Volume 31-1

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Vol. 31-1 – 2009

Regular Issue

Articles

Maria MATEONIU

Introduction

Polysémique et paradoxale, la notion de « passage » nous semble encore essentielle pour la compréhension des transformations sans précédent (déracinement, migration et sécularisation) qui ont lieu dans les mondes contemporains. Provenant du latin passus, le mot « passage » désigne un déplacement, un processus de transformation en train de se faire, qui n’est pas terminé. Il désigne également « le lieu où s’effectue ce processus, sa trace ou son support que ce soit au sens morphologique ou bien métaphorique » (La Soudière 2000 : 5).

La notion de « passage » désigne la métamorphose qui précède le changement, le désordre suivi de l’ordre, un état de « l’entre-deux », entre ordre et désordre. Apparenté au deuil, le sens du passage n’est pas réductible à la perte, parce que la mort qu’il implique est symbolique et nécessaire au renouvellement de la vie.

Puisqu’il est processus, tout passage est, successivement et à la fois, un avant et un après, un ici et un là-bas, séparation mais adhésion, perte mais gain, désidentification mais identification. Le chercheur pourra donc mettre l’accent sur ce (ceux) qu’un passage relie, ou au contraire sépare ; sur ce qu’il fait quitter, perdre (sur le deuil), ou au contraire sur ce que l’on (y) gagne (un plus, l’accession à un nouvel état, à un nouveau statut) (La Soudière 2000 : 8).

Le « passage » implique un acte de réflexion sur l’ordre actuel ; il implique de s’opposer à lui, de le contester ou de l’obliger à se renouveler. L’acte de passer s’associe donc à la pensée et à la prise de conscience. Si l’identité fige le fait de penser, elle rend hommage à un ordre. Penser, au contraire, « c’est passer, c’est interroger cet ordre, s’étonner qu’il soit là » (Certeau 1987 ; voir aussi La Soudière 2000 : 11).

Le père de ce concept est sans doute Arnold Van Gennep. C’est à lui qu’on doit la « consubstantialité » du rite et du passage. On connaît bien aujourd’hui les trois phases qui décomposent chaque passage : un avant (période de séparation, de deuil), un pendant (période de limes, en latin, « marge », « limite ») et un après (période d’agrégation, de recomposition après le franchissement de la limite).

Quant à Victor Turner, il perçoit la limite comme une marge qui s’épaissit et se dilate dans le temps, une phase liminaire signifiant une période de transition et de mort simulée comme dans les rites africains d’initiation. La limite est la communitas où les gens vivent hors statut et en communion (Turner 1990 : 96).

Pierre Bourdieu reprend la théorie de Van Gennep pour mieux l’expliquer à partir d’une vision unique du monde. Depuis l’antiquité jusqu’aujourd’hui et en passant par la mystique chrétienne et les philosophies orientales, constate Bourdieu, l’univers a été conceptualisé comme reposant sur le principe de l’existence de deux catégories de choses opposées. Le jour suit la nuit tout comme la saison sèche suit la saison humide, la lumière suit l’obscurité… L’instauration de l’ordre, de la culture, suppose l’acte de tracer une limite, une séparation et une distinction. Si la limite met en évidence la distinction, la différence des choses, les rites de passage doivent résoudre le franchissement et rendre licite l’unité des entités opposées (Bourdieu 1980 : 374).

Si on reproche aujourd’hui quelque chose à ces théories des rites de passage, c’est leur faible relation avec un support empirique et matériel, voire l’absence totale de celui-ci. Dès le début de son ouvrage, Van Gennep attribue aux rites de passage une origine spatiale, topologique, mais qui sera presque aussitôt abandonnée, les lieux devenant de pures constructions idéales (Bonnin 2000 : 65-67). Les dimensions matérielles et spatiales du passage ont été évacuées de l’analyse pour laisser la place à une lointaine image des origines. Ce procédé de la « sur-symbolisation » de la réalité se justifie certainement dans la perspective des conditions de l’époque qui l’ont produit. Au début du vingtième siècle, lorsque fut publié l’ouvrage Les rites de passage de Van Gennep, le folklore fournissait le support symbolique nécessaire pour légitimer les nouvelles identités nationales. Retrouvés dans toutes les cultures et depuis toujours, les rites de passages se comprennent alors comme un garant de la continuité culturelle et comme « l’antidote » à l’angoisse suscitée par la modernité. Il fallait mettre de l’ordre dans les coutumes recueillies par les folkloristes et leur donner du sens, par opposition à l’incertitude de l’époque industrielle.

