Volume 24-1

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Vol. 24-1 – 2002

Regular Issue

Articles

Brian RUSTED

Introduction

… aujourd’hui, lorsque nous parlons de la vie quotidienne, nous devrions être très attentifs à distinguer de qui et de quelle vie quotidienne nous parlons. Quand nous écrivons à propos de l’espace, nous devrions définir de la même manière quel type d’espace nous avons précisément en tête (Merrifield 2000 : 181).

Tout au long des pages d’ouverture de son étude de 1991 sur Calvert, Terre-Neuve, Gerald Pocius argumente son point de vue distinctif sur les liens entre la culture matérielle et l’espace. Bien que A Place to Belong soit basé sur plusieurs décennies de recherches sur la culture matérielle de Terre-Neuve, Pocius établit clairement qu’il ne s’inscrit pas dans la tendance consistant à dissocier, dans les recherches en culture matérielle, certains types d’objets et d’artefacts des activités spatiales et sociales qui leur confèrent un sens. Dans le but d’aborder  » l’ethnographie de l’espace culturel  » (1991:11), il a dû  » commencer par l’espace et découvrir les relations sociales que chaque objet nourrit à l’intérieur de cet espace  » (8).

À quoi aboutit une telle ethnographie de l’espace culturel ? Pocius est sans équivoque : inverser la relation analytique entre la culture matérielle et l’espace constitue un modèle d’investigation pour la production sociale de paysages vernaculaires et pour l’organisation spatiale de la consommation. Le résultat donne au lecteur l’aperçu d’un dialogue incessant entre la tradition et la modernité. Calvert n’est pas dépeinte comme une communauté traditionnelle dégringolant inéluctablement sur la route de la modernité, non plus que Pocius ne se contente de révéler les caractères désuets d’une marginalité géographique. Pocius démontre comment les gens s’approprient le présent dans l’articulation sans rupture de leur conception de l’ordonnancement spatial. Il révèle également les conséquences relatives à la perte du sens de l’espace et de ses exigences sociales.

As the ties of place generally weaken in any region, people increasingly create objectified signs of their culture, promoting item-oriented activities under rubrics like « folklore » and « heritage »(Pocius 1991: 23).

Ce modèle de recherche lui permet de s’avancer dans une direction que l’on aurait identifiée il y a une dizaine d’années comme un espace postmoderne dans la représentation.

La même année qu’était publié A Place to Belong, Rob Shields faisait paraître Places on the Margin, compilation de ses essais où il appliquait des traditions critiques de recherche à un certain nombre d’études de cas sur l’espace. En examinant certaines situations topographiques telles que le Nord canadien ou la plage de Brighton, Shields explore la manière dont de tels espaces acquièrent une signification sociale et circulent en tant que représentations.

The social « Other » of the marginal and of the low cultures is despised and reviled in the official discourse of dominant culture and central power while at the same time being constitutive of the imaginary and emotional repertoires of that dominant culture (Shields 1991: 5).

Shields utilise l’expression  » spatialisation sociale  » pour décrire cette combinaison discursive des représentations spatiales. En s’éloignant de l’importance disciplinaire que Pocius accorde à la culture matérielle et au paysage vernaculaire, Shields considère cette approche de l’espace comme une contribution à  » la géographie humaine, la psychologie environnementale et la sémiotique  » (11), puisqu’il se réfère à la sociologie et à l’anthropologie pour aborder la définition sociale de l’espace. Cependant, lui aussi estime que les recherches antérieures ont contribué à faire en sorte que l’espace soit analysé en tant qu’  » assemblages d’objets privés de contexte  » (26). Shields ne se dirige pas vers une ethnographie de l’espace culturel. S’inspirant de Lefebvre, il se tourne, au contraire, vers  » la réception, émise culturellement, des représentations d’environnements, de lieux, de régions, qui « flottent dans la société, comme des idées dans l’air ambiant »  » (14).

