Volume 21-1

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Vol. 21-1 – 1999

Regular Issue

Articles

Pauline GREENHILL

Introduction

Laissez-moi vous raconter une histoire. C’est une histoire vraie qui me concerne, mais c’est aussi une histoire familière – trop familière – du monde universitaire. C’est aussi, peut-être mieux encore, une histoire courte.

Il était une fois, il y a longtemps, en 1996, un article que j’ai écrit et qui portait sur différents aspects de ma recherche sur les politiques identitaires et culturelles des festivals de Winnipeg. J’ai présenté ce texte lors d’une rencontre conjointe de la Société pour l’ethnomusicologie et de la Société canadienne pour les traditions musicales qui se tenait à Toronto. Les responsables de conférence, Bev Diamond et Bob Witmer, tous deux ethnomusicologues à York University, m’ont demandé de présenter une version de ce texte pour les actes du colloque, ce que j’ai fait. Trouver une maison d’édition pour un collectif est une démarche longue et difficile, je n’ai donc pas été surprise de ne pas avoir de nouvelles de Bev et Bob pendant un bon moment. En fait, c’est plus de deux ans après, en mars 1999, que Bob m’a contactée pour me dire que la publication était en cours de préparation et pour me donner les commentaires des premiers évaluateurs.

Il m’a expliqué que les évaluateurs trouvaient mon travail  » trop limité « . Je dois préciser que Bob s’est résolument dissocié de cette critique. Bien sûr, j’avais hâte de voir la réponse des autres évaluateurs. Mais, je dois vous avouer que j’ai immédiatement suspecté ce que  » trop limité  » voulait dire. Cela signifiait tout simplement que mon article portait sur Winnipeg. S’il avait traité de Toronto, il aurait pu être considéré comme largement représentatif et on aurait jugé qu’il démontrait finement les logiques internes des politiques culturelles et identitaires des festivals canadiens. Mais comme mon texte portait sur Winnipeg, il était simplement restreint et pas suffisamment représentatif, non seulement des régions, mais aussi du Canada lui-même.

Je ne suis pas certaine de terminer mon histoire en disant  » rendons grâce à dieu  » pour témoigner ma gratitude en retour de la leçon apprise, comme on le fait dans certaines pratiques religieuses chrétiennes. Mais je devrais éviter de mélanger mes métaphores narratives.

La leçon que j’ai tirée de cette aventure est que nous ne  » vécûmes pas dans le bonheur  » à la suite de la ferveur nationaliste qui a suivi le rapport de T. H. B. Symons sur les études canadiennes et l’état de la recherche et de l’enseignement au Canada (1978, voir aussi Mathews 1994 et Vickers 1994). En dépit des critiques constantes, de nombreuses données dans ce pays sont considérées comme locales et régionales ; elles sont habituellement issues de l’extérieur de l’Ontario et du Québec. Toutefois, quelques informations proviennent de ces deux provinces – ou, pour être plus précise, de leurs zones frontalières urbaines, de Toronto ou de Montréal – qui sont vues comme des sources nationales, tant à cause de leur portée que de leur valeur. Cette partie de notre pays est appelée le  » centre du Canada « .

Pourtant, auparavant, quand j’ai enseigné les études canadiennes, une des premières choses que mes étudiants tendaient à remarquer quand ils essayaient de revoir et de rationaliser les frontières sociales et politiques du Canada était que la ville la plus au centre de notre pays, en termes de configuration est-ouest, c’est Winnipeg. L’idée selon laquelle le centre du Canada est une fiction politique – et géographique – stratégique, durement gagnée par les canadianistes entre les années 1960 et les années 1980, semble maintenant avoir été mise au rancart dans le sillage du remous internationaliste du prémillénaire qui, bien sûr, cède le pas aux intérêts du capitalisme corporatiste.

Enfin ! Je dis à mes étudiants que la redondance et la répétition sont rarement une perte de temps, si jamais elles peuvent l’être. En fait, comme Martha Stewart dirait, c’est  » une bonne chose  » (voir Tye 1997). Ainsi, nous repartons de nouveau.

Les études de folklore américaines ont tendu à réaffirmer les concepts d’ethnicité et de régionalisme comme recouvrant d' » autres  » cultures, distinctes par leurs différences de la culture normale, ordinaire, principale, qui est celle du centre, soit celle des blancs, de la classe moyenne (voir par exemple Stern et Cicala 1991). Ces personnes – blanches, d’expression anglaise, etc. – sont ordinaires, alors que les autres – non blanches, ne parlant pas anglais, etc. – sont ethniques. C’est nous et eux ; soi et les autres. Ils (les ethniques) sont hauts en couleurs, avec des traditions amusantes ; nous (les dominants) sommes ennuyeux, mais puissants (voir la discussion dans Greenhill 1994).