Dans la mesure où la Tradition s’oppose à la Modernité, l’ontologie du passage de Van Gennep s’inscrit dans un besoin de continuité comme condition nécessaire pour remplir le vide de la rupture. Dans ce contexte, le schéma métaphorique des rites de passage risque d’éloigner les chercheurs contemporains de la compréhension des diverses réalités plutôt que de les y aider. Prenant le contre-pied de cette tendance à sur-symboliser la réalité, les auteurs de ce numéro ont privilégié l’ancrage du passage dans l’espace et dans le temps vécus (Belmont 1986 : 16). De nombreux passages ont été saisis dans leurs tumultes actuels (sociétés en transition, communautés entre l’ancien et le nouveau, individus au carrefour de leur vie, pratiques touristiques et nouvelles formes de migration, sens donné à l’habitat, aux routes et aux frontières). Ce numéro contient des réflexions à la fois sur les formes actuelles des rites de passage et sur les passages en tant qu’expériences individuelles et collectives.

Les rites de passage n’ont pas disparu à l’époque actuelle ; on les retrouve sous des formes nouvelles, souvent inattendues. Le rite, de nos jours, s’émancipe de ses formes strictes, s’individualise et se privatise (Roberge 2006 : 214). Il investit le quotidien et le privé tout en mettant en oeuvre des symboles et des valeurs significatives au niveau collectif (214). C’est dans cette problématique de la perpétuation des rites de passage que s’inscrit Catherine Arsenault. Lors de la fête du « bien cuit », les départs à la retraite sont analysés par l’auteure comme un rite séculier, même s’ils ne sont pas toujours perçus en tant que tel par les acteurs qui le mettent en scène. Néanmoins, tout converge en faveur du rituel : la structure (la présence de la phase liminaire et du deuil), le discours et le langage, la scénographie de l’action ou la dramaturgie rituelle, la distribution des rôles et la manipulation de certains objets.

Anamaria Iuga réexamine quant à elle la limite public-privé qui structure les communautés villageoises de la région de Maramures (Roumanie). Construite en bois et selon les techniques traditionnelles, la « maison archaïque » est un lieu des rites de passage. La « belle salle » est la partie la plus valorisée de la maison, un centre de la vie domestique et communautaire. L’auteure rend non seulement compte des transformations produites sous l’effet du modernisme, mais aussi de la tendance des villageois à conserver en tant que tel cet espace domestique particulier. La « belle salle » apparaît ainsi comme un « médiateur symbolique » entre l’intérieur et l’extérieur de la maison et entre un « avant » et un « après » des grandes fêtes (voir Augé 1994 : 106, ou encore les références aux médiateurs symboliques d’Althabe).

Le terme de « passage » indique dans ce cas les tensions entre la « tradition » et la « modernité » qu’on retrouve aussi dans les articles de Daniela Moisa et de Raluca Nagy. La région de Maramures est devenue célèbre pour son archaïsme après la diffusion des descriptions des ethnographes et des folkloristes et en raison de la politique de l’État depuis l’époque nationale jusqu’à récemment. La région représente encore un berceau de la roumanité, la plus archaïque et la plus conservatrice face au changement produit par la modernité. Dès 1971, l’architecture y a changé en raison d’un décret imposé par le régime de Ceausescu exigeant que les maisons nouvellement construites soient à étages. Ces mesures de systématisation ont été imposées par la force dans tous les villages de Roumanie. Cela fut aussi le cas de la région d’Oas où Daniela Moisa a effectué ses recherches. Elle a analysé les traces de l’intervention de l’État pendant les années 1970. Depuis cette date, les habitants d’Oas pratiquent une migration temporaire du travail, l’argent qu’ils gagnent étant investi dans les grandes maisons construites selon les normes imposées.