Pourquoi se servir de ces ouvrages pour introduire ce numéro thématique ? Je me suis attardé sur cette comparaison pour plusieurs raisons. D’abord et avant tout, Pocius et Shields donnent une idée de l’étendue du champ des recherches sur l’espace qu’abordent les recherches individuelles de ce numéro. Leurs publications concurrentes, il y a une dizaine d’années, sont l’indicateur du ferment créatif à l’œuvre dans plusieurs champs disciplinaires qui s’attaquent au concept d’espace. Ils illustrent le large courant interdisciplinaire qu’a eu, et que continue d’avoir, la recherche culturelle sur l’espace. De tels travaux savants vont de l’étude ethnographique des pratiques quotidiennes (portant surtout sur le folklore, la culture matérielle, la géographie culturelle et les études du paysage) à l’analyse critique des représentations spatiales (davantage issues de la géographie critique, de la sociologie et de l’économie politique). Ces deux ouvrages intègrent également l’énergie polémique de la recherche spatiale dans leurs disciplines respectives, et ils démontrent quelques-unes des innovations des paradigmes de la recherche spatiale.

Étant données les approches de l’espace diverses et souvent divergentes, est-il possible de retrouver leurs antécédents communs ? C’est une raison supplémentaire de comparer ces deux ouvrages : leur publication la même année subvertit la tendance à concevoir comme un récit linéaire la manière dont la recherche critique et culturelle sur l’espace s’est développée. Nous sommes tentés d’imaginer un développement monolithique et progressif, qui aurait pu débuter à un moment de  » haute modernité  » avec l’analyse positiviste de l’espace conçue dans l’expression souvent citée de Foucault comme  » le mort, le fixe, le non-dialectique, l’immobile  » (Foucault 1980 : 70). Ceci amène à cibler une recherche qualitative plus engagée. L’espace peut être considéré tout d’abord en termes d’expériences humaines particulières, puis en tant que reflet de l’expérience sociale, et peut-être ensuite en tant que constitutif de l’expérience sociale (Davies et Herman 1971). Quelques rencontres transformationnelles avec la tradition des études marxiste auraient alors modifié la direction de la recherche, reléguant à l’arrière-plan les projets tant positivistes que qualitatifs en une confrontation directe avec le capitalisme (Lefebvre 1974). L’élaboration d’une économie politique de l’espace dans les études culturelles a proliféré dans les travaux portant sur la race, la classe et le genre (Berry et Henderson 2002 ; Razack 2002 ; Kennedy 2000 ; Mohanram 1999 ; Ainley 1998 ; Ingram et al. 1997 ; Hayden 1995 ; Massey 1994), ainsi que dans ceux portant sur l’espace en tant que lieu de contestation ou de résistance (Sharp et al. 2000 ; Pile et Keith 1997). La périodisation postmoderne s’est initialement formée autour des conceptions de l’espace en tant que représentation, peut-être en tant que discours, dans une première phase, poststructuraliste, mais se renforçant ensuite dans la conception de l’espace hyperréel de la simulation, ou bien de l’espace globalisé de la disjonction et de la différence (Watson et Gibson 1995).