Bien que certains travaux canadiens récents soient également marqués par cette tradition universitaire, notre perspective ethnologique a une longue histoire de reconnaissance des groupes ethniques et des régions comme des constructions sociopolitiques plutôt que comme des faits sociaux réifiés (voir par exemple Carpenter 1985). Les appartenances ethniques et les régions, autant que les nationalités, sont des  » communautés imaginées  » dans les termes de Benedict Anderson (1983) ; elles ne sont pas constituées d’interactions quotidiennes en face-à-face, mais elles nécessitent un peu plus d’ingéniosité pour que soit possible la création de liens entre les membres de la communauté et parmi eux. Les manipulations stratégiques, distinguant le soi des autres et l’ethnique de la culture populaire ordinaire, servent le plus souvent les besoins et les intérêts de l’hégémonie. Or, ces manœuvres sont aussi temporaires, parfois souhaitées par les individus et parfois imposées à ceux-ci, habituellement pour des raisons plus pragmatiques qu’ontologiques. (voir par exemple Greenhill 1994, Tye 1987). Une fois de plus, il faut souligner que le fait de reconnaître les identités comme contingentes et fabriquées n’implique pas forcément de considérer ces identités comme épiphénoménales ou fictives, particulièrement dans leurs effets sur les individus ou les groupes (voir par exemple Clifford 1988, Butler 1993). Parce que la plupart des auteur(e)s de ce numéro sont Canadien(ne)s et politiquement conscient(e)s, ils acceptent ces concepts de région et d’ethnicité, qui se manifestent, dans leurs travaux, comme partie prenante de leur expérience quotidienne. Heureusement, je peux ainsi tourner le dos au vieux refrain pour faire face au nouveau et passionnant travail qui est présenté dans ce numéro.

Plusieurs régions et groupes ethniques sont représentés dans ces textes, mais aucun des auteurs n’échappe à la prise en compte de ses propres constructions ethniques et régionales ou de celles de son étude. Chacun relève plusieurs aspects originaux de la construction identitaire : le genre (spécialement Buhler, O’Brien et Fulford et al.), la sexualité (spécialement Oakley), le tourisme (spécialement Burns, Hamel et LeMenestrel), la religion (spécialement Desdouits, Koven et Maynard) et différents modes de transmission (spécialement Freake et Carpenter et LeGuevel). La plupart des auteurs se penchent sur des influences complexes plutôt que de se limiter à une seule. Les communautés ethniques présentées ici sont, à plusieurs titres, relativement invisibles pour la culture dominante ; elles tendent à être blanches, de classe moyenne, etc. Les auteurs sont davantage préoccupés par les interactions que par les groupes eux-mêmes. Concernant les régions, les travaux portent sur le Québec, l’Ontario, Terre-Neuve, le Yukon, le Manitoba et la diaspora francophone d’Amérique du Nord. Cela reflète en partie les centres d’intérêts des travaux en ethnologie – particulièrement du Québec et de Terre-Neuve – et en partie les intérêts et les origines de ceux qui ont contribué à ce numéro. Toutefois, je vois quatre thèmes émerger de ces travaux, qui correspondent non seulement aux objets d’étude, mais aussi aux approches adoptées.

 

Relecture du centre des marges

Dans une certaine mesure, tous les travaux présentés ici sont des relectures de perspectives ou de textes, mais ceux de Nathalie Hamel, Sarah Buhler et Andrea O’Brien sont particulièrement intéressants, à cause de la finesse de leurs analyses qui renvoient, explicitement ou autrement, à ce que Donna Haraway identifie comme des  » connaissances localisées  » (1988). Haraway soutient que le  » truc divin  » de la prétendue objectivité, le regard distant, embrouille la dimension réelle d’où provient l’image construite, soit d’un lieu et de certaines personnes. Pas de truc divin ici ! Chaque auteure s’adresse à son propre groupe socioculturel en se référant aux sensibilités particulières de sa communauté.

Bien que les Mennonites, les Québécois et les Terre-Neuviens du monde rural soient profondément différents, ils ont en commun un espace en marge du pouvoir sociopolitique classique du Canada, qui tend à être urbain, anglophone, etc. Pour les auteurs féministes et antiracistes, les marges sont un espace particulièrement révélateur et intéressant, qui permet de comprendre et de critiquer la construction du centre et de son savoir (voir par exemple Cohen 1997). De même, dans les perspectives ethnologiques, les interstices culturels sont des espaces parfaits pour entreprendre l’examen des symboles, du modernisme, des littératures et des identités (voir par exemple Turgeon 1998).

J’ai intégré l’article de Nathalie Hamel à cette série de textes parce que, même si elle n’est pas aussi explicite sur sa position d’observatrice que le sont Buhler et O’Brien, son observation et son intuition qui la mènent à penser que la question de l' » authenticité  » peut être subordonnée aux questions de symbolisme, d’images, de conscience historique et même de goût s’appuient sur ses propres connaissances culturelles. Définitivement, les ethnologues doivent admettre que plusieurs des costumes qui ont été présentés comme vêtements régionaux québécois ne correspondent pas vraiment aux habits qui ont réellement été portés dans le passé. Or, il est bien plus intéressant de comprendre pourquoi des traditions crées de toutes pièces ont pu rejoindre et influencer l’imaginaire populaire que de s’acharner à mettre en évidence leur ridicule comme le faisait Hugh Trevor-Roper (1983). Telle est la perspicacité de l’observatrice qui se situe à l’intérieur du groupe et du problème.

