentent les efforts concertés pour publier les travaux qui ont précédé la période socialiste de même que ceux qui ont été mis de côté à l’époque socialiste. Ainsi, Mihalescu écrit à propos de Gusti et de sa méthode de recherche monographique, de la période d’entre-deux-guerres, qui a été redécouvert récemment. En Ukraine, l’Archaeographic Institute fait reparaître d’excellents textes qui avaient été cachés ou supprimés. Olszewski traite des écoles de l’entre-deux-guerres qui ont été rétablies ces dernières années en Pologne. Klymasz et Scheffel abordent la renaissance, dans les journaux ethnologiques, des études sur les pratiques de religion populaire, sur les relations interethniques, etc. qui a été observée juste après le changement politique.
Un troisième thème, qui ressort clairement des articles de Scheffel, Olszewski, Domaradzka, Todorova et Muresan, est la question des minorités ethniques. Étant donné la complexité et la richesse de la situation culturelle de cette partie du monde, tous les États d’Europe centrale et d’Europe de l’Est comportent des minorités ethniques qui forment des groupes substantiels. Ceux-ci ont été en grande partie ignorés pendant la période socialiste, alors que la culture nationale était conçue comme une entité homogène, fondée sur un ensemble choisis de traits culturels provenant du groupe dominant. En revanche, durant la période postsocialiste, les bâtisseurs de nations ont tôt ou tard compris qu’ils devaient prêter plus d’attention aux différents groupes qui peuplent leur territoire. Le destin de la Yougoslavie, de la Tchécoslovaquie, de la Tchétchénie et de toute l’Union soviétique elle-même est un avertissement quant aux risques qu’implique le fait de mal administrer une telle réalité. Comme cela apparaît dans les articles d’Olszewski et de Domaradzka, depuis maintenant plus d’une décennie, l’ethnologie polonaise accorde une attention spéciale aux minorités ethniques. Todorova, pour sa part, traite des relations ethniques dans les Balkans, un sujet qui demeure malheureusement d’actualité dans l’arène politique. Les articles sur l’ethnologie ukrainienne qui sont présentés dans ce numéro reflètent l’absence d’intérêt qu’on trouve dans cette région pour les minorités ethniques, et ce même si les récents voyages en Ukraine de Natalia Shostak, corédactrice de cette publication, suggèrent que, dans les principales institutions ethnologiques de l’Ukraine, l’intérêt pour les minorités se soit développé au cours des dernières années.
David Scheffel soulève explicitement le quatrième thème de ce numéro, soit la continuité entre la période socialiste et l’époque suivante. Dans chacun des pays dont il est question, les principales institutions demeurent un héritage de la période socialiste, bien qu’elles aient peut-être connu des changements mineurs de nomenclature et des ajustements structuraux. La plupart des dirigeants de ces institutions ont été formés et ont mené leur carrière pendant la période socialiste (cette réalité est plus manifeste dans certains pays que dans d’autres).
Comme relevé précédemment, la relation entre l’ethnologie et le nationalisme dans ces pays est sensiblement (bien que pas entièrement) en continuité avec les modèles et schémas de la période précédente. Mihalescu souligne clairement que beaucoup de chercheurs continuent à faire ce qu’ils faisaient auparavant, quoiqu’un peu plus librement. L’héritage archivistique considérable et la renaissance des figures historiques viennent également supporter la continuité de l’ethnologie d’une période à l’autre. La richesse des textes rassemblés dans la plupart des régions de l’Europe de l’Est renforce la tendance à continuer de travailler selon des méthodes basées sur le texte. L’expertise dans les genres et les paradigmes n’est pas exposée au changement rapide et la recherche universitaire connaît un certain élan, attribuable à la nouvelle génération de chercheurs.