Certes, l’historiographie de la géographie critique proposée par Edward Soja et d’autres (Soja 1989, mais voir aussi Gregory 1990 et Philo 2000 pour une réévaluation) s’accorde implicitement avec un tel récit imaginaire. La publication simultanée des ouvrages de Pocius et Shields suggère la nécessité d’une vision plus hétérogène de l’historiographie et des programmes de recherches dans lesquels prend forme l’exploration continue de l’espace et de ses synonymes. Comparer ces deux ouvrages nous amène à remarquer ce qu’exclut un tel récit. Il existe une tendance, dans les traditions critiques, à repousser vers les marges la recherche ethnographique et culturelle empirique. Malgré cela, la recherche sur le paysage culturel a fortement conscience de son propre développement historique (Groth 1997 ; Hayden 1995 ; Meinig 1979). Elle peut faire remonter quelques-unes des influences explicites de sa formation jusqu’à la géographie française, originellement à travers les traductions de J.B. Jackson (voir Lefkowitz Horowitz 1997), et elle a maintenu son engagement envers la critique théorique (voir Holdsworth 1997) de manière effective et productive. Plus généralement, les études anthropologiques de l’espace ont pu redresser la tendance citadine qui consiste à minimiser la recherche rurale (Cloke et Little 1997 ; Rotenberg et McDonough 1993 ; Ferguson et Gupta 1992). De manière significative, ces efforts anthropologiques tendent à reconceptualiser la notion d’une culture qui serait indépendante de limites spatiales (Marcus et Myers 1995 ; Marcus 1994 ; Rosaldo 1988). Tandis que d’autres champs des sciences sociales portaient un nouvel intérêt à l’espace, l’anthropologie critiquait sa propre tendance à considérer la culture comme isomorphique dans l’espace. De nouveaux modèles d’investigation, s’appliquant aux formes de l’identité transculturelle et au mouvement de la culture dans l’espace, sont devenus de plus en plus importants (Gupta et Ferguson 1992). Il ne fait pas de doute que la prolifération des nouvelles formes de distribution médiatiques a accéléré certains aspects de la discontinuité spatiale et culturelle (Acland 1999), mais  » pour qui?  » et  » dans quelle mesure? « , la question reste en suspens (Massey 1994). La force de ces approches culturelles, au sens large, de l’espace, est qu’elles situent l’expérience sociale de l’espace en termes corporels (Teather 1999) et qu’elles fondent les conséquences politiques et économiques de l’espace et de ses  » délocalisations  » en termes de formations sociales particulières (Burawoy 2000).

Les articles de ce numéro ont en commun cette historiographie imaginaire ; ils se fondent sur elle tout en reconsidérant ce qu’elle avait exclu. Ils fondent la critique théorique, ils articulent le local et ils incorporent des expériences particulières de l’espace. Ils remettent sans cesse et vigoureusement en question les concepts intellectuels fondamentaux. Plus important peut-être, ils poursuivent le dialogue entre l’ethnographie, la culture et l’espace en le rédigeant à partir de l’espace de leur propre vie. Pour revenir à la citation ouvrant cette introduction, ils ont soigneusement défini la vie de qui et l’espace de qui ils ont réellement en tête.

Références

Acland, Charles, 1999, « Histories of Space and Power: Innis in Canadian Cultural Studies » dans Charles Acland and William Buxton (dir.), Harold Innis in the New Century: Reflections and Refractions. Montréal, McGill-Queen’s University Press, 243-260.

Ainley, Rosa (dir.), 1998, New Frontiers of Space, Bodies and Gender. New York, Routledge.

Berry, Kate et Martha Henderson (dir.), 2002, Geographical Identities of Ethnic America: Race, Space and Place. Reno, University of Nevada Press.

Burawoy, Michael, Joseph Blum, Sheba George, Zsuzsa Gille, Teresa Gowan, Lynne Haney, Maren Klawiter, Steven Lopez, Sean O Riain, Millie Thayer, 2000, Global Ethnography: Force, Connections and Imaginations in a Postmodern World. Los Angeles, University of California Press.

Cloke, Paul et Jo Little (dir.), 1997, Contested Countryside Cultures: Otherness, Marginalisation and Rurality. Routledge, London.

Davies, D. Ioan et Kathleen Herman (dir.), 1971, Social Space: Canadian Perspectives. Toronto, New Press.

Ferguson, James et Akhil Gupta (dir.), 1992, « Theme Issue: Space, Identity, and the Politics of Difference ». Cultural Anthropology 7:2, February, 3-129.

Foucault, Michel, 1980, Power/Knowledge: Selected Interviews and Other Writings, 1972-1977. C. Gordon (trad. et dir.), Brighton, Harvester Press.