Depuis les débuts de l’ethnologie au Canada, et plus particulièrement au Québec et chez les francophones, les chercheurs sont nombreux à avoir adopté cette position d’observateurs de l’intérieur. La nécessité de mener des recherches pour mieux se comprendre et mieux se connaître (discutée dans Desdouits et Turgeon 1997) a donné lieu à une conception qui reconnaît la distinction culturelle non seulement dans les survivances, mais aussi dans la présence sociopolitique. Cette conception est apparue plus récemment dans les travaux des anglophones, telle qu’on la rencontre dans le travail de Luisa Del Giudice sur sa famille italienne de Toronto (1994) ou dans celui de Michael Taft sur les exilés américains (1991). L’article de Sarah Buhler, qui porte sur les histoires de sa grand-mère, et celui d’Andrea O’Brien, sur les traditions familiales et communautaires, se situent tous les deux dans cette perspective d’observation de l’intérieur.

Buhler se réfère au travail féministe de Jo Radner et Susan Lanser (1993) sur le codage (qui est aussi très important pour Janice Oakley) dans son analyse critique, mais il est évident que son inspiration s’enracine dans ses propres connaissances et sa propre compréhension de ce qu’est une femme mennonite. Je me souviens de mon enthousiasme quand Buhler a présenté son travail pour la première fois dans un séminaire ; nous avons tout de suite reconnu la combinaison de l’engagement émotif et intellectuel qui pousse à une fine compréhension de la réalité. J’ai connu un sentiment semblable quand j’ai lu pour la première fois le texte d’O’Brien sur les collations des travailleurs de la forêt et de la mer de la région de Cape Broyle. J’ai été séduite tant par la combinaison de colère et de fierté que par la profondeur de l’analyse qui met en relation une pratique si terre à terre avec la résistance à l’impérialisme et aux centres et aux marges du pouvoir économique et politique (la même perspective et les mêmes émotions mènent Lara Maynard à une conclusion idéologique plus explicite).

 

Étude des genres

On peut observer l’effet interne des idéologies (voir par exemple Eagleton 1991), de l’hégémonie (voir par exemple Williams 1983) – et les réactions s’y opposant – dans les textes d’Yves Le Guével, de Douglas Freake et Carole Carpenter et de Mikel J. Koven. Les études sur les genres occupent une place centrale non seulement dans les travaux ethnologiques nationaux et internationaux, mais aussi dans les conceptions populaires de l’ethnologie. Par exemple, l’analyse critique de Ian McKay de la folklorisation de la Nouvelle-Écosse (1994) montre bien que certaines pratiques sont devenues emblématiques non seulement pour la culture populaire et folklorique, mais aussi pour l’identité régionale. Chacun de ces trois articles est clairement centré sur ces connaissances traditionnelles, mais tous les auteurs en critiquent aussi les fermetures et les limites.

L’article d’Yves Le Guével analyse les modes par lesquels cinq fabricants d’accordéons québécois ont appris leur art et leur savoir-faire. Il démontre comment, en l’absence de lieux et d’outils d’apprentissage classiques – écoles, manuels et autres – ces individus sont allés puiser à toutes les sources disponibles. Ce n’est pas tant leur mode d’apprentissage spécifique que leur éclectisme qui les rend si intéressants. Un tel travail de bricolage oppose fondamentalement l’idéologie et l’hégémonie. Ces facteurs d’accordéons sortent des sentiers battus et tracent eux-mêmes leur voie avant que les institutions ne le fassent.

Dans leur analyse des mises en relation de l’ethnologie et de la littérature au Canada, Douglas Freake et Carole Carpenter critiquent plus explicitement encore l’impérialisme et ses effets. Comme Le Guével, Freake et Carpenter s’intéressent aux processus. Ils notent, par exemple, que le refus de l’Ontario de reconnaître sa propre culture n’a pas empêché les écrivains qui dépeignent le milieu rural, comme Alice Munro (j’ajouterais aussi Margaret Atwood pour les centres urbains), de présenter ce qu’ils conçoivent comme de la  » fiction ethnographique  » (pour d’autres travaux ethnographiques sur cette province, voir Greenhill [1989] et Farber [1983]). Freake et Carpenter soulèvent le problème de l’appropriation littéraire de la culture populaire locale et de celle des Amérindiens par différents écrivains d’origine européenne (comme Terry Goldie l’avait aussi fait ressortir [1989]). En fin de compte, ils reconnaissent que la solide et profonde distinction entre l’ethnologie et la littérature s’amenuise, ce qui entraîne des effets variés sur les différentes configurations des cultures traditionnelles et populaires.