Un des corollaires importants de n’importe quelle observation de la continuité entre les périodes socialiste et postsocialiste est le constat du déclin institutionnel. Quelles qu’aient été les limites imposées à l’ethnologie socialiste, il n’en demeure pas moins qu’à l’époque du financement soviétique, les travaux qui étaient jugés comme politiquement acceptables ont permis aux chercheurs de bénéficier de postes importants, de généreux budgets de fonctionnement, d’un grand prestige et d’une solide stabilité. Aujourd’hui, alors que les gouvernements sont davantage intéressés par les rigueurs de l’économie de marché, les institutions ont généralement subi d’importantes coupures budgétaires. Le corps professoral a souvent été réduit sensiblement, les salaires sont couramment versés en retard et ne sont pas indexés au coût de la vie. Les chercheurs de nombre de disciplines sont inquiets face à la perte de prestige et de sécurité professionnelle. Beaucoup vivent avec plus d’un travail et beaucoup délaissent leurs projets de recherche à long terme pour des activités plus immédiatement lucratives.
Le cinquième et dernier thème de ce numéro traite de cette partie de la communauté scientifique qui est le plus clairement en rupture avec les modèles théoriques socialistes. Il s’agit souvent de chercheurs qui sont en contact avec l’Ouest. Ils peuvent ou non être explicitement concernés par la construction de la nation. Comme Mihalescu le souligne, ils sont souvent impliqués moins directement dans la découverte de l’essence de la nation, mais davantage intéressés à se redécouvrir eux-mêmes à travers ces constructions nationales.
Étant donné le développement de l’intérêt pour l’anthropologie dite indigène et les implications des discours sur l’Autre, il est intéressant de noter la position des auteurs de ce numéro. Tous sont fortement liés au pays d’Europe centrale ou d’Europe de l’Est sur lequel ils travaillent. Certains y vivent actuellement, d’autres sont émigrants, alors que d’autres sont membres d’une diaspora vieille de plusieurs générations. Par ailleurs, certains sont dans des situations transitoires ou hybrides à cet égard, se trouvant peut-être dans leurs universités de l’Est, mais voyageant fréquemment afin d’échanger avec leurs collègues de l’Ouest. Todorova aborde la façon dont les descriptions des groupes ethniques diffèrent selon que l’auteur jette un « regard de l’intérieur » ou un « regard de l’extérieur ». Selon ses observations des récits populaires, les regards jetés de l’intérieur sont uniformément positifs, alors que ceux de l’extérieur tendent à être plus négatifs. Bien que les articles de ce numéro diffèrent de plusieurs façons des textes sur lesquels Todorova travaille et bien que l’esprit critique soit un élément important de la tradition scientifique de l’Ouest, l’identité transitoire des auteurs se révèle de plusieurs façon dans ce numéro. D’une part, le lecteur peut sentir cette empathie des auteurs pour la communauté scientifique (ou au moins pour le projet national) de chacun des pays. Chez plusieurs, la présentation de la partie historique de leur article manifeste un certain sens de l’honneur. Beaucoup d’auteurs terminent avec des commentaires optimistes vis-à-vis de l’avenir. À cet égard, leur ton les rapproche du regard jeté de l’intérieur. Or, aucun des articles n’est présenté en langue est-européenne ; tous sont en anglais ou en français, ce qui témoigne bien du regard jeté de l’extérieur. Aucun des auteurs ne glorifie le groupe qu’il étudie en en faisant le « peuple élu » (Smith 1992). En réalité, tous livrent une critique juste de la période socialiste et caractérisent la période postsocialiste comme une époque d’importants défis.
Nous souhaitons adresser des remerciements spéciaux à Robert Klymasz, qui a le premier proposé l’idée de former une équipe pour travailler sur l’ethnologie de l’Europe centrale et de l’Europe de l’Est après la chute du mur de Berlin. Sa proposition a pris forme et ce ne fut pas long avant que le groupe ACS/ACEF soit réuni. Andriy Nahachewsky a organisé le forum. Elke Dettmer l’a présidé. Des communications ont été présentées par R. Klymasz, J. Pocius et N. Shostak. Lors de la vive discussion qui a suivi, Laurier Turgeon a suggéré que le thème devienne l’objet d’un numéro spécial de la revue qui s’appelait alors Canadian Folklore Canadien. Merci à Laurier pour son support constant et pour nous avoir offert un certain nombre de contributions supplémentaires. Nous souhaitons également remercier Madeleine Pastinelli et Nancy Schmitz pour leur travail éditorial et administratif, en particulier en ce qui concerne le traitement des articles de langue française, mais également pour l’ensemble du numéro.