Gregory, David, 1990, « Chinatown Part Three? Soja and the missing spaces of social theory, » Strategies 3, 40-104.

Groth, Paul, 1997, « Bibliography: Basic Works in Cultural Landscape Studies », dans Paul Groth and Todd Bressi (dir.), Understanding Ordinary Landscapes. New Haven, Yale University Press, 243-260.

Gupta, Akhil et James Ferguson, 1992, « Beyond ‘Culture’: Space, Identity, and the Politics of Difference ». Cultural Anthropology 7-1, 6-23.

Hayden, Dolores, 1995, The Place of Power: Urban Landscapes as Public History. Cambridge, MIT Press.

Holdsworth, Deryck, 1997, « Landscape and Archives as Texts » dans Paul Groth et Todd Bressi (dir.), Understanding Ordinary Landscapes. New Haven, Yale University Press, 44-55.

Ingram, Gordon et. al., (dir.), 1997, Queers in Space: Communities/Public Places/Sites of Resistance. Seattle, Bay Press.

Kennedy, Liam, 2000, Race and Urban Space in Contemporary America. Edinburgh, Edinburgh University Press.

Lefebvre, Henri, 1974, La production de l’espace. Paris, Éditions Anthropos.

Lefkowitz Horowitz, Helen, 1997, « J.B. Jackson and the Discovery of American Landscape » dans Helen Lefkowitz Horowitz (dir.), J.B. Jackson’s Landscape in Sight: Looking at America. New Haven, Yale University Press, ix-xxvi.

Marcus, George, 1994, « The modernist sensibility in recent ethnographic writing and the cinematic metaphor of montage » dans Lucien Taylor (dir.), Visualizing Theory: Selected Essays from V.A.R. 1990-1994. London, Routledge, 37-53.

—– et Fred Myers, 1995, The Traffic in Culture: Refiguring art and anthropology. Los Angeles, University of California Press.

Massey, Doreen, 1994, Space, Place and Gender. Cambridge, Polity Press.

Merrifield, Andy, 2000, « Henri Lefebvre: A socialist in space » dans Mike Crang et Nigel Thrift (dir.), Thinking Space.

London, Routledge, 167-182.

Mohanram, Radhika, 1999, Black Body: Women, Colonialism, and Space. Minneapolis, University of Minnesota Press.

Pile, Steve et Michael Keith (dir.), 1997, Geographies of Resistance. London, Routledge.

Philo, Chris, 2000, « Foucault’s Geography » dans Mike Crang et Nigel Thrift (dir.), Thinking Space. London, Routledge, 205-238.

Pocius, Gerald, 1991, A Place to Belong: Community Order and Everyday Space in Calvert, Newfoundland. Athens, The University of Georgia Press.

Razack, Sherene (dir.), 2002, Race, Space, and the Law: The Making of Canada as a White Settler Society. Toronto, Between the Lines Press.

Rosaldo, Renato, 1988, « Ideology, place and people without culture », Cultural Anthropology 3-1: 77-87.

Rotenberg, Robert et Gary McDonogh, 1993, The Cultural Meaning of Urban Space. London: Bergin & Garvey.

Sharp, Joanne P. et al., (dir.), 2000, Entanglements of Power: Geographies of Domination/Resistance. London, Routledge.

Shields, Rob, 1991, Places on the Margin: Alternate Geographies of Modernity. London, Routledge.

Soja, Edward, 1989, Postmodern Geographies: The Reassertion of Space in Critical Social Theory. London, Verso.

Teather, Elizabeth, 1999, Embodied Geographies: Spaces, Bodies and Rites of Passage. London, Routledge.

Watson, Sophie et Katherine Gibson (dir.), 1995, Postmodern Cities and Spaces. Oxford, Blackwell.