L’article de Mikel J. Koven sur le Festival du cinéma juif de Toronto est aussi une étude de genre ; cependant, l’auteur fait bien plus que de démontrer en quoi cet événement peut être considéré comme traditionnel. En utilisant la logique des travaux sur les festivals (dont la plupart proviennent des États-Unis), Koven démontre comment, à travers le Festival du cinéma juif, les organisateurs représentent intentionnellement tant une vision intellectuelle qu’émotionnelle de la diaspora juive. Dans un contexte où une notion simpliste des origines juives et du développement culturel est intégralement associée au génocide (l’holocauste et l’État d’Israel), les femmes qui assurent la direction artistique du festival diffusent plusieurs autres options viables pour présenter le développement culturel juif, à travers un contenu qui est peut-être plus encourageant. De plus, elles déconstruisent ou rejettent l’opposition binaire de l’impérialisme – sujet ou objet – qui a tendu à définir la vision populaire du judaïsme et de la culture juive au Canada, en reconnaissant que les Juifs sont autant colonisateurs que colonisés.

Koven écrit à propos de son  » propre  » groupe – les Juifs de Toronto – mais comme il l’a dit à Helen Zukerman, organisatrice du festival du cinéma juif, il ne voit pas le reflet de sa propre culture dans ce festival. C’est là un paradoxe qui est exploré dans la série d’articles qui suit. Comme on le sentait déjà dans le texte d’Hamel, les observateurs de l’intérieur ne donnent pas toujours une perspective de l’intérieur et ceux de l’extérieur ne donne pas toujours celle de l’extérieur. Parfois, les forces externes peuvent avoir un effet, leurs récits et leurs objets pouvant être utilisés dans l’autoreprésentation du groupe, en plus des éléments provenant directement de ce dernier, qui, eux, sont issus de l’intérieur. Dans certains cas, la critique de l’autoreprésentation peut nous apprendre davantage sur le groupe que ses propres représentations elles-mêmes (voir par exemple Brydon 1997).

 

Relecture des marges à partir des marges

Les rencontres interculturelles ont récemment fourni aux ethnologues canadiens des données extraordinaires sur lesquelles utiliser et affiner leurs outils habituels d’observation et d’analyse des origines, des structures, des significations et des fonctions culturelles (voir par exemple Rieti 1995, Turgeon 1997 et Ferguson 1994). Cette démarche ressort clairement des travaux de Sara LeMenestrel, Janice Oakley et Jane Burns.

Bien sûr, ces auteures s’interrogent sur la notion de culture monolithique et essentialisée, mais elles trouvent aussi des données intéressantes dans les situations de conflits entre les groupes perçus comme différents. Que le tourisme fournisse une toile de fond à ces tensions ne peut être un effet du hasard. Comme l’ont montré les récents travaux ethnologiques et anthropologiques (voir par exemple Culler 1988, MacCannell 1976 et Urry 1990), la notion de voyage est devenue une métaphore de la culture euro-nord-américaine et de son hégémonie impériale (voir aussi Clifford 1992 et 1997). Toutefois, les auteures de ce numéro ne présentent pas le tourisme uniquement comme une représentation artificielle et un processus d’appropriation ; elles montrent aussi comment les membres de la communauté, autant que les étrangers, peuvent tirer profit de ce processus – et peuvent être désorganisés par des forces se trouvant hors de leur contrôle (comme le démontre Tye 1994).

Sara LeMenestrel relève un élément important en notant que plusieurs ethnologues critiquent l’imposition du tourisme aux cultures, particulièrement dans sa tendance à détruire son propre objet, alors que les membres du groupe, eux, l’accueillent souvent avec enthousiasme. Les gens perçoivent bien sûr les bénéfices économiques découlant du tourisme, mais ils reconnaissent aussi le caractère non statique, dynamique, des traditions et, ainsi, ils ne trouvent pas particulièrement menaçant le changement que le tourisme accélère (cette idée suivant laquelle les membres des communautés sont pleinement conscients des processus et font preuve d’une compréhension plus fine de la dynamique culturelle que ceux-là mêmes qui se disent des experts dans l’étude de celle-ci – les ethnologues et les anthropologues – est aussi présente dans le travail de Nathalie Hamel). Ce qui rend les traditions cajuns particulièrement attirantes est qu’elles font le lien entre les marginalités régionales, ethniques, raciales et linguistiques – et qu’elles naissent en contexte de conflit culturel explicite, voire souvent même violent.