References
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Cet article porte sur l’« ethnologie diffuse » roumaine, définie, suivant Stocking, comme une nation building ethnology. Le discours ethnologique roumain s’inscrit ainsi, comme c’est le cas pour d’autres « jeunes nations », dans le projet global de construction de la nation. Suivant plutôt le « modèle allemand », la nation roumaine se présente plutôt comme sujet de l’indépendance (du peuple) que comme sujet de la liberté (des citoyens), étant constitutivement « traditionnelle » et « moderne ». Dans ce contexte, le discours ethnologique répond à la nécessité de légitimer cette indépendance du peuple par la valorisation de sa spécificité, ancrée dans la double invention de sa traditionalité et de sa modernité. Le folklore, la philosophie, l’anthropogéographie et la sociologie de la première moitié du XXe siècle sont présentés comme parties de cette ethnologie diffuse. Les transformations subies pendant l’époque communiste sont analysées dans le contexte de la volonté politique de passer du peuple-paysan au peuple-prolétaire, le grand festival national de la « chanson de la Roumanie » servant d’exemple de rupture idéologique, mais aussi de continuité occultée d’habitude par les critiques du communisme. L’analyse s’ouvre sur la période postcommuniste quand, prenant ses distances par rapport au « folklorisme », une anthropologie naissante se met à « dévoiler » ce que les couches successives d’une nation building ethnology ont plutôt caché ou simplement oublié.
Suite à la réunification de 1989, en Allemagne, la joie a rapidement cédé la place au désenchantement chez les universitaires postsocialistes. Soudainement, un environnement plus compétitif provoque un dur réveil pour plusieurs qui, auparavant, conservaient leur poste, protégés par une sécurité d’emploi inébranlable. Au lieu de cela, on a vu se développer une dérangeante tendance à remplacer les spécialistes du pays par leurs collègues de l’Ouest. Voici une courte évaluation de la situation, huit ans après la chute du mur de Berlin, qui s’appuie sur mes observations personnelles et sur un choix éclectique de documentation.
Cet article analyse les développements de l’ethnologie slovaque à la suite de l’effondrement du communisme et de la déclaration d’indépendance slovaque. En dépit de sa petitesse et de l’érosion du financement public, la discipline a réussi à soutenir deux périodiques et un nombre considérable de publications. Tandis que l’intérêt traditionnel pour la culture populaire slovaque se maintient, un intérêt marqué pour les thèmes anthropologiques et sociologiques émerge chez la jeune génération. Le problème des relations ethniques, particulièrement en ce qui concerne la « question hongroise », est un sujet de recherche contemporain particulièrement populaire.
Les travaux publiés pendant les premières années d’indépendance montrent que la folkloristique postsoviétique en Ukraine est en état d’instabilité. En dépit de la quasi-disparition du financement de l’État et de la période concomitante de désorientation, cette période est caractérisée par un grand nombre d’innovations qui sont particulièrement signifiantes pour l’avancement des connaissances folkloriques ukrainiennes. Toutefois, certains thèmes de recherche (comme la religion populaire) demeurent insuffisamment étudiés.
Après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, l’Ukraine, comme plusieurs anciennes républiques soviétiques, s’est vue obtenir le nouveau statut politique de nation indépendante. Les sciences sociales et humaines de l’Ukraine se sont fortement dissociées de l’héritage de l’État soviétique et ont confronté le besoin de promouvoir leurs propres projets de revitalisation culturelle, qui est, cette fois, basé sur un agenda national. Les études de folklore prennent une part active dans ce nouveau projet national ukrainien. Dans cet article, je me penche sur l’orientation particulière du discours actuel de l’ethnologie en Ukraine, sur la notion de folklore elle-même, analysant son utilisation et examinant l’ambiguïté et la polysémie de son épithète « folk » [narodnyi]. J’analyse comment la notion de folklore est employée par les Ukrainiens spécialistes du folklore dans leur tentative de redéfinir leur discipline et de légitimer la nouvelle émergence, prétendument homogène, des nations ukrainiennes. La verbalisation, la formulation et la conceptualisation de la notion de folklore dans les travaux ukrainiens contemporains est une pratique discursive importante qui fait du folklore ukrainien un objet de propriété nationale et qui contribue au processus de construction de la nation.