Si cette migration s’est faite d’abord au sein des frontières du pays, la situation a changé après la chute du communisme, lorsque les villageois ont commencé à migrer vers les pays de l’Ouest. L’argent a cependant continué à être investi dans la construction de maisons. « La nouvelle maison » construite « à l’occidentale », valorisée au détriment de « la maison traditionnelle », représente la matérialisation de l’idéal de réussite des villageois, une projection de soi et un vecteur de communication d’un statut nouveau et supérieur soumis à un processus d’innovation accélérée.

Soumise à la mode et à la concurrence, l’habitation est en reconstruction permanente. À la différence des habitants de Maramures qui ont repris à leur compte le discours des spécialistes sur l’authenticité et la spécificité de leur région, les habitants d’Oas se plient aux standards de la modernité, sans toutefois rompre totalement avec leurs valeurs locales. Le passage des villageois vers les pays d’Europe de l’Ouest est suivi du retour dans leur pays d’origine. Les allers-retours entre les deux lieux font des frontières un vécu et du passage une permanence (Diminescu 2006).

Le vécu que Daniela Moisa décrit minutieusement nous fait penser aux affirmations de George Balandier selon lesquelles les sociétés en transition ou en cours de développement sont caractérisées par « une dialectique qui s’opère entre un système traditionnel (dégradé) et un système nouveau (déterminé de l’extérieur) qui fait surgir un troisième système socioculturel, instable, mais porteur de la modernité authentique » (Balandier 1986 : 104). Loin d’être arrivés à un troisième système moderne, les habitants d’Oas vivent plutôt au carrefour de leur existence, les tensions entre l’avidité des transformations successives, à la chaîne, et le retour à une tradition reconstruite (voir Balandier 1986 : 109). Tandis que l’Occident représente l’argent, le village et particulièrement la maison sont les cadres de la mise en valeur de la réussite professionnelle. On voit ainsi l’émergence d’une identité duale, soutient Moisa, entre la modernité et la tradition.

Quant à Raluca Nagy, elle nous fait comprendre que la traversée n’est pas un rite ayant un but en lui-même, un acte qu’on fait parce qu’il faut le faire sans en avoir besoin, sans savoir pour qui on le fait, ni ce qu’il représente (voir Bourdieu 1980). Les acteurs sociaux d’aujourd’hui sont devenus conscients de leurs différences. Le monde social ne se livre plus en tant que spectacle offert à l’attention exclusive du chercheur, il est devenu une scène où les regards se multiplient pour se croiser. À travers l’interprétation à la fois des pratiques touristiques et de la migration vers l’Ouest, Raluca Nagy étudie, dans la même région de Maramures, les relations complexes entre les acteurs impliqués. Le tourisme qu’ils pratiquent n’est pas une activité économique dans le vrai sens du mot car les calculs ne se font pas dans une logique de rentabilité. Il est plutôt une « improvisation » appuyée par un échange d’authenticité entre les locaux et les étrangers. Les premiers jouent le rôle de porteurs d’une tradition authentique et archaïque qui leur a été attribuée depuis la deuxième moitié du dix-neuvième siècle par l’État et qu’ils livrent aux touristes en quête de traditionnel. Les locaux qui font périodiquement l’expérience du travail dans les pays de l’Ouest se sont investis d’un rôle de médiateurs, de passeurs de culture (cultural brokers). Le vécu « entre les deux » leur apporte du savoir et du pouvoir.

Connaisseurs des attentes des touristes, ils s’octroient le droit de corriger et de guider le « spectacle » des coutumes traditionnelles. Pascal Huot, pour sa part, se demande s’il existe une manière particulière de pratiquer un tourisme culturel relevant d’un domaine propre à l’insularité. Il identifie dans l’Île aux Grues, au Québec, les éléments qui se constituent en marqueurs identitaires du lieu. La fête de la mi-carême donne l’occasion aux touristes de traverser et d’assister à la mise en spectacle d’une identité à conserver. Cependant, le mot « passage » n’indique pas exclusivement l’acte de franchir une frontière, de traverser en bateau pour arriver au bord, mais aussi le fait de passer sur un chemin tout droit, le long des clôtures et des seuils, sans les franchir (Dubost 2000 : 60).