Cette perspective fait écho au travail de Janice Oakley sur la performance des artistes Shawna Dempsey et Lorri Millan qui ont conçu une campagne publicitaire satirique pour le tourisme. Je ne suis pas certaine que les membres de la communauté gaie de Winnipeg (gais, lesbiennes, bisexuelles, etc.) soient tous contents d’êtres utilisés comme objet de promotion pour le tourisme culturel (voir Hagen-Smith 1997). Quoi qu’il en soit, le travail d’Oakley démontre bien que les habitants de Winnipeg de toutes orientations, convictions et préférences sont protégés des retombées de cet art par un processus de codage – et ce même si devenir l’objet du rire n’est pas nécessairement mieux que de devenir l’objet de la haine (voir par exemple Greenhill et al. 1993). Ces représentations artistiques ne peuvent échapper à la mise en relation de la manipulation des idées et des impératifs du marché. Ainsi, malgré le fait que cette campagne publicitaire soit le lieu tout indiqué d’expression d’idéologies, le travail de Dempsey et Millan est censuré parce qu’il est à la fois trop artistique et trop politique. Alors qu’Oakley dit qu’il y a quelque chose de  » gai-lon-la  » dans tout ça (voir par exemple Doty 1995), il y a aussi quelque chose qui relève du genre, parfois régional (particulièrement avec la mise en évidence de la conception torontoise selon laquelle Winnipeg est l’aisselle de l’univers) et parfois ethnique. La présentation est codée en termes féministes en plus de l’être en termes lesbiens, ce qui donne des effets assez particuliers qui sont plus manifestes et plus perceptibles pour les membres de ces communautés – la population locale et plus particulièrement les gais de Winnipeg. Mais, comme Oakley le fait clairement ressortir, cela ne dérange aucunement les principaux intéressés.

L’article de Jane Burns porte également sur le tourisme et sur son contenu. La notion de tourisme local n’est guère étudiée dans la littérature anthropologique et ethnologique, mais, dans ce travail, ses implications sont manifestes. La population de Dawson City sent qu’elle peut contribuer, avec ses propres perspectives, au modèle touristique présenté aux étrangers par Parcs Canada ; les gens veulent que le Dawson présenté aux touriste soit le leur. Or, est-ce que les Torontois visitent la tour du CN ? Peut-être, mais pas aussi systématiquement que le font les touristes. Pour des raisons de perspectives économiques, dans des régions plus favorisées, ce n’est probablement pas très important que le point de vue des touristes diffère de celui de la population locale. Mais pour les gens de Dawson qui sont directement impliqués dans les représentations de leur ville, reconnaître la culture touristique comme une culture n’est pas important. Ce qu’ils veulent que l’Autre voit, c’est que le modèle touristique ne correspond pas à leur culture – culture qu’ils voudraient que les touristes aient également l’occasion de voir.

Mais quelles options peut-on voir, présenter, créer ? Là où il y a délibérément – et même inconsciemment – manipulations culturelles et historiques, il y a toujours des gens qui veulent travailler à travers cette création pour critiquer, déconstruire et repenser ces contenus. C’est là la principale orientation de la dernière partie de ce numéro.

 

Apocalypse hier et aujourd’hui

Comme Anne-Marie Desdouits, Georges Fulford et al. et Lara Maynard l’ont expliqué, plus l’hégémonie est omniprésente, plus la résistance est locale et quotidienne. Cette logique, souvent attribuée au travaux postmodernes de Michel Foucault (voir par exemple 1966) et de Pierre Bourdieu (voir par exemple 1982), présente les processus de résistance comme étant partie prenante de la formation socioculturelle. Cette idée qui est développée dans les travaux féministes depuis leurs premières manifestations est maintenant au centre de ceux-ci (voir par exemple Doucette 1993, bell hooks 1990).

Alors que les ethnologues sont habitués de reconnaître les façons par lesquelles l’hégémonie peut être revue et réétudiée par les (re)créations et l’interprétation populaires, le travail d’Anne-Marie Desdouits, sur une réécriture catholique de la tradition, nous rappelle que ce processus peut également fonctionner en sens inverse (voir aussi Lyon 1993 sur les tensions entre les conceptions populaires et quotidiennes de la culture albertaine). Le pouvoir peut également réécrire la tradition et l’utiliser à ses propres fins. Même si les manifestations de cette forme de perspective idéologique ne sont pas toutes aussi claires que dans le cas de La Bonne chanson, celles-ci peuvent être relevées dans des contextes très variés. Par exemple, j’ai du mal à percevoir un texte comme l’histoire de  » Saint Pierre aux portes du paradis  » autrement que comme une réclame du chauvinisme masculin et de la pensée patriarcale, et ce en dépit de ses qualités artistiques et symboliques. Mon évaluation s’appuie en partie sur la misogynie flagrante de ce récit, mais aussi sur le fait que Francis Colbert, auprès duquel Wilf Wareham l’a collecté, soit  » fréquemment appelé pour le réciter lors des mariages de sa région  » (Wareham 1976, voir aussi Greenhill 1984). Il n’est peut-être plus à la mode de voir la culture populaire et traditionnelle comme explicitement didactique, surtout maintenant que nous avons rejeté le joug du fonctionnalisme structural. Cependant, Desdouits cite des réécritures qui sont toujours intentionnellement didactiques.