L’influence de l’ethnologie et des disciplines voisines sur la formation de l’identité nationale polonaise et sur l’image des autres groupes peut être divisée en quatre périodes : 1. De la fin du XIXe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale, l’époque où la nation polonaise constituait une minorité dans trois pays ennemis ; 2. La période de la Deuxième République — l’État-Nation ; 3. La période de la République populaire de Pologne — un État en apparence national ; 4. La période postsocialiste. L’implication de l’ethnologie et des disciplines voisines dans la création de l’identité nationale et de l’image des autres groupes ethniques et des autres nations a un effet considérable sur la valeur des recherches scientifiques. Les meilleurs travaux sont issus de la deuxième période, alors que la science s’engageait activement et ouvertement dans la consolidation de l’identité polonaise. Durant la quatrième période, l’ethnologie polonaise ne s’engage pas directement dans la consolidation de l’identité nationale polonaise déjà affaiblie après la troisième période. L’auteur tente d’expliquer ce paradoxe. Il met également en évidence les relations qui existent entre la position de l’ethnologie, l’identité nationale et la place de la Pologne en Europe.
L’histoire de la Silésie, zone de contact, a fait de l’ethnomusicologie locale une science militante, et ce dès le XIXe siècle. La démarche des ethnomusicologues visait d’abord à maintenir l’identité nationale polonaise en Silésie, puis, entre les deux guerres, à promouvoir l’unification régionale pronationaliste. À l’époque socialiste, le régime a fortement sollicité la discipline pour qu’elle crée une culture populaire unitaire. Cette politique, particulièrement contestée déjà avant la fin du régime, l’est totalement depuis 1990 aussi bien pour son contenu idéologique que pour sa méthodologie. La remise en cause de la notion de « peuple heureux » et de son « beau folklore » s’est accompagnée de la redécouverte des musiques traditionnelles des sociétés autochtones des plaines et des montagnes ainsi que de celles des minorités ethniques de la région. Le cas silésien, complexe aux plans culturel, religieux, historique, géographique et économique, peut donc servir de modèle pour l’analyse exploratrice et prospectrice d’autres régions européennes.
Dans cet article, j’analyse différentes représentations culturelles des images ethniques. Je définis les images ethniques comme des constructions mentales d’idées, de croyances, d’opinions, d’attitudes et de valeurs qui sont créées par les membres d’un groupe ethnique donné et qui permettent à celui-ci de décrire, de présenter et d’évaluer le « nous » et les « autres » groupes ethniques. Les images ethniques se composent de différentes dimensions, sociale, psychologique, artistique et doivent être étudiées non seulement à cause de l’intérêt qu’elles présentent comme objet d’analyse, mais aussi à cause de leur rôle signifiant à titre de facteur de motivation de certaines stratégies comportementales en situation d’interaction interculturelles. Mes observations et mes conclusions sont appuyées par des exemples documentés sur une période de plus de 100 ans, organisés pour illustrer l’étonnante constance des thèmes et des processus qui donnent de la valeur aux images ethniques, ce au siècle dernier et aujourd’hui chez plusieurs des groupes de la péninsule des Balkans. Compte tenu de l’importance qu’a aujourd’hui ce problème dans les Balkans, je donne aussi des exemples commentés ayant trait aux événements récents qui sont survenus dans cette région.
Les Tsiganes roumains sont une des plus importantes minorités ethniques de la Roumanie. Divisés en plusieurs sous-communautés, les Tsiganes adoptent des stratégies identitaires pour mieux se distinguer des Roumains et des autres Tsiganes et pour se maintenir comme groupe. Dans cet article, je présente l’analyse d’un premier travail de terrain réalisé dans une communauté de Rétameurs de la ville de Giurgiu, dans le contexte du passage au régime capitaliste. Certains membres de la communauté rétameure valorisent leur identité alors que d’autres tentent de se détacher du groupe qui, malgré sa désorganisation apparente, exerce un contrôle important sur les activités (notamment le mariage) de ses membres.