Il n’est pas de risques et périls dont on ne vienne à bout, car la résistance d’un obstacle engendre une nouvelle invention d’une autre solution, elle-même porteuse d’un nouveau stratagème qui, une fois compris par les autorités légales, est abandonné pour d’autres procédés aussitôt mis en place (Diminescu 2006).

Nous sommes investis dans une dynamique où l’abandon des frontières suit toujours l’apparition d’autres frontières. L’aspiration à abolir les limites et l’impossibilité de le faire traverse tous les articles de ce numéro Passages.

Références

Augé, Marc, 1994, Pour une anthropologie des mondes contemporains. Paris, Flammarion.

Balandier, George, 1986, Sens et puissance. Paris, Presses Universitaires de France.

Bonnin, Philipe, 2000, « Dispositifs et rituels du Seuil ». Communications 70 : 65-93.

Bourdieu, Pierre, 1980, Le sens pratique. Paris, Minuit.

Centlivres, Pierre, 2000, « Rites, Seuils, Passages ». Communications 70 : 33-45.

Certeau, Michel de, Luce Giaral, Pierre Mayal, 1994, L’invention du quotidien, vol 2. Paris, Gallimard.

Clifford, James, 1997, Routes. Londres, Harvard University Press.

Diminescu, Dana, 2006, « Le système D contre le système SIS. Navigateurs, passeurs, prisonniers des frontières informatiques ». http:www.ticm.msh-paris.fr.

Dubost, Françoise, 2000, « Les agréments de l’entrée ». Communications 70 : 53-65.

La Soudière, Martin de, 2000, « Le paradigme du passage ». Communications 70 : 5-31.

Le Breton, David, 2002, Conduites à risque. Des jeux de mort au jeu de vivre. Paris, Presses Universitaires de France.

Maffesoli, Michel, 1997, Du nomadisme. Vagabondages initiatiques. Paris, Livre de Poche.

Mihãilescu, Vintilã, 2008, « Foreword. The Cultural Market of Traditions ». Martor. The Museum of the Romanian Peasant Anthropology Review 13 : 11-15.

Rivière, Claude, 1995, Les rites profanes. Paris, Presses Universitaires de France.

Roberge, Martine, 2006, « En guise de conclusion. Pour une relecture de nos rites dans la société contemporaine ». Ethnologies 28 (2) : 213-222.

Turner, Victor, 1990, Le phénomène rituel. Structure et contre structure. Paris, Presses Universitaires de France.

Van Gennep, Arnold, 1969 [1909], Les rites de passage. Paris, Mouton.

[p. 5-12]

Catherine ARSENEAULT

Autour des départs à la retraite. Le bien cuit comme rite de passage

Prendre la décision de se retirer du marché du travail constitue une étape importante dans la vie d’une personne. À cette étape, le futur retraité se retrouve tout autant au terme de sa carrière, qu’au seuil d’une période nouvelle de sa vie. Comment alors souligner ce passage ? Au Québec, plusieurs usages rituels accompagnent les départs à la retraite et les réactions en regard à ces festivités s’avèrent toutes aussi diverses que les manières de partir. En s’appuyant sur un travail de terrain ethnologique, cet article se penche sur la pratique rituelle spécifique aux départs à la retraite. Aujourd’hui, cette dernière prend régulièrement la forme d’un hommage personnalisé appelé le bien cuit. Habituellement entendue par les ethnologues comme un rite de passage, la célébration d’un départ à la retraite est dans cet article examinée comme une performance rituelle qui influence et accompagne l’individu dans cette transition. L’auteure porte principalement son attention sur le dispositif rituel, le cadre, ainsi que sur le contexte des différentes fêtes de départ à la retraite. Elle examine aussi le rôle joué par l’humour dans l’efficacité significative de ce rituel contemporain.