L’intention didactique n’est pas non plus absente des formes de culture matérielle, spécialement celles qui proviennent des centres du pouvoir et du contrôle (voir aussi Cavell 1994). Quand les étudiantes et les étudiants de Georges Fulford parcourent l’édifice législatif du Manitoba en tous sens, non seulement font-ils preuve de la subjectivité inhérente aux perspectives explicitement politiques – généralement féministes – mais, aussi, ils appréhendent l’hégémonie aussi intensément que le fait Desdouits dans sa lecture de la chanson. Les étudiants de Fulford voient clair dans ce jeu et perçoivent bien les liens qui s’établissent entre l’action sociale et la lecture critique. Même si, avant ce séminaire de sémiotique, la plupart de ces auteurs voyaient l’édifice législatif (le  » leg « ) non comme un texte, mais comme un lieu de rassemblement – pour le deuil, la protestation, le travail et l’oppression – je doute qu’ils l’utiliseront ou qu’ils le comprendront dans le même sens dorénavant.

Bien sûr, les travaux de Desdouits et de Fulford et al. sont apocalyptiques d’une manière plutôt diffuse. Je les perçois ainsi parce que je trouve que leur lecture a vraiment de quoi changer le monde ; on ne peut plus penser ces chansons et cet édifice de la même façon une fois qu’on a pris connaissance des agendas politiques. Le travail de Lara Maynard, lui, est plus explicitement apocalyptique. Dans son article – et dans sa vie personnelle et celle de sa famille – sa chaise-baril est bien plus qu’un simple objet de nostalgie. La chaise représente l’effondrement économique, la décomposition sociale et le désastre écologique, ce qui nous oblige à penser l’impensable – que cela veuille dire un moratoire sur la pêche à la morue à Terre-Neuve ou la fin du monde. De plus, elle fait écho à une perspective de Donna Haraway dont les études culturelles et scientifiques ramènent à des positions et à des idées plutôt inconfortables :  » mon modeste témoignage ne peut jamais être simplement oppositionnel, il est plutôt méfiant, engagé, savant, ignorant, inquiet et confiant  » (Haraway 1997:3).

Bonne lecture !

References

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______. 1987. Aspects of the Local Character Phenomenon in a Nova Scotia Community. Canadian Folklore Canadien, 9, 1-2: 99-111.

Urry, John. 1990. The Tourist Gaze: Leisure and Travel in Contemporary Societies. London: Sage.

Vickers, Jill. 1994. Liberating Theory in Canadian Studies. Canada: Theoretical Discourse/Discours theoriques. Terry Goldie et al., eds. Montréal: Association for Canadian Studies.

Wareham, Wilfred. 1976. The Monologue in Newfoundland. The Blasty Bough. C. Rose ed. Portugal Cove: Breakwater Books.

Williams, Raymond. 1983. Keywords: Avocabulary of culture and society. London: Fontana Press.

Nathalie HAMEL

Créer des costumes régionaux au Québec : Entre l'inventé et l'authentique

Parmi les clichés véhiculés par le marché touristique, le costume régional est certainement l’un de ceux ayant connu la plus vaste diffusion et étant le plus facilement associé à l’identité d’une région. Mais existe-t-il des costumes régionaux québécois ? Au cours de la période allant de 1930 à 1960, différents acteurs ont tenté d’offrir une place de premier choix aux costumes régionaux dans la construction de l’image de l’identité canadienne-française. En plus de se populariser à l’occasion des centenaires de paroisses, les costumes régionaux se multiplient dans les hôtels et restaurants, et ce avec les encouragements du gouvernement provincial, qui appuie un projet de création de costumes régionaux. Certains chercheurs se mettront alors en quête de costumes plus  » authentiques « . Le succès de ces projets auprès de la population semble toutefois bien relatif.

Sarah BUHLER

« I Chose Some Cups and Saucers »: Gender, Tradition, and Subversive Elements in my Grandmother's Life Stories

Cet article présente une analyse féministe des histoires de vie de la grand-mère mennonite de l’auteure, Maria Buhler. En utilisant le genre comme catégorie d’analyse, l’auteure démontre que les histoires de sa grand-mère tendent à déconstruire et, simultanément, à renforcer le rôle traditionnel des femmes mennonites. L’auteure analyse les références implicites et explicites de la dynamique de genre dans les histoires et, de cette façon, met au jour l’essentiel du contenu du texte et le précieux sens de celui-ci pour une compréhension féministe de la vie et de l’histoire des femmes mennonites. Différentes stratégies utilisées par Maria Buhler dans la récitation de ses histoires sont aussi prises en compte. La lecture féministe des histoires éclaire tant le rôle traditionnel du genre et l’identité adoptée par Maria Buhler que sa façon de défier subtilement la version à dominante mâle de l’histoire et des traditions mennonites.