Tim B. ROGERS

Henri Lefebvre, Space and Folklore

Nous explorons la pensée complexe d’Henri Lefebvre concernant l’espace, ainsi que ses implications pour les ethnologues, au moyen d’une conversation fictive entre Lefebvre et l’auteur de cet article, au cours d’une promenade dans une petite ferme du sud-est de la Colombie britannique. Certains aspects des points de vue de Lefebvre sont exposés et illustrés à partir d’exemples se présentant sur place, tels que des clôtures ou des emplacements de feux de camp. Le schéma tripartite de Lefebvre pour conceptualiser l’espace s’articule dans le cours de la conversation, en mettant en avant l’importance du concept souvent éludé d’ « espace vécu ». Nous voulons démontrer que considérer l’espace de cette manière dialogique, inclusive et ouverte, amènerait à une régénération et à une approche potentiellement transformative de notre compréhension de l’espace — une approche qui aurait de nombreuses implications dans l’étude des traditions culturelles.

Julie PAQUETTE

Expérience spatiale et bien-être urbain : le cas des jardins communautaires montréalais

Cet article analyse les rapports qu’entretiennent certains Montréalais avec les jardins communautaires. Par l’étude d’un lieu méconnu qui attire actuellement plusieurs citadins, l’objectif est d’explorer comment des sites locaux continuent à se présenter comme des espaces significatifs pour les gens dans un monde de plus en plus globalisé. L’approche phénoménologique sert de charpente conceptuelle à cet exercice. Cette perspective est préconisée puisqu’elle privilégie l’étude des dimensions sensibles de l’environnement et l’expérience engagée des acteurs sociaux dans l’élaboration et la perception de leur milieu de vie. Grâce à l’analyse de récits de citadins-jardiniers, on découvre que des individus en quête de bien-être urbain se composent des zones de confort dans la ville par l’entremise de ces jardins communautaires. Cette étude examine les multiples façons de concevoir les jardins communautaires, qui semblent autant modelées par les dynamiques socioculturelles spécifiques à Montréal que par la constitution singulière de ces lieux et la trajectoire de vie des usagers. Elle concourt à illustrer que les espaces urbains sont des réalités avec lesquelles les habitants entrent réellement en interaction : elle conçoit les citadins comme des acteurs sociaux qui, au-delà des forces sociologiques, possèdent une marge de manœuvre au sein de leur environnement.

Curtis D. HIRSH

Green Organizing in Austin, Texas: Place-Ballet and the Rhetorical Community, 1990 - 1999

Cet article examine les dynamiques organisationnelles du mouvement écologiste urbain à Austin, Texas, et la manière dont une communauté particulière a pu se faire entendre et générer un courant d’opinion significatif qui s’est traduit en une réelle force politique et culturelle. Il est d’un intérêt particulier d’examiner la production et l’usage de textes thématiques et de capital culturel par les activistes environnementaux dans leur engagement plein et entier à l’encontre d’une entreprise multinationale aussi déterminée qu’eux. Les objets et artefacts que nous pouvons observer au cours d’une « flânerie » dans le centre symbolique de la ville nous procurent une source d’interprétation très riche pour la compréhension de la culture et de la communauté qui les a produits.

Laurent JÉRÔME

Les itinéraires de l'exclusion pour un groupe de sans-abri

Ce texte vise à rendre compte des interactions entre les individus marginalisés d’un groupe de sans-abri de la ville française de Metz (Est de la France) et les lieux urbains qu’ils investissent quotidiennement. Exclus de la société dominante, ces sans-abri vivent leur marginalité en intégrant de nouvelles valeurs et de nouvelles références culturelles qui prennent forme dans une sous-culture étiquetée comme déviante. Cette mise en marge entraîne une identification et un engagement de leur être au monde à d’autres lieux dont la mise en relation forme un itinéraire de l’exclusion, et donc un espace urbain marginal.