[p. 21-47]

Anamaria IUGA

La « belle salle » du Maramures

Cet article, tiré d’une enquête de terrain, porte sur l’analyse de la « bonne/belle salle » : la pièce où les habitants de la région du Maramures (Nord de la Roumanie) disposent les objets de la plus grande valeur et qu’ils fabriquent pour la plupart eux-mêmes. Elle est aussi la pièce où les étapes les plus importantes de la vie se déroulent. L’étude se concentre sur d’abord sur l’organisation des objets situés sous la ruda [poutre], et ensuite sur les usages de la salle pendant les rites de passage, surtout pendant les noces telles qu’elles se déroulaient il y a cinquante ans et telles qu’elles se déroulent toujours à l’heure actuelle. La « belle salle » du Maramures, par son organisation et ses usages, est un bon exemple de la dynamique de la culture locale où le présent et les innovations côtoient les pratiques transmises par la tradition.

[p. 49-76]

Daniela MOISA

Amener l’ailleurs chez soi. Pratiques architecturales domestiques au Pays d’Oas

Entre ici et là-bas, entre avant et après, la maison de la réussite du Pays d’Oas (Roumanie) apparaît comme la principale forme discursive par laquelle les gens traduisent l’expérience de plusieurs espaces en une appartenance locale gérée par des valeurs et pratiques anciennes (Clifford 1997). Puisque cette traduction n’est jamais définitivement accomplie, l’ailleurs, entendu comme Occident, la France notamment, est associé à la modernité réclamée par les Oseni en tant que nouvelle manière d’être et de vivre, et finit par être domestiqué (Goody 1979) dans et par le local. Ce qu’on voit aujourd’hui à Certeze, et plus généralement au Pays d’Oas, n’est pas une réflexion fidèle du va-et-vient des Oseni entre l’Europe et leur village, mais plutôt le résultat d’une incorporation de cette expérience à l’intérieur d’une autre, plus ancienne. Cette incorporation agit également en sens inverse, en déclenchant à son tour une mutation interne du local. La dynamique est si forte que le changement devient palpable d’une année sur l’autre. L’action de domestication des formes architecturales étrangères est donc ambivalente : une même maison peut ainsi dénoter autant la modernité apportée d’ailleurs que les marques d’une spécificité locale. Cette rencontre est d’autant plus perceptible dans la pratique d’aménagement et d’utilisation de la nouvelle maison.

[p. 77-109]

Raluca NAGY

Tourisme et migration dans le Maramures

Dans cet article nous entreprenons de souligner la liaison entre deux formes de mobilité, tourisme rural et migration de travail, à travers quelques points d’articulation. Dans le cas du Maramures, une région du nord de la Roumanie, on se trouve devant deux types de « couloirs de mobilité », vers et à partir de la région. Ces couloirs se superposent au niveau des pratiques autant qu’au niveau des réseaux et des ressources. Les cinq points plus concrets qu’on va aborder ici sont la circulation de l’argent, le rôle des médiateurs culturels des migrants, la question du confort et la façon d’investir dans les maisons, la problématique de la latinité et finalement l’angle terminologique, notamment le continuum tourisme — migration.

[p. 111-126]

Pascal HUOT

Tourisme culturel en milieu insulaire. Le cas de l’Île aux Grues

Facteur économique important, le tourisme joue un rôle déterminant pour l’Île aux Grues. Cet article rend compte du potentiel touristique que l’île tire de sa situation géographique particulière. Peut-on y observer une manière de pratiquer un tourisme culturel qui soit du domaine propre à l’insularité ? Comment les manifestations de la mi-carême et de la traversée en canot à glace entrent-elles en jeu dans la construction du tourisme culturel ? La promotion touristique fait-elle également place aux personnalités publiques comme le peintre Jean-Paul Riopelle, qui s’était établi dans le manoir de l’île ? L’auteur examine également l’impact du tourisme insulaire, tant sur les résidents de l’île que sur le touriste. S’appuyant sur des témoignages, il tente ainsi de mieux comprendre les implications que soulève la mise en marché d’un tourisme de masse dans un milieu restreint, sans pour autant sacrifier le quotidien de l’île pour plaire à tout prix.