Andrea O’BRIEN

« There's Nothing Like a Cup of Tea in the Woods » : Continuity, Community and Cultural Validation in Rural Newfoundland Boil-ups

Cet article présente les collations, les temps de pause des travailleurs forestiers et de ceux de la mer de Terre-Neuve comme des espaces essentiels de transmission du savoir populaire, bien au-delà des frontières de temps, d’espace et de genre. Les pauses permettent aux membres de la communauté de développer des systèmes de représentation des limites conceptuelles du domestique à travers le travail et les activités de loisirs. Face au rapide changement économique provoqué par la fermeture de la pêche à la morue aussi bien que par les ingérences du gouvernement et d’autres organismes externes dans les zones rurales, les temps de pause sont devenus très importants à titre de lieu d’expression de la distinction culturelle de la société rurale de Terre-Neuve.

Yves LE GUÉVEL

Les modes d'acquisition des savoir-faire des fabricants d'accordéons diatoniques québécois

Apparu au Québec une quinzaine d’années après son invention à Vienne, en 1829, par le facteur d’orgue Cyrill Demian, l’accordéon s’est propagé dans la province de Québec par l’intermédiaire surtout des catalogues de vente par correspondance, qui ont favorisé l’implantation du modèle diatonique allemand, dit mélodéon, vers la fin du XIXe siècle. Ce modèle d’accordéon allait de fait inspirer Odilon Gagné, menuisier et également musicien de la ville de Québec, qui est le premier à fabriquer un accordéon diatonique en 1895. Ses descendants assureront le monopole de la fabrication d’accordéons québécois de marque  » Gagné  » jusqu’aux années 1950, époque qui voit l’apparition de l’entreprise familiale Messervier dont les accordéons demeurent encore aujourd’hui des instruments de référence. Les années 1970 étant l’époque du renouveau mondial de la musique traditionnelle, des musiciens accordéonistes québécois, tels que Gilles Paré, Robert Boutet, Clément Breton, suivent les traces du maître Messervier et se mettent à leur tour à fabriquer, de manière artisanale, des accordéons. Les facteurs d’accordéons n’ont pas à leur disposition d’institutions de formation comme des écoles de métier. Issue de cette constatation, notre problématique est alors de savoir quels sont les référants identitaires favorisant la vocation de fabricant d’accordéons et quels sont les facteurs composant le processus d’acquisition du savoir-faire. Par référants identitaires, nous entendons un ensemble de conditions préalables puisés dans l’univers culturel, social, professionnel ou autre du fabricant et permettant à celui-ci d’envisager une carrière de facteur d’accordéon. Armé de ces atouts, le fabricant devrait alors être en mesure de procéder à l’acquisition de son savoir-faire par un mécanisme de communication multiple qui peut être visuelle, gestuelle, musicale, écrite, etc.

Douglas FREAKE et Carole HENDERSON CARPENTER

Folklore and Literature: Canadian Contexts

Cet article traite du rapport entre le folklore et la littérature dans la culture canadienne, relation qui présente maintes caractéristiques qui sont étroitement reliées aux conceptions des identités culturelles de ce pays. Alors qu’au Québec les écrivains ont glorifié leur passé précolonial (ou ont fait preuve d’un folklorisme sentimental), les écrivains de l’Ontario et les autres anglophones ont tendu à renier la culture populaire anglophone, s’inspirant plutôt des Amérindiens, des Celtes et, plus récemment, du folklore  » multiculturel « . Cependant, des écrivains comme Alice Munro comptent parmi les meilleurs collecteurs des traditions et des pratiques de leur groupe, offrant de vastes descriptions tant des modes de vie qui sont aujourd’hui disparus que des pratiques contemporaines. Dans la littérature canadienne actuelle, l’opposition binaire entre la littérature et le folklore a fortement diminuée et, dans plusieurs textes, l’imitation des caractéristiques du discours oral témoigne de la reconnaissance du folklore par delà la littérature.

Mikel J. KOVEN

« You Don't Have to Be Filmish » : The Toronto Jewish Film Festival

Le Festival du film juif de Toronto est une célébration du judaïsme et du cinéma qui dure une semaine et qui se tient chaque année au cinéma Bloor, dans le centre ville de Toronto, au début du mois de mai. La littérature ethnologique ayant trait aux festivals considère que ce type d’événement est une façon pour la communauté et le groupe de se célébrer. Bien que les festivals de films soient souvent exclus des travaux sur la fête populaire, je tiens à démontrer que la mise à l’écart de ce type d’événement est malheureuse, puisque les fêtes populaires et les festivals de films, plus particulièrement les festivals de films ethniques, explorent les mêmes dimensions de liminalité dans la célébration de la culture.

Sara LE MENESTREL

Le tourisme francophone en Louisiane : Un enjeu identitaire

Les francophones de la Louisiane investissent le tourisme d’un rôle déterminant dans la perpétuation du groupe. Les initiatives touristiques suscitent la construction de lieux de mémoire par lesquels Cadiens et Créoles noirs développent la conscience historique de leur groupe. Tandis que les Cadiens mettent en avant la dimension acadienne de l’histoire, les Créoles privilégient la dimension africaine, chaque groupe entendant marquer sa spécificité en dépit de traits culturels communs. Au-delà de ces divergences, les deux groupes confèrent au tourisme le même enjeu : celui d’assurer la reconnaissance du groupe par l’extérieur et de susciter ainsi sa perpétuation. Dans ce processus, le regard de l’Autre occupe une place déterminante. L’ethnologue vient, par son travail, confirmer l’attrait de la culture locale et renforce son sentiment d’appartenance, au même titre que le touriste. La popularité du groupe suscite sa fierté ; elle est vécue comme une revanche sur les discriminations du passé et confère à la culture une valeur économique déterminante dans sa revalorisation. L’intériorisation de la représentation touristique illustre également les stratégies à l’œuvre dans la constitution d’une image positive.