Cheryl TEELUCKSINGH

Spatiality and Environmental Justice in Parkdale

Faisant partie d’un projet destiné à identifier les injustices environnementales au Canada, cet article définit une analyse critique de l’espace social afin de comprendre les problèmes de justice environnementale dans une communauté urbaine du Canada. Les injustices environnementales ayant un impact sur des situations géographiques particulières présentent un aspect spatial fixe et très apparent. Cependant, je soutiens qu’il est nécessaire d’avoir une plus large vue d’ensemble de la manière dont les politiques produisent et reproduisent l’espace, afin d’expliquer par quel moyen les manifestations spatiales des transformations politiques et économiques peuvent créer de nouvelles et vivaces injustices environnementales. Dans la première partie de cet article, je souligne quelques-unes des composantes-clés de la conception de la justice environnementale. Ensuite, à partir des travaux critiques élaborés dans le champ de la géographie humaine, en particulier ceux d’Edward Soja et de Henri Lefebvre, j’énumère les limites de l’approche usuelle de l’espace dans la littérature américaine sur la justice environnementale. La plus grande partie de cet article présente mes arguments en faveur d’une vision critique de l’espace social à partir des réflexions issues de mes recherches de terrain dans la communauté de Parkdale à Toronto.

Alfred G. MUELLER II

Constructing Power Architecturally: A Spatial Look at Uniate Catholicism in Kyiv Today

Cet article examine l’église catholique uniate d’Ukraine et ses récents succès dans les lieux de son implantation dans la capitale de Kiev. En assumant que l’usage social de l’espace permet à une population de négocier la géographie du pouvoir qui l’entoure, cet article soutient que, par la mise au jour de l’idéologie inscrite dans le style architectural et les appropriations spatiales, nous pouvons parvenir à comprendre par quels moyens la communauté uniate de Kiev parvient à articuler une identité postsoviétique unique.

Carole ROSENSTEIN

An Object in its Own Domain

Cet article considère que les statues de saints hispaniques du Nouveau-Mexique, les santos, sont de puissants vecteurs de différence, dont le potentiel en cette matière transcende les contextes interethniques — sacré, laïc, de l’art mondial et des marchés — dans lesquels ils se déplacent. En décrivant comment les santos sont investis du pouvoir de dépasser les formes disparates, et comment un santo génère un puissant halo au-delà de sa propre forme, je soutiens que cette « situation dans l’espace » permet aux santos, non seulement de résister aux définitions lorsqu’ils sont placés dans des arrangements spatiaux larges tels que « le centre », « la scène » ou les « frontières », mais qu’en réalité ils redéfinissent ces espaces plus larges dans leurs propres termes. Ils peuvent être altérés, déplacés et revendiqués indépendamment des grands espaces ; aussi, ces objets qui portent en eux-mêmes un tel « positionnement spatial » devraient être reconnus comme partie intégrante du répertoire des pratiques culturelles de résistance ; ce sont des véhicules sémiotiques « premiers » que les participants peuvent utiliser dans des contextes de revendications de position, d’autorité et d’autonomie, à travers des affirmations, des contestations ou des négociations portant sur l’espace.

Martine GERONIMI

Le French Market à la Nouvelle Orléans : Alibi patrimonial et mise en scène touristique d'un espace préservé

Le French Market à la Nouvelle-Orléans présente aux touristes contemporains qui se promènent dans le Vieux Carré une vision de la restauration à l’américaine. Derrière ces conceptions aménagistes se cachent également des significations imaginaires inspirées du passé qui entrent dans le champ du présent. La période du New Deal est très importante pour la transformation du French Market. Le discours général des années 1930 est un moment de légitimation d’une action urbanistique qui a entraîné la destruction d’une partie d’un site authentique et le gommage pur et simple d’un morceau de la trame urbaine. Le milieu d’affaires louisianais a exploité la manne touristique créée et entretenue par les Faiseurs d’images du XIXe siècle, ces différents rédacteurs de guides, romanciers et mémorialistes. Ainsi, le marché français est censé représenter un style de vie à la française, sur un espace profondément modifié et bien différent de celui des origines.