[p. 127-162]

Dominique POULOT

Le patrimoine immatériel en France entre renouveau muséographique et « territoire de projet »

La signature de la convention du Patrimoine culturel immatériel par la France en 2006, ouvre, aux yeux d’une large partie de la communauté de l’ethnologie française, une nouvelle période de l’histoire du patrimoine français. Pour certains, il s’agit d’une remise en cause radicale des valeurs traditionnelles du patrimoine français et des politiques publiques, dominées par le monopole de la haute culture, et spécifiquement des beaux-arts. Pour d’autres, il s’agit au moins d’un champ de possibles qui s’ouvre pour la discipline et sa reconnaissance. La mise en perspective historique de cette décision passe par un retour sur les conditions et les limites de l’institutionnalisation du patrimoine ethnologique au cours des « années patrimoine », soit la décennie 1980. Deux enjeux se dessinent au terme de ces vingt années. Un premier, muséologique et muséographique, découle directement de la crise persistante et toujours non résolue des collections d’objets ethnologiques, de leur exposition et de leur rapport à la science. Le second tient aux rapports entre des projets d’identité territoriale, ou « territoires de projet », dont le nombre va croissant depuis la loi de 1995 et surtout 1998-2000, dans le cadre de l’aménagement du territoire national et des multiples tentatives de redécoupage décentralisateur, et l’affirmation continue d’un patrimoine in situ, inscrit dans un espace dont il tire sa légitimité et qu’il légitime à son tour. Sous ces deux points de vue, l’immatériel pose un défi dont les institutions du Ministère de la Culture et les acteurs locaux sont en train de prendre la mesure.

[p. 165-200

Laurier TURGEON et Louise SAINT-PIERRE

Le patrimoine immatériel religieux du Québec. Sauvegarder l’immatériel par le virtuel

Cette étude présente les résultats d’un projet pilote destiné à mettre sur pied une méthodologie de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine immatériel religieux du Québec, aujourd’hui menacé par l’effondrement de la pratique religieuse, le vieillissement prononcé des communautés religieuses, la fermeture des paroisses et des églises, et la vente forcée d’objets sacrés. À partir de l’étude de huit communautés, nous proposons des méthodes virtuelles novatrices d’inventorisation qui, à l’aide des nouvelles technologies de l’information et de la communication, visent à la fois à conserver et à communiquer efficacement ce patrimoine. La cueillette et la saisie audiovisuelles des récits de lieux, d’objets, de pratiques et de vie permettent de capter les divers aspects de ce patrimoine, de le rendre plus visible et palpable, de bien contextualiser ses usages sociaux et d’intégrer ses dimensions matérielles et immatérielles. Grâce à la grille des pratiques culturelles de Jean Du Berger, nous avons élaboré un système de classement du patrimoine immatériel religieux qui est opératoire dans toutes les communautés religieuses étudiées (catholique, protestante, juive, orthodoxe et amérindienne). Cette première grille de classification pourrait être utilisée dans d’autres cultures et dans d’autres pays en raison de son caractère souple, polyvalent, efficace et universel. Le projet pilote nous a également permis de développer une approche participative pour mettre en valeur ce patrimoine directement sur le terrain en collaboration avec les communautés par des actions culturelles diverses : des sites Web, des expositions muséales, des productions multimédia de DVD, des modules pédagogiques et des publications d’articles et de livres. Une fois numérisé, le patrimoine immatériel religieux s’offre à des adaptations et à des applications diverses, à des appropriations et à des réappropriations par de nombreux acteurs sociaux. La base de données virtuelle devient elle-même un engin d’hybridation et de création sans limites.

[p. 201-233]

Eduardo GONZÁLEZ CASTILLO

Cultures musicales transnationales et capitalisme. Le milieu sonidero

Selon plusieurs auteurs (Appadurai 2001 ; García Canclini 1990), l’évolution actuelle des pratiques de consommation culturelle est déterminée par des processus globaux propres à la mondialisation. À partir d’un bref survol de l’histoire de la consommation de la musique tropicale au Mexique et de l’analyse de l’une de ses manifestations les plus récentes, celle du milieu sonidero, cet article formule une critique de cette approche en accordant une attention spéciale aux dynamiques localisées et aux forces historiques et socio-économiques propres au cas qui nous intéresse. L’économie politique demeure au coeur de la présente proposition analytique.

[p. 237-251]