Jane BURNS

Abandoned Buildings, Living Communities: Local Resistance to Preservation in Dawson City, Yukon

Dawson City représente beaucoup de choses pour beaucoup de gens. Pour les membres de la communauté blanche locale, Dawson City est le lieu où ils vivent, au cœur d’une destination touristique et d’un site historique globalement reconnu. Plusieurs refusent cette image, s’opposant tranquillement aux mouvements de tourisme et de reconstruction qui ont dicté l’histoire d’une grande partie de la communauté de Dawson City depuis les années 1960. Bien qu’ils admettent qu’ils  » vivent hors de leur histoire « , les résidents résistent au pouvoir qui a été donné à l’institution fédérale, Parcs Canada, quand vient le moment de décider quels bâtiments devraient être restaurés et lesquels devraient être abandonnés à leur  » belle mort « .

Janice OAKLEY

Postcards from the Edge: Decoding Winnipeg's « One Gay City » Campaign

Cet article est une analyse de la campagne publicitaire pour le tourisme gai des artistes de Winnipeg, Shawna Dempsey et Lorri Millan, qui a été réprimée, tant par la population locale que par les commerçants et les médias. Le modèle codé laisse à penser que les  » codeurs  » présentent leurs idées d’une façon ambiguë pour se protéger des éventuelles réactions négatives. L’essai démontre comment les artistes utilisent subversivement des stratégies d’appropriation, de juxtaposition, de distraction et de trivialisation dans leur campagne pour se protéger, tout en reprenant l’imagerie et le langage associés à la communauté gaie.

Anne-Marie DESDOUITS

Quand de « maudit » le carillonneur devient « bénit » : La réécriture du populaire par le savant

Cette note de recherche s’inscrit dans le cadre d’une étude qui vise à éclairer un processus de formation de la culture populaire québécoise en interrogeant un corpus de chansons interprétées dans des noces, entre 1920 et 1960, dans l’est du Québec. Après avoir fait un bref rappel des premiers résultats de cette recherche, ce texte présente les premières réflexions sur le rôle qu’a tenté de jouer le clergé dans la  » gestion du social « , voire qu’il a cherché à imposer un modèle culturel par le biais de la chanson, plus spécifiquement celles qu’on trouve dans l’ensemble des dix volumes de La Bonne chanson, publiés de 1938 à 1951. Une première analyse comparative du contenu de cinq chansons  » traditionnelles  » proposées par La Bonne chanson et de celui de versions orales interprétées au Québec appelle deux remarques importantes : 1) quel que soit le thème, le texte de la version présentée dans La Bonne chanson propose une description tout à fait idéalisée du sujet traité, une présentation positive de la société canadienne ; 2) les versions orales ont été réécrites, à des fins idéologiques, en une version unique et figée par l’écrit : on assiste à une  » manipulation  » du populaire par les élites cléricales, comme si elles avaient cherché à étouffer, pour mieux la diriger, la culture populaire représentée ici par la chanson de tradition orale.

George FULFORD et al.

Stone Memories, Sculptured History: Multiple Readings of Manitoba's Legislative Building

Cet article aborde le concept de positionnement à partir d’une analyse sémiotique des caractéristiques architecturales et ornementales de l’édifice législatif du Manitoba. Les auteurs interprètent les caractéristiques du bâtiment en fonction du contexte de présupposés hégémoniques concernant le pouvoir et l’autorité qui étaient dominants au moment où l’édifice législatif a été construit. En se référant aux concepts développés par Yates, Langer, Schapiro, Barthes, Lévi-Strauss, Derrida et Foucault, les auteurs défient ces revendications à partir de leur propre contexte de sujets appartenant à un monde pluraliste, postcolonial et postmoderne.

Lara MAYNARD

My Barrel Chair: Evoking the Past, Prophesying Armageddon

Cet article analyse comment un artefact (une chaise-baril) est lié à la mémoire, ce en considérant son contexte historique d’origine et l’ensemble des récits et commentaires des informateurs, lesquels comprennent une certaine part de biographie et d’autobiographie, provoqués par la chaise qui sert de support visuel à la mémoire. On voit comment la chaise évoque une époque ancienne chez les informateurs septuagénaires, qui manifestent une conscience générationelle ; elle sert également de support à la conversation à propos du présent et de l’avenir. Désormais, le simple artefact est mnémonique, contemporain et prophétique.