Benjamin R. BATES

The New York Yankees and the Conservative Use of Space

À New York, le « Canyon des Héros », la partie de Broadway qui s’étire entre Wall Street et l’Hôtel de Ville, sert souvent d’espace de célébration pour des évènements sportifs, militaires ou politiques. Cet article présente une analyse du déroulement de l’une de ces parades — celle de la victoire des Yankees de New York en 1998 — et de sa (re)présentation par NBC. À partir du concept de « la perruque » de Michel de Certeau, cet article soutient que la combinaison des niveaux de lecture multiples de cet espace (macro, micro et entre-deux) nous permet de comprendre comment s’entremêlent et se tissent plusieurs écheveaux de symboles pour aboutir à une représentation spatiale conservatrice sur les plans politique et économique. Cet article présente les implications de cet usage conservateur de l’espace dans l’élaboration de la théorie de l’espace et de l’intervention critique.

Valérie FOURNIER, Geoff LIGHTFOOT

Stages of busi(-)ness and identity

Cet article examine la manière dont est mobilisé l’espace dans le cadre de « l’entreprise familiale ». Le concept même d’entreprise familiale fait s’effondrer quelques distinctions profondément établies dans les sociétés occidentales modernes, celles entre maison et travail, public et privé, vie de famille et raisons d’affaires, distinctions qui cartographient l’espace au moyen de frontières établies entre l’espace de travail et l’espace familial, la maison et le bureau. L’entreprise familiale, en particulier lorsqu’elle est menée à la maison, fait tomber les barrières de cette conception de l’ordonnancement spatial lorsque les images familiales et la scène de l’entreprise se confondent. Notre analyse d’une petite entreprise familiale de pension canine porte sur la manière dont l’espace est utilisé pour encadrer différentes scènes d’action. Nous avons recours, en particulier, à des métaphores théâtrales pour explorer la manière dont le travail entre dans la mise en scène des identités et des relations sociales. Tout d’abord, nous discutons des relations entre l’espace, les scènes, l’action et l’identité dans une optique théâtrale ; ensuite, à partir des matériaux de notre étude de terrain sur cette petite entreprise familiale de pension canine, nous examinons la manière dont les propriétaires-entrepreneurs utilisent l’espace comme une ressource malléable qui leur permet de découper et d’assembler différentes scènes afin de se présenter eux-mêmes et de présenter leur entreprise à différents publics. Après être revenus au théâtre pour discuter de l’importance de la mise en scène dans l’assemblage cohérent des histoires de l’entreprise familiale ou au niveau dramatique, nous terminons par l’exploration des limites de la métaphore théâtrale pour l’analyse de la vie sociale.

Stephanie WHITE

Performance and Memory: the Trans-Canada Highway and the Jumping Pound Grade Separator, Alberta

L’autoroute transcanadienne (1949-1962) fut l’un des plus importants projets nationalistes canadiens de l’après-guerre. C’est aussi une route réelle, construite à l’origine selon les critères de 1949, et financée par les provinces et le gouvernement fédéral. Elle représente clairement un cas d’objet matériel conçu selon un ensemble de conditions qui ont évolué, se sont adaptées et ont persisté à travers des circonstances changeantes. La matérialité physique et l’utilité de l’autoroute assurent la pérennité de sa présence ; mais ses représentations politiques et sociales sont plus éphémères. Son ambition de souveraineté était une réponse aux préoccupations américaines de sécurité géopolitique. Son orientation était une réponse au tourisme américain. Ses structures — ponts, bretelles, rails de sécurité, bordures, signalisation — sont à la fois profondément locales, situées dans des paysages très particuliers, et en même temps suivent les linéaments d’un expressionisme abstrait : l’universalisme quantifiable et manifeste de la modernité. L’autoroute transcanadienne est un cas de modernité prenant racine dans une géographie locale.